N° 1086

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à garantir une protection sociale équitable aux travailleurs indépendants en simplifiant l’accès à l’allocation des travailleurs indépendants,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane VIRY, M. Thierry BENOIT, M. Philippe BONNECARRÈRE, M. Michel CASTELLANI, Mme Sophie ERRANTE, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Béatrice PIRON, M. Olivier FALORNI, M. Laurent MAZAURY, M. Joël BRUNEAU, M. Jean-Carles GRELIER, Mme Delphine LINGEMANN, M. Salvatore CASTIGLIONE, M. Philippe GOSSELIN, M. Vincent ROLLAND, M. Nicolas RAY, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Virginie DUBY-MULLER, Mme Sandrine JOSSO, M. Richard RAMOS, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. François RUFFIN, M. Vincent DESCOEUR, Mme Claudia ROUAUX,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les travailleurs indépendants, loin d’être une catégorie marginale, sont les artisans du quotidien. Ils sont des commerçants de proximité, des artisans du bâtiment, des thérapeutes, des freelances dans le secteur numérique, des agriculteurs, ou encore des créateurs d’entreprises qui apportent une valeur essentielle à notre économie. Ces entrepreneurs, souvent invisibles aux yeux de nombreux citoyens, prennent des risques en décidant de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Ils investissent leur temps, leurs économies, et parfois leurs biens personnels pour créer une activité qui, bien qu’elle participe pleinement à la vie économique et sociale, peut se retrouver confrontée à des aléas incontrôlables : une crise économique, une chute de la demande, des charges trop lourdes, ou encore des facteurs externes comme la pandémie de covid‑19. Dans un environnement où la compétitivité est forte et les marges souvent réduites, ces travailleurs assument un risque majeur, sans véritable filet de sécurité. Ils ne sont pas seulement des acteurs économiques, mais aussi des maillons indispensables de notre société, et à ce titre, ils méritent d’être pleinement inclus dans notre système de solidarité nationale.

Avec 3,3 millions de travailleurs indépendants en France, soit environ 10 % de la population active, la question de leur protection sociale en cas de perte d’activité est un enjeu majeur. Pourtant, les chiffres actuels démontrent un échec criant du dispositif mis en place pour répondre à cette problématique. Fin 2021, seulement 0,01 % des allocataires de l’assurance‑chômage bénéficiaient de l’Allocation des travailleurs indépendants (ATI), soit un nombre largement inférieur aux 29 000 bénéficiaires prévus par l’étude d’impact initiale. En février 2021, 16 mois après l’entrée en vigueur de l’ATI, seuls 911 travailleurs indépendants avaient pu en bénéficier, pour un coût total de 3 millions d’euros, alors que les prévisions tablaient sur 140 millions d’euros de dépenses annuelles. Ce bilan démontre un écart considérable entre l’ambition initiale du dispositif et sa réalité d’application.

« Nous permettrons à tous les travailleurs d’avoir droit à l’assurancechômage. Les artisans, les commerçants indépendants, les entrepreneurs, les professions libérales et les agriculteurs disposeront, comme les salariés, de cette protection. » Ces mots, inscrits dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, soulignaient la nécessité de combler une faille dans notre système de protection sociale. En effet, jusqu’à la mise en place de l’ATI, les travailleurs indépendants étaient privés de toute indemnisation en cas de cessation d’activité, contrairement aux salariés qui bénéficient d’une assurance‑chômage grâce à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Cette situation, particulièrement précaire pour une partie non négligeable de la population active, appelait à une réforme ambitieuse et inclusive.

C’est dans cette optique que la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a instauré l’ATI, une allocation spécifique pour les indépendants. Son montant, fixé à 800 euros par mois pendant six mois, visait à offrir un minimum de sécurité aux entrepreneurs contraints de cesser leur activité. Toutefois, dès sa mise en œuvre, le dispositif a été critiqué pour ses critères d’éligibilité trop restrictifs. Initialement, seuls les indépendants ayant fait l’objet d’une liquidation ou d’un redressement judiciaire pouvaient y prétendre, ce qui excluait de fait une majorité de travailleurs non‑salariés, notamment les micro‑entrepreneurs et les travailleurs de plateforme.

