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N° 963

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à favoriser le respect de l’Accord de Paris sur le climat en mettant fin à la consommation de gaz de schiste en France,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Delphine BATHO, les membres du groupe Écologiste et Social [(1)],

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 20 janvier 2025, dès le premier jour de son mandat, le Président Donald Trump a signé un décret décidant du retrait des États‑Unis de l’Accord de Paris sur le climat, qualifié « d’escroquerie injuste et unilatérale ». Ce retrait, notifié aux Nations unies le 27 janvier, constitue une attaque d’une portée historique contre l’action climatique.

Le réchauffement climatique, considéré comme un « canular » par M. Donald Trump, s’intensifie et provoque une multiplication des catastrophes aux quatre coins du monde. La France est durement touchée, de Mayotte à la Bretagne, des incendies de Gironde aux inondations du Pas de Calais, des pertes de récoltes agricoles aux millions d’habitants dont les maisons sont exposées aux retraits gonflements des argiles. La trajectoire actuelle du climat, si elle se poursuit, engage le destin de l’humanité tout entière. Or, à ce jour, l’Accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015 lors de la 21e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques présidée par la France, est le seul traité international visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre provoquées par les activités humaines. Il a été ratifié par tous les pays sauf l’Iran, le Yémen et la Libye.

La décision de la nouvelle administration américaine appelle nécessairement une réaction forte de la communauté internationale. Première puissance économique mondiale, les États‑Unis sont en effet historiquement le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre et demeurent le second émetteur en 2024. Il s’agit également du premier pays producteur de pétrole et de gaz fossile du monde. La décision de M. Donald Trump pourrait générer 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2 supplémentaires d’ici 2030, soit l’équivalent des émissions annuelles de l’Europe et du Japon, et des dommages mondiaux d’une valeur de plus de 900 milliards de dollars ([1]). Elle concerne de ce fait l’ensemble des nations.

La sortie de l’Accord de Paris s’accompagne d’une puissante offensive pour l’exploitation à outrance des énergies fossiles et leur exportation. Lors de son investiture, après une campagne électorale marquée par le slogan « Drill, baby, drill », le Président Trump a clairement énoncé ses intentions : « Nous avons quelque chose qu’aucune autre nation manufacturière n’aura jamais : la plus grande quantité de pétrole et de gaz de tous les pays de la Terre — et nous allons l’utiliser. Nous allons l’utiliser. Nous ferons baisser les prix, nous remplirons à nouveau nos réserves stratégiques jusqu’au bout et exporterons de l’énergie américaine dans le monde entier ». Levant les restrictions sur les nouvelles infrastructures de GNL ([2]) instaurées par Joe Biden, il entend en particulier amplifier l’exportation de gaz de schiste, hydrocarbure non conventionnel issu de la fracturation hydraulique, qui constitue 78 % de la production américaine de gaz fossile selon les données officielles de l’Agence américaine de l’énergie.

La France est le second importateur de GNL américain de l’Union européenne, avec plus de 13 milliards de mètres cubes en 2023 ([3]). La présente proposition de loi vise à s’émanciper de cette dépendance. Il s’agit d’un acte de résistance climatique et de cohérence énergétique.

La France a en effet été le premier pays au monde à interdire la fracturation hydraulique sur son sol. La loi n° 2011‑835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique a proscrit l’usage de cette technique en raison de ses impacts environnementaux dévastateurs : consommation colossale d’eau, contamination des nappes phréatiques, de l’air, des sols et des écosystèmes par des additifs chimiques toxiques, des éléments radioactifs et des métaux lourds. La loi n° 2017‑1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures a confirmé ces dispositions en précisant que cette interdiction s’applique également à « toute autre méthode » non conventionnelle.

Aux justifications des décisions de la représentation nationale s’ajoutent, depuis lors, de nouvelles données accablantes. L’impact du gaz de schiste sur l’effet de serre s’avère nettement supérieur à celui du gaz conventionnel ([4]), du pétrole et même 33 % supérieurs à celui du charbon[5]. L’exploitation du gaz de schiste est à l’origine d’importantes fuites de méthane, dont le pouvoir de réchauffement global est 80 fois plus élevé que celui du CO2 sur une période de vingt ans et 8 fois plus élevé sur une période de 500 ans ([6]). De plus, la fracturation hydraulique a des conséquences graves pour la santé des populations habitant près des forages. On y relève notamment 61 polluants atmosphériques dangereux, au premier rang desquels le benzène et le formaldéhyde, de puissants cancérigènes. Plus de 120 études établissent les effets néfastes sur la santé liés à l’exploitation du gaz de schiste : cancers, mais aussi asthme, maladies respiratoires, éruptions cutanées, problèmes cardiaques, troubles mentaux, naissances prématurées et diminution de l’espérance de vie des personnes âgées ([7])

La France peut et doit se passer du gaz de schiste de M. Donald Trump.

