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N° 967
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à réguler l’organisation et l’implantation des activités d’imagerie médicale afin de garantir un égal accès aux soins pour tous et de qualité, en France métropolitaine et dans les territoires d’outre-mer,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, Mme Karine LEBON, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. André CHASSAIGNE, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, M. Jean-Paul LECOQ, M. Emmanuel MAUREL, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU, les membres du groupe Gauche Démocrate et Républicaine [(1)],
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’accès à l’imagerie médicale en Hexagone et dans les territoires ultramarins, régis par les articles 73 et 74 de la Constitution, est menacé par la concentration croissante des centres d’imagerie médicale sous la tutelle de groupes financiers, notamment dans les zones urbaines où la rentabilité est plus élevée.
Depuis 2022, l’Académie nationale de médecine a mis en garde contre l’ampleur grandissante de la financiarisation du secteur de la radiologie en raison de l’acquisition par des groupes financiers relevant de fonds d’investissement. Si les radiologues se font de plus en rares, les offres financières attractives masquent mal plusieurs risques pour les professionnels et les patients.
Il faut tout d’abord mettre en exergue l’absence de transparence du montage de nombre de sociétés d’exercice libéral qui se portent acquéreur des plateformes professionnelles avec, pour conséquence, le fait que les investisseurs n’apparaissent pas dans le capital de ces sociétés auxquelles les professionnels de santé vont se lier par contrat. De fait, les contrats proposés sont abscons :
– D’une part, les professionnels exerçant dans ces sociétés n’ont ni la maîtrise de la gouvernance et de la gestion, ni le contrôle des droits financiers ;
– D’autre part, les Conseils départementaux de l’Ordre des médecins (CDOM) donnent leur avis sur les statuts des sociétés, mais pas sur les contrats connexes et complexes conclus par ailleurs et souvent non communiqués. Par un mécanisme d’emboîtement de structures, ces divers autres contrats et pactes d’associés signés par les professionnels lient ceux‑ci à des sociétés « de prestations de services » (filiales, holdings) qui, elles‑mêmes, louent les autorisations des Agences régionales de santé, les locaux, le matériel ou le personnel.
La deuxième dérive tient aux contrats d’exercice, souvent imposés entre les médecins et les sociétés, les assujettissant à un arsenal de clauses sur les modalités d’exercice, à des obligations (itinérance sur des sites distincts, durée obligatoire d’exercice au sein de la société pour percevoir le solde du prix de cession, gardes et astreintes, plateformes imposées d’exercice, exclusivités d’exercice dans le ou les établissements choisis par le groupe, sanctions si les objectifs quantifiés ne sont pas atteints, nombre et types d’examens ou de vacations), voire à des limitations ou interdictions de communication.
En bout de course, ces contrats conclus entre les professionnels posent question pour les patients. En effet, ils entraînent avec eux une déréglementation professionnelle du fait de la perte d’autonomie décisionnelle, un choix prééminent pour les examens plus rentables.
Si le phénomène est croissant en Hexagone, les territoires dits d’Outre‑mer en subissent d’ores et déjà les conséquences directes.
La situation particulière de La Réunion se caractérise par un déséquilibre dans la répartition de l’offre de soins, de longs délais d’attente pour accéder aux examens diagnostiques, et une dépendance accrue des cabinets d’imagerie médicale à deux groupes financiers. Ces conditions exacerbent les inégalités d’accès aux soins entre zones urbaines et rurales.
La situation démographique et géographique de La Réunion, marquée par les contraintes de l’insularité, une population vieillissante, et des taux de prévalence de maladies chroniques élevés (notamment le diabète et les maladies cardiovasculaires), exige une régulation renforcée de l’implantation et du fonctionnement des structures radiologiques.
La population de La Réunion est actuellement jeune, mais le vieillissement démographique est rapide. D’ici 20 ans, une part croissante de la population entrera dans la tranche d’âge des plus de 65 ans, ce qui augmentera la fréquence des maladies chroniques, y compris les cancers.
Cela exercera une pression accrue sur le système de santé local, qui devra s’adapter à une demande plus élevée en soins spécialisés et en traitements pour les pathologies liées à l’âge.
L’augmentation des taux d’incidence des cancers est déjà observée, en grande partie à cause du vieillissement de la population. Les taux d’incidence des cancers comme le colorectal et le sein ont doublé en 10 ans. Si cette tendance se poursuit, l’incidence des cancers pourrait croître de manière significative, entraînant une saturation des infrastructures et des professionnels de santé.
Les taux de survie à 5 ans pour la plupart des cancers restent inférieurs à ceux de l’Hexagone. Cela s’explique par des diagnostics plus tardifs, des comorbidités plus fréquentes, et un accès limité aux traitements les plus avancés. À moins que des mesures ne soient prises pour améliorer le dépistage précoce et l’accès aux soins, cet écart risque de persister, voire de se creuser.
