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N° 884

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 février 2025.

PROPOSITION DE LOI

contre les fraudes aux moyens de paiement scripturaux,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Daniel LABARONNE, M. David AMIEL, Mme Françoise BUFFET, M. Thomas CAZENAVE, M. Jean-René CAZENEUVE, M. Benjamin DIRX, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Moerani FRÉBAULT, Mme Olivia GRÉGOIRE, Mme Brigitte KLINKERT, M. Jean LAUSSUCQ, M. Michel LAUZZANA, Mme Constance LE GRIP, M. Mathieu LEFÈVRE, Mme Brigitte LISO, M. Christophe MARION, M. Denis MASSÉGLIA, Mme Joséphine MISSOFFE, M. Charles RODWELL, M. Charles SITZENSTUHL, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Corinne VIGNON, M. Éric WOERTH, Mme Sandrine LE FEUR, M. Freddy SERTIN, Mme Anne-Sophie RONCERET, M. Guillaume KASBARIAN, M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, M. Antoine ARMAND, M. Gabriel ATTAL, M. Olivier BECHT, M. Hervé BERVILLE, M. Éric BOTHOREL, M. Florent BOUDIÉ, Mme Maud BREGEON, M. Anthony BROSSE, Mme Danielle BRULEBOIS, M. Stéphane BUCHOU, Mme Céline CALVEZ, Mme Eléonore CAROIT, M. Vincent CAURE, M. Lionel CAUSSE, M. Pierre CAZENEUVE, M. Yannick CHENEVARD, M. François CORMIER-BOULIGEON, Mme Julie DELPECH, M. Philippe FAIT, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Jean-Luc FUGIT, Mme Camille GALLIARD-MINIER, M. Thomas GASSILLOUD, Mme Anne GENETET, Mme Olga GIVERNET, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Emmanuelle HOFFMAN, M. Sébastien HUYGHE, M. Jean-Michel JACQUES, Mme Amélia LAKRAFI, M. Didier LE GAC, Mme Annaïg LE MEUR, Mme Christine LE NABOUR, Mme Nicole LE PEIH, Mme Marie LEBEC, M. Vincent LEDOUX, M. Roland LESCURE, Mme Pauline LEVASSEUR, M. Sylvain MAILLARD, M. Bastien MARCHIVE, Mme Sandra MARSAUD, M. Stéphane MAZARS, Mme Graziella MELCHIOR, M. Ludovic MENDES, M. Nicolas METZDORF, M. Paul MIDY, Mme Laure MILLER, M. Karl OLIVE, Mme Sophie PANONACLE, Mme Natalia POUZYREFF, M. Franck RIESTER, Mme Véronique RIOTTON, Mme Stéphanie RIST, Mme Marie-Pierre RIXAIN, Mme Marie-Ange ROUSSELOT, M. Jean-François ROUSSET, M. Mikaele SEO, M. Bertrand SORRE, Mme Liliana TANGUY, M. Jean TERLIER, Mme Prisca THEVENOT, M. Stéphane TRAVERT, Mme Annie VIDAL, M. Stéphane VOJETTA, Mme Caroline YADAN,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La fraude bancaire, sous toutes ses formes, constitue une menace directe pour la sécurité financière de notre pays. Bien que les moyens de paiement scripturaux en France soient parmi les plus robustes, les fraudeurs adaptent constamment leurs méthodes, exploitant les avancées technologiques pour contourner les dispositifs de sécurité existants.

En 2023, la fraude aux moyens de paiement a engendré un préjudice de 1,195 milliard d’euros au détriment des particuliers et des professionnels. Si le taux de fraude sur les cartes bancaires a atteint son niveau historique le plus bas, soit 0,053 % (496 millions d’euros), et que la fraude sur les paiements en ligne a reculé de 35 %, le taux de fraude sur le chèque connaît un rebond préoccupant avec des pertes s’élevant à 364 millions d’euros. Cette résurgence reflète une évolution des pratiques frauduleuses, renforcée par une baisse des montants échangés.

Par ailleurs, bien que la fraude sur les virements bancaires soit relativement stable (‑0,5 %, soit 312 millions d’euros), près de la moitié de ces fraudes (48 % ou 149,76 millions d’euros) sont liées aux arnaques aux faux IBAN (International bank account number([1]). Cette tendance souligne la persistance de vulnérabilités dans les systèmes de transfert d’argent des particuliers ou des professionnels, malgré les efforts de sécurisation entrepris.

La fraude aux moyens de paiement constitue un enjeu crucial de justice économique et sociale. Renforcer l’arsenal législatif contre ces pratiques frauduleuses est essentiel pour protéger l’ensemble de la population, en particulier les citoyens les plus vulnérables, contre des risques souvent difficiles à détecter et des préjudices fastidieux à réparer.

La lutte contre la fraude est également un levier indispensable pour la préservation des finances publiques. Le recours à des moyens de paiement frauduleux, tels que les faux chèques, pour régler des amendes ou des impôts, porte un préjudice considérable aux ressources de l’État. Dans ce contexte, renforcer la traçabilité et le contrôle de ces instruments devient une priorité afin de garantir un recouvrement optimal et assurer la soutenabilité de nos finances publiques. Cette démarche s’inscrit dans une volonté plus large de préserver l’intégrité financière de l’État et d’assurer une justice fiscale équitable.

Enfin, cette proposition de loi présente un avantage budgétaire majeur : il n’entraîne aucun coût pour les finances publiques. Les coûts liés à la mise en place et à la gestion de ces dispositifs seront pris en charge par le système bancaire, sous la supervision de la Banque de France, tiers de confiance historique dans ce domaine.

Par conséquent, une nouvelle offensive législative s’impose pour intensifier la lutte contre la fraude aux moyens de paiement et assurer une meilleure protection des usagers, des finances publiques et des acteurs économiques.

L’article 1er instaure un fichier national permettant le partage des IBAN douteux afin de renforcer le taux de détection des tentatives de fraude et d’empêcher leur réalisation. L’authentification forte des paiements à distance, mise en œuvre dans le cadre de la deuxième directive européenne sur les services de paiement (DSP 2), a entraîné une évolution des scénarios de fraude. Face à ces nouvelles barrières techniques, les fraudeurs s’orientent désormais vers des manipulations directes de leurs victimes.

Le partage des IBAN douteux permettra ainsi d’identifier et de bloquer rapidement les transactions frauduleuses. Ce fichier national renforcera également la lutte contre les fraudes sociales en centralisant les coordonnées des comptes utilisés par les fraudeurs pour détourner des aides publiques. Les tentatives de fraude afférentes pourront ainsi être bloquées par les prestataires de services de paiement des administrations et entités publiques.

La Banque de France, en tant que garante de la sécurité des moyens de paiement, serait responsable de la centralisation de ces informations sensibles.

Ce dispositif permet à la France de devenir un précurseur en matière de lutte contre la fraude aux moyens de paiement en Europe. Il anticipe la révision de la 2ᵉ Directive européenne sur les services de paiement (DSP 2), qui prévoit le partage de données de fraude entre les prestataires de services de paiement à l’échelle européenne.

L’article 2 renforce le cadre juridique de la lutte contre les chèques falsifiés ou contrefaits. Il vise à apporter un fondement légal à l’arrêté du 24 juillet 1992, lequel prévoit que le Fichier national des chèques irréguliers (FNCI), géré par la Banque de France, centralise les éléments d’identification sur les faux chèques.

Cette situation limite la portée juridique et opérationnelle de ce dispositif essentiel à la lutte contre ce type de fraude, quand bien même l’article L. 163‑3 du code monétaire et financier sanctionne déjà sévèrement la contrefaçon ou la falsification de chèques, en prévoyant une peine d’emprisonnement de cinq ans et une amende de 375 000 euros.

L’article 2 complète les finalités du FNCI décrites à l’article L. 131‑84 du code monétaire et financier en y inscrivant expressément la prise en compte des chèques contrefaits ou falsifiés, deux catégories distinctes de faux chèques. Les dispositions règlementaires correspondantes seront modifiées dans un deuxième temps et les banquiers tirés ou victimes d’une falsification se verront imposer un délai pour en aviser la Banque de France, permettant une mise à jour plus rapide du fichier et une détection accrue des fraudes.

Cette mesure est d’autant plus importante que les faux chèques sont souvent utilisés pour régler des dettes envers l’État, comme des amendes ou des impôts. Renforcer la traçabilité de ces paiements contribue ainsi à la sécurisation des finances publiques.

L’article 3 permet aux banquiers présentateurs de chèques de consulter les données du Fichier national des chèques irréguliers (FNCI) lors de la remise d’un chèque au paiement, simplifiant et sécurisant ainsi la procédure de rejet d’un chèque.

Les banquiers présentateurs de chèque bénéficieront ainsi de la même information que les personnes qui consultent le FNCI lors de la remise d’un chèque pour le paiement d’un bien ou d’un service. En cas de doute, ils pourront différer l’encaissement du chèque, dans l’attente du rejet définitif par la banque du payeur (émetteur du chèque). Cette mesure découle d’une recommandation de l’Observatoire de la Sécurité des moyens de paiement (OSMP) dans son rapport de 2020 (recommandation n° 2). Elle répond à un problème majeur : de nombreux faux chèques sont utilisés pour régler des dettes envers l’État, comme des amendes ou des impôts, retardant ainsi le recouvrement des sommes dues par les contribuables.

 

 


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proposition de loi

Article 1er

Après l’article L. 521‑6 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 521‑6‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 52161. – I. – Afin d’améliorer la prévention, la recherche et la détection des fraudes en matière de paiements, un fichier national enregistre des déclarations comportant les coordonnées bancaires des comptes que les prestataires de services de paiement, définis au I de l’article L. 521‑1 et établis ou exerçant en France, estiment frauduleux ou susceptibles d’être frauduleux en se fondant sur les analyses réalisées dans le cadre de leurs dispositifs internes de lutte contre la fraude. Ce fichier centralise en outre les éléments caractérisant la fraude ou la suspicion de fraude affectant les comptes de paiement déclarés.

« II. – Les prestataires de services de paiement sont responsables de l’alimentation de ce fichier. Ils déclarent sous leur seule responsabilité les informations mentionnées au I et procèdent aux déclarations correctives dès que les raisons de soupçonner la fraude disparaissent. Les frais afférents à ces déclarations ne peuvent être facturés aux clients concernés.

« Ce fichier est géré par la Banque de France. Il est soumis à la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« Les instances locales du fichier qui seraient utilisées, le cas échéant, par les prestataires de services de paiement dans l’optique de récupérer les informations contenues dans le fichier géré par la Banque de France sont de la responsabilité pleine et entière de ces établissements.

« L’inscription des coordonnées d’un compte de paiement au sein du fichier n’emporte pas d’interdiction systématique de réaliser des opérations de paiement impliquant ce compte.

« Lorsqu’un compte de paiement faisant l’objet d’une déclaration dans ce fichier est tenu par un prestataire de services de paiement participant au dispositif, ce dernier effectue l’ensemble des diligences visant à évaluer le caractère frauduleux dudit compte, et actualise le fichier en conséquence.

« III. – La Banque de France est déliée du secret professionnel pour la mise à disposition des informations contenues dans le fichier dans les cas prévus par la loi.

« Il est interdit à la Banque de France et aux prestataires de service de paiement de remettre à quiconque copie des informations contenues dans le fichier.

« Cette interdiction ne s’applique pas aux intéressés, lesquels exercent leur droit d’accès aux informations les concernant contenues dans le fichier conformément à l’article 49 de la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« IV. – Un arrêté du ministre chargé de l’économie, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et du comité consultatif du secteur financier, fixe le contenu des déclarations mentionnées au I, les modalités de collecte, d’enregistrement, de conservation et de consultation des informations ainsi que les modalités d’information des titulaires de comptes de paiement.

« Les tarifs liés à la mise en place et au fonctionnement du fichier sont fixés par arrêté du ministre chargé de l’économie pris après avis de la Banque de France. Ces tarifs sont fixés de manière à couvrir l’intégralité des coûts du dispositif.

« Les dispositions entrent en vigueur immédiatement après la promulgation de la présente loi. »

Article 2

L’article L. 131‑84 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Les mots : « suffisante ou » sont remplacés par le mot : « suffisante, » ;

2° Les mots : « délivrées ou » sont remplacés par le mot : « délivrées, » ;

3° Après la dernière occurrence du mot : « chèque », sont insérés les mots : « , qui a procédé au rejet d’un chèque pour falsification ou contrefaçon ou qui a pris connaissance de la falsification ou de la contrefaçon de chèques ou de formules de chèques ».

Article 3

L’article L. 131‑86 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° La seconde phrase est supprimée ;

2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« La Banque de France assure également l’information du banquier qui, lors de la présentation du chèque au paiement, souhaite vérifier la régularité, au regard du présent chapitre, de l’émission de celui‑ci. 

« L’origine de ces demandes d’information donne lieu à enregistrement. »

 

 


([1])  Rapport annuel de l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement 2023 – Banque de France.