Face à la crise du covid‑19 et à la mise en évidence des insuffisances de l’ATI, le gouvernement a tenté d’assouplir l’accès à cette allocation par un décret du 30 mars 2022. Désormais, les indépendants dont l’activité n’est plus économiquement viable peuvent y prétendre, sous réserve de remplir trois nouvelles conditions : une baisse d’au moins 30 % de leurs revenus déclarés, l’obtention d’une attestation de non‑viabilité délivrée par un tiers (comme un expert‑comptable ou la Chambre de commerce et d’industrie) et le respect des critères de revenus antérieurs. Malgré ces évolutions, le dispositif reste largement sous‑utilisé et inadapté aux réalités des travailleurs indépendants.

Plusieurs constats permettent d’expliquer ces lacunes. Tout d’abord, la liste des activités donnant droit à l’ATI exclut encore certains travailleurs non‑salariés, ce qui crée une inégalité entre les différentes formes d’indépendance. L’article 1er de la présente proposition de loi vise à ouvrir l’accès à l’ATI à l’ensemble des travailleurs nonsalariés. L’enjeu est de clarifier l’éligibilité de certains statuts juridiques et sociaux, afin d’assurer une couverture plus large et plus juste.

De plus, l’un des principaux freins au recours à l’ATI réside dans l’exigence d’une cessation d’activité définitive et involontaire, qui doit obligatoirement passer par une procédure judiciaire de liquidation ou de redressement. Or, cette condition est en totale déconnexion avec la réalité d’une majorité de travailleurs indépendants, notamment les micro‑entrepreneurs qui ne sont pas concernés par ces procédures. Comme l’a souligné l’Unédic, ce paramètre exclut de fait une grande partie des indépendants. Juridiquement, ils ne sont pas exclus du dispositif, mais en pratique, ils n’ont pas la possibilité d’y recourir. Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) a ainsi proposé d’amender ce critère afin d’inclure la liquidation amiable comme cause légitime de cessation d’activité, dès lors qu’elle vise à anticiper une cessation de paiement. Cette modification permettrait de lever une restriction qui empêche actuellement de nombreux indépendants de bénéficier de l’ATI. D’ailleurs, France Travail reconnaît que cette procédure actuelle est trop rigide et peut expliquer le faible recours au dispositif, puisque la perspective d’une longue et coûteuse liquidation judiciaire est dissuasive pour de nombreux entrepreneurs en difficulté. Lever cette condition ne présente pas de risque d’aléa moral ou de fraude, dès lors qu’elle est encadrée par une double exigence : une cessation définitive d’activité après un minimum de deux ans d’existence et un faible niveau de ressources personnelles.

Par ailleurs, l’exigence d’un revenu d’activité annuel d’au moins 10 000 euros sur les deux dernières années constitue un autre obstacle majeur. Cette condition exclut automatiquement les indépendants ayant subi une baisse d’activité prolongée et dont les revenus sont devenus déficitaires ou nuls. De manière paradoxale, cela pousse certains entrepreneurs à maintenir artificiellement leur revenu, même au prix d’un endettement accru, afin de pouvoir prétendre à l’ATI. Il s’agit là d’un véritable aléa moral. Il est donc nécessaire de revoir ce critère en privilégiant un indicateur plus pertinent, comme un chiffre d’affaires annuel moyen sur les deux dernières années, afin d’attester d’une activité économique effective et continue sans pénaliser les entrepreneurs en difficulté. C’est l’objet de l’article 3 de cette proposition de loi.

Un autre frein identifié réside dans le manque de visibilité de l’ATI. Le rapport parlementaire du 7 avril 2021 souligne que : « bien que France Travail assure un bon niveau de communication sur ce dispositif, une méconnaissance persistante subsiste parmi les travailleurs indépendants ». La proposition de loi prévoit donc d’intensifier les actions d’information, notamment au moment de la cessation d’activité, afin d’assurer une meilleure accessibilité du dispositif à ceux qui en ont besoin (article 4).

Enfin, la rigidité des conditions de cumul et la durée limitée de l’ATI constituent un frein au rebond professionnel des bénéficiaires. Aujourd’hui, le cumul de l’ATI avec une activité professionnelle n’est autorisé que pour une durée de trois mois, ce qui est insuffisant pour permettre une véritable reprise d’activité. Il est donc proposé d’étendre cette possibilité à six mois, afin de donner aux travailleurs indépendants un délai raisonnable pour reconstruire leur projet professionnel. De plus, pour encourager la reconversion et la montée en compétences, la loi devrait permettre de prolonger le versement de l’ATI pour les bénéficiaires suivant une formation agréée par France Travail, notamment dans le cadre de la Préparation opérationnelle à l’emploi (POE). Tel est l’objet de l’article 5 de la présente loi.

L’ensemble de ces mesures vise à rétablir la vocation première de l’ATI : offrir un filet de sécurité à tous les travailleurs indépendants et leur permettre de rebondir après une cessation d’activité. Il est impératif de lever les barrières administratives et d’assouplir les critères d’éligibilité afin de faire de cette allocation un véritable outil de protection sociale adapté aux réalités économiques et professionnelles des indépendants.

 


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proposition de loi

Article 1er

À la fin de l’article L. 5424‑24 du code du travail, les mots : « les personnes mentionnées à l’article L. 611‑1 du code de la sécurité sociale, aux articles L. 722‑1 et L. 731‑23 du code rural et de la pêche maritime, aux 4° à 6°, 11°, 12°, 23°, 30° et 35° de l’article L. 311‑3 du code de la sécurité sociale et à l’article L. 382‑1 du même code » sont remplacés par les mots : « l’ensemble des travailleurs non‑salariés ».

Article 2

L’article L. 5424‑25 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 4° Ou dont l’entreprise a fait l’objet d’une liquidation amiable, dès lors qu’elle vise à anticiper un état de cessation de paiement. »

Article 3

L’article L. 5424‑27 du code du travail est ainsi rédigé :

« Pour bénéficier de l’allocation des travailleurs indépendants, les personnes mentionnées à l’article L. 5424‑24 :

« 1° Justifient d’une activité non salariée pendant une période minimale ininterrompue de deux ans au titre d’une seule et même entreprise, dont le terme est la date du fait générateur d’ouverture du droit prévu à l’article L. 5424‑25.

« Les personnes mentionnées à l’article L. 382‑1 du code de la sécurité sociale sont réputées remplir cette condition lorsqu’elles justifient d’une affiliation au régime général de sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles L. 382‑1 et R. 382‑1 du code de la sécurité sociale pendant une période minimale de deux ans, dont le terme est la date du fait générateur d’ouverture du droit prévu à l’article L. 5424‑25 du présent code ;

« 2° Sont effectivement à la recherche d’un emploi au sens de l’article L. 5421‑3 ;

« 3° Justifient, au titre de l’activité non salariée mentionnée à l’article L. 5424‑25, d’un chiffre d’affaires annuel moyen défini par décret sur les deux dernières années et attestent d’un travail réel et régulier dans la durée ;

« 4° Justifient d’autres ressources prévues à l’article R. 5424‑72 inférieures au montant forfaitaire mensuel mentionné à l’article L. 262‑2 du code de l’action sociale et des familles, applicable à un foyer composé d’une personne seule. »

Article 4

La section 4 du chapitre IV du titre II du livre IV de la cinquième partie du code du travail est complétée par un article L. 5424‑29‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 5424291. – Toute personne déclarant une cessation d’activité dans le champ d’éligibilité à l’allocation des travailleurs indépendants reçoit une notice d’information par voie électronique ou postale.

« Les experts‑comptables, commissaires aux comptes, mandataires judiciaires, avocats et conseils aux entreprises informent les dirigeants en difficulté de l’existence et des conditions d’éligibilité de l’allocation des travailleurs indépendants.

« Les modalités d’application sont précisées par décret. »

Article 5

La section 4 du chapitre IV du titre II du livre IV de la cinquième partie du code du travail est complétée par un article L. 5424‑29‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 5424292. – Les bénéficiaires de l’allocation des travailleurs indépendants peuvent, sur demande, voir la durée de versement de leur allocation prolongée pour la durée d’une formation agréée par France Travail, relevant d’une préparation opérationnelle à l’emploi.

« Ils peuvent également cumuler l’allocation des travailleurs indépendants avec des revenus d’activité professionnelle, salariée ou non, pendant une durée de six mois.

« Les modalités d’application sont définies par décret. »

Article 6

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.