Les fortes disparités sociales et territoriales, associées à des niveaux de revenus bas et une faible littératie en santé, risquent d’aggraver les inégalités en matière de santé. Cela pourrait entraîner une augmentation de la mortalité évitable et une difficulté accrue à mettre en œuvre des programmes de prévention et d’accès aux soins pour les populations les plus vulnérables.
Enfin, le manque de spécialistes en cancérologie et leur vieillissement dans d’autres domaines médicaux, notamment en radiologie pourraient s’aggraver si des actions de recrutement et de formation ne sont pas entreprises. La demande croissante en soins, couplée au déficit actuel en professionnels de santé, pourrait entraîner un engorgement du système et des temps d’attente plus longs pour les patients.
C’est dans ce contexte que la financiarisation de la santé et, en l’occurrence, de l’imagerie médicale manifeste particulièrement ses effets délétères. Une récente mission d’information de la commission des affaires sociales au Sénat a examiné de près cette transformation d’un « capitalisme dit professionnel », dans lequel les médecins, pharmaciens, biologistes ou radiologues conservent la maîtrise des moyens de production des cabinets et des cliniques, vers un « capitalisme financiarisé », où les investisseurs extérieurs prennent le contrôle financier et stratégique des sociétés. Si le rapport établit la teneur de l’investissement, « rentable » et « sûr » pour les groupes privés, avec des valorisations qui peuvent atteindre, dans le secteur de l’imagerie, treize à quinze fois l’excédent brut d’exploitation, il évoque, à propos de la rémunération de ces acteurs, une « boîte noire » pour les pouvoirs publics. Dès lors, le rapport interroge la capacité des agences régionales de santé et de l’Assurance maladie à contrôler ce processus, et notamment « le respect des critères d’accessibilité, de qualité et de pertinence des soins ». Dans ce cadre, le rapport énumère un certain nombre de questions que cette financiarisation soulève et qui engendre de lourdes conséquences pour les patients : comment assurer le respect du principe d’indépendance des professionnels ? Comment limiter les effets de concentration des établissements, ou encore de sélection d’actes plus rentables que d’autres ?
C’est sur la base de l’ensemble de ces constats désormais bien documentés que cette proposition de loi propose donc de rééquilibrer l’accès à l’imagerie médicale sur l’ensemble du territoire, de renforcer le soutien aux professionnels de santé locaux, et de limiter l’influence des investisseurs non médicaux afin de garantir l’indépendance des soignants et une qualité de soins égale pour tous les citoyens.
Dans cette perspective, la présente proposition de loi inscrit dans le code de la santé publique un chapitre dédié à diverses mesures « relatives à l’organisation et à l’implantation des activités d’imagerie médicales » (article 1er).
Dans ce cadre, les auteurs de la proposition de loi proposent de créer un schéma d’organisation et d’implantation des activités d’imagerie médicale, qui serait défini par les agences régionales de santé et dont le respect conditionnerait l’autorisation de création, de changement d’implantation ou de cession d’une activité d’imagerie médicale. La mise en place d’un tel schéma permettrait ainsi de réguler l’installation des activités d’imagerie médicale en fonction des besoins des populations et des spécificités territoriales. Ce schéma veillerait particulièrement à assurer une accessibilité spatiale des centres d’imagerie médicale et un délai raisonnable de prise en charge de tous les patients.
En outre, dans les territoires dits « d’Outre‑Mer », ce schéma viendrait en soutien au développement des centres de soins publics ou privés non lucratifs spécialisés en cancérologie et imagerie médicale de la femme tant les besoins actuels et à venir en la matière sont croissants et très insuffisamment couverts dans ces territoires.
Afin de préserver l’indépendance des soignants et de lutter efficacement contre les aspects délétères de la financiarisation des activités d’imagerie médicale, les auteurs de la proposition de loi inscrivent les recommandations formulées par le Sénat à l’issue de la mission d’information sur la financiarisation de l’offre de soins. L’enjeu est de contenir l’influence des acteurs financiers non professionnels au sein des sociétés d’exercice libéral en encadrant davantage la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein de ces sociétés, sur la base des articles 5 et 6 de la loi n° 90‑1258 du 31 décembre 1990.
Enfin, les auteurs de la présente proposition de loi suggèrent la création d’un « observatoire de la qualité des soins d’imagerie médicale » dont les données territorialisées seront publiées annuellement afin de soutenir sur le long terme un développement juste des activités d’imagerie médicale sur l’ensemble du territoire.