L’importation de ce type d’énergie fossile dans notre pays s’est installée progressivement à partir du milieu des années 2010, sans aucun débat démocratique malgré les alertes des parlementaires écologistes. Elle a pris une nouvelle ampleur depuis 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie de M. Vladimir Poutine. La loi du 16 mars 2022 a accordé des dérogations au droit de l’environnement pour le projet de terminal méthanier flottant au large du Havre, destiné à augmenter les capacités d’importation de gaz de schiste américain. Les États‑Unis sont devenus le premier fournisseur de gaz fossile de notre pays depuis 2022, avec 25 % des entrées brutes ([8]). En 2024, 55 % des exportations américaines de GNL, et donc de gaz de schiste, ont été destinées à l’Europe. Tandis que M. Donald Trump menace l’Union européenne de droits de douane si elle n’achète pas davantage de GNL américain, la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a clairement envisagé de céder à ce chantage et d’aggraver cette dépendance : « Nous recevons encore beaucoup de GNL de Russie alors pourquoi ne pas le remplacer par du GNL américain qui est moins cher pour nous et fait baisser nos prix de l’énergie ? » ([9]). Cette politique du fait accompli n’est pas acceptable. Elle est même suicidaire.

Dans son rapport annuel 2023, le Haut Conseil pour le climat alertait déjà : « La réponse de l’UE et des États membres à l’invasion de l’Ukraine par la Russie a eu de nombreuses implications structurelles pour l’atteinte des objectifs climatiques. (…) Même si les conséquences immédiates ont été la baisse de la demande en énergie et des émissions associées, les risques d’effets de verrouillage doivent être gérés, notamment concernant les investissements liés à l’augmentation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) et le développement de nouvelles relations commerciales avec les pays producteurs de pétrole et gaz fossiles ». Le Haut Conseil pour le climat recommandait notamment de « limiter l’utilisation du GNL à long terme en cohérence avec les objectifs climatiques de la France ».

À l’heure où la nouvelle administration américaine fait sécession dans la lutte planétaire contre le changement climatique, mène une politique obscurantiste, va jusqu’à censurer toute mention des données scientifiques sur l’évolution du climat dans les publications des agences fédérales et menace ses alliés historiques de guerre commerciale, la France doit mettre en œuvre cette recommandation de toute urgence. Il y va de la prévention de risques sanitaires et environnementaux sérieux et de la sécurité humaine sur le territoire français, qui subira les conséquences de l’aggravation du changement climatique résultant des émissions de gaz à effet de serre générées par les décisions de M. Donald Trump. Il en va du respect de l’Accord de Paris pour le climat, mais aussi de notre indépendance énergétique, de notre résilience et de notre autonomie stratégique. Dans un contexte géopolitique instable et dangereux, la France ne doit dépendre pour son énergie ni de M. Vladimir Poutine, ni de M. Donald Trump.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

L’article unique complète les dispositions du code de l’environnement relatives à la lutte contre l’intensification de l’effet de serre et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique reconnues comme priorités nationales, afin d’interdire la distribution et la consommation de gaz de schiste sur le territoire national, en s’appuyant sur la définition juridique retenue par le code minier pour interdire la fracturation hydraulique.

 


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proposition de loi

Article unique

Le chapitre IX du titre II du livre II du code de l’environnement est complété par une section 11 ainsi rédigée :

« Section 11

« Réduction de l’empreinte carbone liée aux énergies fossiles exploitées par fracturation hydraulique

« Art. L. 22977. – Afin de respecter les priorités nationales mentionnées au premier alinéa de l’article L. 229‑1 et en cohérence avec les engagements internationaux de la France et ses objectifs de réduction de l’empreinte carbone, la distribution et la consommation d’hydrocarbures liquides ou gazeux issus de forages suivis de fracturation hydraulique ou de forages suivis de l’emploi de toute autre méthode conduisant à ce que la pression de pore soit supérieure à la pression lithostatique de la formation géologique mentionnés à l’article L. 111‑13 du code minier sont interdites sur le territoire national. »

 

 


([1])  Analysis : Trump election win could add 4bn tonnes to US emissions by 2030, Carbon Brief, 6 mars 2024.

([2])  Gaz naturel liquéfié.

([3])  Dont une partie serait destinée à d’autres pays après regazéification. Données compilées par l’European LNG Tracker de l’IEEFA. Voir également l’enquête de Disclose, Gaz de schiste : l’État français dissimule des importations massives depuis les États-Unis, 26 avril 2023. Selon la Direction générale du Trésor, les importations de GNL depuis les États-Unis vers la France s’élèvent à 15,9 milliards d’euros en 2022 et 6,6 milliards d’euros en 2023.

([4])  Alexandre Joly et Justine Mossé, Importations de gaz naturel : tous les crus ne se valent pas, Carbone 4, octobre 2021.

([5])  Robert W. Howarth, The greenhouse gas footprint of liquefied natural gas (LNG) exported from the United States, Energy Science & Engineering, vol. 12, n° 11, 3 octobre 2024, pages 4843-4859.

([6])  GIEC, sixième rapport d’évaluation (AR6).

([7])  Physicians for Social Responsability et Concerned Health Professionals of New York, « Compendium of Scientific, Medical, and Media Findings Demonstrating Risks and Harms of Fracking and Associated Gas and Oil Infrastructure », 27 octobre 2023, 9ème édition.

([8])  Chiffres clés de l’énergie, édition 2023, Service des données et études statistiques des ministères chargés de l’environnement et de l’énergie.

([9])  Conférence de presse à l’issue du sommet européen de Budapest, 7 novembre 2024.


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET.