N° 821

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à lever certains freins à la participation électorale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Frédéric PETIT,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’exercice du vote et l’organisation des scrutins doivent être adaptés aux évolutions citoyennes et technologiques, afin de faciliter leur accès et leur transparence pour tous les citoyens français jouissants de leurs droits civiques et politiques.

Certains freins à l’exercice de ces droits peuvent être levés en s’appuyant sur les analyses récentes des acteurs de terrain (élus locaux, élus consulaires, administrations territoriales et consulaires…).

Le Mouvement Démocrate a présenté en 2021 un « livre blanc de la participation », et s’est engagé depuis de nombreuses années dans ce sujet crucial pour le dynamisme de notre démocratie.

Cette proposition de loi vise à lever trois des freins largement identifiés :

1. L’inscription sur les listes électorales, qui doit être facile tout en restant fiable et opérationnelle, dans une société où les citoyens sont de plus en plus mobiles ;

2. Le renforcement de l’engagement et de la participation citoyens dans les opérations de vote au niveau des communes ;

3. En rétablissant et en consolidant les solutions de vote par correspondance et par anticipation, aujourd’hui souvent plus sûres et respectueuses des principes que le vote par procuration.

1/ Faciliter et fiabiliser l’inscription électorale (article 1) :

En février 2020, 94 % des résidents français en âge de voter sont inscrits sur les listes électorales. Mais 40 % des jeunes de 25 à 29 ans ne sont pas inscrits dans la commune où ils résident. Le constat est sans appel, la procédure d’inscription telle qu’elle résulte de notre droit actuel n’est plus adaptée à la réalité de notre société et contribue à l’éloignement des citoyens de la participation électorale.

Le rapport parlementaire de Mme Élisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann remis en 2015 révèle que près de 9,5 millions d’électeurs sont alors mal‑inscrits ou non‑inscrits sur les listes électorales. L’ampleur des chiffres sonne comme une alerte pour la vitalité de notre démocratie. Les auteurs ont également identifié que l’éloignement entre la date de clôture d’inscription sur les listes électorales et la date du scrutin était préjudiciable à l’implication des citoyens dans le processus électoral.

Mis en place en 2019, le répertoire national unique (RUE) a permis certaines améliorations, mais des progrès restent à faire.

Cette proposition de loi vise donc à automatiser le changement d’inscription sur une liste électorale lors d’un déménagement (sauf si refus de changement est explicitement formulé) ; elle ramène à un mois les délais d’inscription sur les listes électorales ; et elle vise à créer un émargement numérique national afin de permettre aux électeurs de voter dans leur commune de résidence ou de villégiature même si ce n’est pas leur commune d’inscription électorale.

2/ Renforcer l’engagement et la participation citoyens dans la préparation et les opérations de vote au niveau des communes (article 2) :

L’engagement des personnes volontaires dans les bureaux de vote est essentiel et mérite d’être valorisé. Toutefois dans le rapport « L’accessibilité électorale nécessaire à beaucoup, utile à tous » remis le 17 juillet 2014, par la sénatrice M. Jacqueline Gourault et la députée Mme Dominique Orliac démontre que les assesseurs ne sont pas suffisamment formés, en particulier sur l’accueil des personnes en situation de handicap ou malades. Les parlementaires soulignent également le fait que les bureaux de vote ne sont pas adaptés à l’ensemble des électeurs.

Cette proposition de loi vise à mieux structurer et valoriser la mobilisation et l’organisation locale des opérations de vote, et à permettre aux communes d’en élargir l’audience, la transparence, et ainsi renforcer le débat citoyen, à l’exemple de ce qui se fait dans d’autres pays. Il s’agit en particulier de désigner les membres des bureaux de vote par période (et non ponctuellement par élection) afin de reconnaître et de valoriser leur engagement, de pouvoir également ainsi mieux les former et anticiper.

3/ Votes par correspondance (article 3) :

Aujourd’hui, sur le territoire français, il existe deux possibilités pour exercer son droit de vote : se rendre à l’urne le dimanche des élections, ou bien donner procuration de vote. Dans les deux cas de figure, le vote est effectué dans le bureau de vote au sein duquel l’électeur est rattaché.

Cependant, pour diverses raisons, il n’est parfois pas possible pour des citoyens de se rendre dans le bureau de vote le jour du scrutin, ni de trouver une personne à qui donner procuration. De plus, le vote par procuration n’est pas exempt de doute sur la sincérité du scrutin, en particulier pour les personnes dépendantes, ou fragiles.

Alors que l’abstention a pu atteindre de niveaux records ces dernières années, il est de notre devoir de législateur de réfléchir à des solutions permettant aux citoyens correctement inscrits de s’exprimer à l’occasion de tout scrutin, en profitant des progrès technologiques de ces dernières années, ainsi que des expériences fonctionnelles tant en France qu’à l’étranger.

Le vote par correspondance sous pli fermé est pratiqué en Allemagne depuis 1957. Aux élections fédérales de 2021, le pourcentage de votants par correspondance a atteint les 47,3 %, en augmentation de 18,7 % par rapport aux élections de 2017. Il est également très utilisé en Suisse. Certains États américains l’utilisent – et notamment l’Utah, l’Oregon, le Colorado, Hawaï̈ et l’État de Washington, lesquels sont passés depuis plusieurs années au vote postal à 100 %, sans fraudes majeures.

Pour les citoyens français, le vote par correspondance était pratiqué de 1946 à 1975. Il était alors une procédure exceptionnelle pour des électeurs qui justifiaient ne pouvoir se rendre à l’urne pour des obligations légales ou professionnelles. Il a été supprimé par la loi n° 75‑1329 du 31 décembre 1975 car l’identité des électeurs n’était pas ou peu contrôlée, menant ainsi à des risques de fraudes.

Il est possible pour les Français établis hors de France de voter par correspondance, sous pli fermé ou par correspondance électronique, pour les élections législatives et pour les élections des conseillers des Français de l’étranger. Cette modalité de vote a d’abord été introduite en 1982 pour l’élection du Conseil supérieur des Français de l’étranger avant d’être étendue en 2009 pour l’élection des onze députés des Français établis hors de France. Elle permet aux citoyens de voter sans avoir à effectuer jusqu’à des centaines de kilomètres pour se rendre au bureau de vote.

Le vote par correspondance sous pli fermé est également possible pour les personnes incarcérées en France.

À l’heure de la transition numérique de l’État, le vote par voie électronique a fait ses preuves pour les Français de l’étranger, qui se tournent de plus en plus vers ce mode de vote : 410 000 citoyens y ont recouru pour les élections législatives de 2024, contre 250 000 en 2022. L’Estonie l’a également instauré avec succès.

L’objet de cette proposition de loi est ainsi de lever les freins à l’expression du droit de vote, et de contribuer à renforcer la participation aux élections politiques de notre pays.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – L’article L. 17 du code électoral est ainsi modifié :

1° À la seconde phrase, le mot : « sixième » est remplacé par le mot : « quatrième » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Il est créé une liste électorale numérique nationale, avec indication du rattachement de l’électeur à un bureau de vote, et permettant l’émargement à distance. En cas de changement d’adresse, le rattachement au nouveau bureau de vote est effectué par l’administration, sauf en cas de refus de changement motivé et formulé expressément. »

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article.

Article 2

I. – Le chapitre VI du titre Ier du livre Ier du code électoral est complété par une section 6 ainsi rédigée :

« Section 6

« Commission citoyenne pour l’organisation et la participation aux élections

« Art. L. 852. – À compter du 1er janvier 2026, le maire de chaque commune établit la liste des électeurs de sa commune parmi lesquels pourront être nommés les présidents et assesseurs des opérations de vote pendant les trois années suivantes. Cette liste, appelée "commission citoyenne pour l’organisation et la participation aux élections", est affichée en mairie. Elle est réactualisée tous les trois ans au 1er janvier. Le maire réunit au moins une fois par an les membres de la commission afin d’anticiper les opérations et la mobilisation pour les élections éventuelles à venir. Il organise la formation des membres de cette commission, et son mode de fonctionnement et de coordination. »

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article.

Article 3

I. – Après la section 3 du chapitre VI du titre Ier du livre Ier du code électoral, est insérée une section 3 bis ainsi rédigée :

« Section 3 bis

« Votes par correspondance

« Art. L. 781. – Par dérogation à l’article L. 54, les électeurs peuvent également voter par correspondance sous pli fermé dans des conditions permettant de respecter le caractère secret et personnel du vote ainsi que la sincérité du scrutin.

« L’électeur souhaitant voter par correspondance par voie postale peut demander à recevoir le matériel de vote lui permettant de voter par correspondance sous pli fermé au premier tour et, le cas échéant, au second tour. Sa demande doit être reçue au plus tard à une date fixée par le ministre de l’intérieur.

« L’électeur qui n’a pas fait usage de son droit de vote par correspondance sous pli fermé conserve la possibilité de voter à l’urne, par procuration ou par correspondance électronique.

« Art. L. 782. – Par dérogation à l’article L. 54, les électeurs peuvent également voter par correspondance électronique, au moyen de matériels et de logiciels permettant de respecter le secret du vote et la sincérité́ du scrutin. Ce vote s’effectue sous le contrôle d’un bureau de vote électronique, transparent et accessible aux délégués des candidats, et dont les conditions de constitution sont précisées par décret.

« L’électeur qui n’a pas fait usage de son droit de vote par correspondance électronique conserve la possibilité de voter à l’urne ou par procuration. »

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article.

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.