– 1 –
N° 906
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 février 2025.
PROPOSITION DE LOI
pour réformer l’accueil des gens du voyage,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Xavier ALBERTINI, M. Paul CHRISTOPHE, M. Henri ALFANDARI, Mme Béatrice BELLAMY, M. Thierry BENOIT, M. Sylvain BERRIOS, M. Bertrand BOUYX, M. Jean-Michel BRARD, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, Mme Félicie GÉRARD, M. François GERNIGON, M. Pierre HENRIET, M. François JOLIVET, M. Loïc KERVRAN, M. Xavier LACOMBE, M. Thomas LAM, Mme Anne LE HÉNANFF, M. Didier LEMAIRE, Mme Lise MAGNIER, M. Jean MOULLIERE, Mme Naïma MOUTCHOU, M. Jérémie PATRIER-LEITUS, Mme Béatrice PIRON, M. Christophe PLASSARD, M. Jean-François PORTARRIEU, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, Mme Isabelle RAUCH, M. Xavier ROSEREN, Mme Laetitia SAINT-PAUL, M. Vincent THIÉBAUT, M. Frédéric VALLETOUX, Mme Anne-Cécile VIOLLAND,
députés et députées.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Nommer c’est reconnaître, c’est faire exister. Le terme de « gens du voyage » englobe plusieurs populations, qu’elles soient d’origine Rom telles que les Manouches, les Gitans, les Tsiganes, les Roms d’Europe de l’Est, ou non Rom comme les Yenniches.
Selon le Défenseur des Droits, les 300 000 personnes que regroupe cette population se distinguent également par leur mode de vie : un tiers de sédentaires, un tiers de semi‑sédentaires et un tiers de nomades. Ces populations possèdent très majoritairement la nationalité française, tandis que les autres sont des citoyens européens (notamment de nationalité roumaine ou bulgare). Elles ont en commun un mode de vie fondé sur la mobilité, c’est‑à‑dire que leur habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles.
La République reconnaît le mode de vie des gens du voyage et le protège. Depuis la loi n° 90‑449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, dite « loi Besson I », les villes de plus de 5 000 habitants sont tenues de prévoir des « conditions de passage et de séjour des gens du voyage sur son territoire, par la réservation de terrains aménagés à cet effet ».
Des lois structurantes ont fixé les grandes orientations relatives à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, afin de renforcer les garanties de ces derniers. En effet, après le vote de la loi du 31 mai 1990 susmentionnée, la loi n° 2000‑614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, dite « Besson II », a créé le schéma départemental. Ce document de planification vient faciliter l’organisation de l’accueil des gens du voyage sur le territoire, en déterminant les responsabilités afférant à chaque commune et en répartissant, de manière équilibrée, les infrastructures à l’échelle départementale.
Les gens du voyage ont, par ailleurs, et à l’instar de l’ensemble des citoyens, des devoirs : respecter la législation en vigueur. Ainsi, la loi n° 2003‑239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a renforcé les sanctions en créant un délit d’installation illicite sur une propriété privée ou publique, en vue d’y établir une habitation, même temporaire (art. 322‑4‑1 du code pénal). Le fait de ne pouvoir justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d’usage du terrain, est ainsi puni de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. En particulier, lorsque l’installation s’est faite au moyen de véhicules automobiles, il peut être procédé à leur saisie, à l’exception des véhicules destinés à l’habitation, en vue de leur confiscation par la juridiction pénale. De même, des peines complémentaires de suspension du permis de conduire ou de confiscation du ou des véhicules utilisés pour commettre l’infraction ont été prévues.
La loi n° 2007‑297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance substitue quant à elle à la procédure judiciaire une procédure de police administrative pour évacuer des campements illégaux. Il revient désormais au préfet, en cas de stationnement illicite, de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux suite à une demande émanant du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain.
Loi structurante pour la définition des responsabilités locales, la loi n° 2015‑991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a transféré la compétence de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion des aires d’accueil aux établissements publics de coopération communale (EPCI) à partir du 1er janvier 2017.
En 2012, le Conseil constitutionnel (CC, n° 2012‑279 QPC du 5 octobre 2012, M. Jean‑Claude P.) a rendu une décision majeure pour la reconnaissance des droits des gens du voyage. En effet, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le juge constitutionnel a invalidé plusieurs dispositions de n° 69‑3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. Tout en considérant que l’existence de titres de circulation était justifiée par la différence de situation entre les personnes qui ont un domicile et celles qui en sont dépourvues, le Conseil constitutionnel a jugé que l’obligation de faire viser tous les trois mois ces titres porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir. De plus, l’existence de titres distincts suivant les ressources des personnes n’était pas conforme au principe d’égalité. Il a donc étendu à l’ensemble des personnes concernées la seule obligation de détention du livret de circulation.
Suite à cette décision, la n° 2017‑86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a abrogé le livret de circulation et supprimé le statut spécifique des gens du voyage.
Enfin, la loi n° 2018‑957 du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites a acté des avancées importantes, en distinguant clairement les compétences respectives des communes (présence d’une aire ou d’un terrain d’accueil sur leur territoire et participation, le cas échéant, à leur financement) et des EPCI chargés de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion de ces aires et terrains. Elle renforce également les sanctions pénales en cas d’occupation illicite d’un terrain, en doublant les peines encourues en cas d’installation en réunion et sans titre sur le terrain d’autrui et en prévoyant l’application de la procédure d’amende forfaitaire délictuelle.
En parallèle, au cours de ces trois décennies, les difficultés des gens du voyage à s’intégrer et à accéder à leurs droits ont été mises en lumière par de multiples rapports. Ces travaux ont permis de déployer davantage de mesures d’accompagnement social, scolaire, de prévention de la pauvreté, et d’insertion par l’emploi. Il s’agit là d’un travail essentiel qui doit être approfondi. Lutter contre les discriminations est un des premiers enjeux de la République.
Affirmer qu’un équilibre doit être trouvé entre le respect de ce mode de vie et le respect de la tranquillité publique, de l’ordre public et du droit de propriété est donc une évidence et un constat partagé, et de nombreuses mesures ont déjà été prises à cette fin.
Nos élus locaux sont toutefois encore trop souvent confrontés à des individus, ou groupes d’individus, qui contournent la législation ainsi que les infrastructures d’accueil qui existent pourtant. Ces occupations illicites de terrain, récurrentes dans certains de nos territoires, en particulier en milieu urbain et péri‑urbain, apportent désagrément, mobilisation excessive des forces de l’ordre et dépenses indues de remise en état des terrains en question.
Cette proposition de loi vise donc à renforcer les moyens juridiques à disposition des collectivités locales et des propriétaires privés face aux installations illicites, tout en veillant à maintenir l’équilibre entre le respect du mode de vie des gens du voyage, et le respect de la législation en vigueur.
L’article 1er de la proposition de loi vise à modifier l’article 322‑4‑1 du code pénal. L’occupant, pour apporter la preuve de son installation licite sur un terrain, devra être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d’usage du terrain.
Il est également proposé de porter de 500 euros à 1 000 euros le montant de l’amende forfaitaire délictuelle due en cas d’installation sans titre.
Le dernier alinéa de l’article premier vise enfin à prévoir la saisie, de manière systématique, des véhicules automobiles ayant permis l’installation sans titre – tout en préservant l’exception relative aux véhicules destinés à l’habitation par nature et non par transformation.
L’article 2 vient renforcer la procédure administrative d’évacuation d’office des résidences mobiles en cas de stationnement illicite.
Il est d’abord proposé de doubler la durée d’effet de la mise en demeure du préfet, pour atteindre 14 jours. Une telle évolution est en effet nécessaire pour éviter que les campements évacués ne se reconstituent de nouveau de manière illicite sur la commune ou sur le territoire de l’EPCI dans un laps de temps court.
Il est également proposé de transformer la compétence discrétionnaire du préfet s’agissant de l’évacuation d’office dès lors que la mise en demeure n’a pas été suivi d’effet, en une compétence liée.
Enfin, l’alinéa 3 de l’article 2 vise à procéder, de manière purement rédactionnelle, à la mise à jour de la dénomination des tribunaux, le tribunal de grande instance étant devenu le tribunal judiciaire depuis la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice.
L’article 3 de la présente proposition de loi vise enfin à compléter l’article 322‑3 du code pénal. La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est actuellement punie de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende dans des cas énumérés limitativement. Cet article vise à inclure comme fait générateur de ce délit l’installation sans titre sur un terrain. En effet, alors que les collectivités locales et les propriétaires privés constatent trop souvent d’importants dégâts suite à des occupations illicites de terrain, ces comportements ne doivent pas rester sans sanction.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
L’article 322‑4‑1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’occupant doit pouvoir justifier de l’identité du propriétaire ou de celle du titulaire du droit d’usage du terrain. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) À la fin de la première phrase, le montant : « 500 euros » est remplacé par le montant : « 1 000 euros » ;
b) La seconde phrase est ainsi modifiée :
– le montant : « 400 euros » est remplacé par le montant : « 750 euros » ;
– à la fin, le montant : « 1 000 euros » est remplacé par le montant : « 1 500 euros » ;
3° Au dernier alinéa, après le mot : « habilitation », sont insérés les mots : « par nature et non par transformation ».
Article 2
L’article 9 de la loi n° 2000‑614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage est ainsi modifié :
1° Le II est ainsi modifié :
a) Au quatrième alinéa, le mot : « sept » est remplacé par le mot : « quatorze » ;
b) Au cinquième alinéa, les mots : « peut procéder » sont remplacés par le mot : « procède » ;
2° À la première phrase du IV, les mots : « de grande instance » sont remplacés par le mot : « judiciaire ».
Article 3
Après le 5° de l’article 322‑3 du code pénal, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis. Lorsqu’elle est commise au cours d’une installation sans droit ni titre sur un terrain constitutive de l’infraction prévue à l’article 322‑4‑1 ; ».