L’article 2 constitue le gage de la proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
Après le chapitre Ier du titre II du livre Ier de la sixième partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre Ier bis ainsi rédigé :
« Chapitre Ier bis
« Mesures diverses relatives à l’organisation et à l’implantation des activités d’imagerie médicale
« Art. L. 6121‑12. – Le schéma d’organisation et d’implantation des activités d’imagerie médicale a pour objet de prévoir et susciter les évolutions nécessaires de l’offre en imagerie médicale sur la base d’une évaluation des besoins de santé de la population et de leur évolution compte tenu des données démographiques, épidémiologiques et territoriales, ainsi que des progrès des techniques médicales et après une analyse, quantitative et qualitative, de l’offre de soins et d’équipements lourds existante.
Le schéma d’organisation et d’implantation des activités d’imagerie médicale garantit le respect des principes d’égalité d’accès et de prise en charge sanitaire. À cette fin, il assure l’accessibilité spatiale des activités d’imagerie médicale sur l’ensemble du territoire en tenant compte des particularités des territoires régis par les articles 73 et 74 de la Constitution, ainsi que la prise en charge des patients dans un délai raisonnable. Ce délai raisonnable de prise en charge, par type d’examen, est défini par décret après avis de la Haute Autorité de santé.
Dans les territoires régis par les articles 73 et 74 de la Constitution, le schéma d’organisation et d’implantation des activités d’imagerie médicale veille à soutenir et à faciliter le déploiement de centres de soins publics ou privés non lucratifs spécialisés en cancérologie et imagerie médicale de la femme.
Le schéma d’organisation et d’implantation des activités d’imagerie médicale est défini par les agences régionales de santé mentionnées à l’article L. 1431‑1 du présent code et conformément à leurs missions définies à l’article L. 1431‑2 du même code.
Le schéma d’organisation et d’implantation des activités d’imagerie médicale est réexaminé tous les deux ans sur la base d’une mise à jour de l’évaluation mentionnée dans le présent article.
« Art. L. 6121‑13. – Le respect du schéma d’organisation et d’implantation d’imagerie médicale conditionne l’autorisation délivrée par l’agence régionale de santé de création, de changement d’implantation ou de cession d’une activité d’imagerie médicale.
« Art. L. 6121‑14. – Les praticiens en imagerie médicale sont soumis aux dispositions de l’article L. 162‑2 du code de la sécurité sociale.
« Art. L. 6121‑15. – Les agences régionales de santé sont chargées d’évaluer le respect du schéma d’organisation et d’implantation, notamment en ce qui relève des délais de prise en charge et d’absence de sélection des patients au sein des structures d’imagerie médicale existantes.
« Lorsqu’une évaluation laisse supposer l’existence de pratiques non conformes aux termes du schéma d’organisation et d’implantation en vigueur, l’agence régionale de santé compétente notifie dans un délai de sept jours les mesures correctrices devant être prises.
« Elle met en demeure la structure concernée de se mettre en conformité dans un délai d’un mois.
« Lorsqu’il est constaté des manquements portant atteinte à la sécurité des patients ou lorsqu’il n’a pas été satisfait, dans le délai fixé, à la mise en demeure, l’agence régionale de santé prononce la suspension immédiate de l’autorisation de la structure d’imagerie médicale.
« En outre, l’agence régionale de santé peut prononcer des sanctions financières dont le montant ne peut être inférieur à 5 % du chiffre d’affaires annuel de la structure concernée.
« Les investisseurs ne relevant pas d’une activité médicale peuvent être interdits d’investir dans le secteur de l’imagerie médicale pour une durée ne pouvant être inférieure à deux ans à compter de la date de retrait de l’autorisation en imagerie médicale.
« Art. L. 6121‑16. – Aucun acte, notamment les pactes d’associés, ne peut avoir pour objet ou pour effet de contourner les règles de détention prévues aux articles 5 et 6 de la loi n° 90‑1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif et réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières des professions libérales.
« Aucune personne, physique ou morale, ne relevant pas des catégories définies aux articles 5 et 6 de la loi n° 90‑1258 du 31 décembre 1990 précitée, ne peut bénéficier de droits financiers ou décisionnels au delà de la portion du capital qu’elle détient, notamment par l’utilisation d’un système d’actions de préférence.
« Art. L. 6121‑17. – Il est créé un observatoire de la qualité des soins d’imagerie médicale dont l’objet est de mesurer la performance des structures d’imagerie médicale en termes de qualité de prise en charge et d’égalité de prise en charge, comprenant une évaluation des tarifs pratiqués par type d’acte et tenant compte des spécificités des territoires régis par les articles 73 et 74 de la Constitution. Ces données sont publiées annuellement et accompagnées, le cas échéant, de recommandations pour améliorer la prise en charge des patients.
« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret. »
Article 2
I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. André CHASSAIGNE, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Emmanuel MAUREL, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU.