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N° 1094
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à déconjugaliser l’allocation de soutien familial,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Sarah LEGRAIN, Mme Maud PETIT, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, Mme Sandrine JOSSO, M. Philippe BRUN, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Karine LEBON, Mme Colette CAPDEVIELLE, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, M. Stéphane HABLOT, M. Boris TAVERNIER, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Julie LAERNOES, M. Denis FÉGNÉ, M. Hadrien CLOUET, Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)], M. Belkhir BELHADDAD, M. Mickaël BOULOUX, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Si l’urgence sociale est aujourd’hui ressentie dans tous les foyers, les familles monoparentales y sont particulièrement exposées. En France, une famille sur quatre est une famille monoparentale, soit 2 millions de foyers en 2020. Le nombre de parents isolés est en constante augmentation depuis plusieurs décennies. Pourtant, leur statut n’est assorti que de droits très parcellaires qui, s’ils ont le mérite d’exister, ne suffisent pas à leur garantir des conditions de vie dignes. Fait notable, 83 % des parents isolés sont des mères isolées, exposées aux difficultés propres à la monoparentalité mais aussi aux inégalités de genre.
Les parents isolés doivent faire face à une convergence de défis sociaux. Les coûts et les exigences liés à la charge d’un ou plusieurs enfants ne sont pas partagés, mais assumés avec un seul revenu. Si ces besoins sont amenés à varier selon l’enfant, leurs poids sur une seule personne, avec un seul revenu dans le meilleur cas, est une situation particulièrement précaire : en 2019, le taux de pauvreté des familles monoparentales était de 19 %, soit plus de deux fois la moyenne nationale. Davantage représentées dans les derniers déciles, leur niveau de vie est en moyenne inférieur de 35 % par rapport aux familles avec deux parents (Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge [HCFEA], 2021).
Leur accès à l’emploi est particulièrement difficile : dans un tiers des familles monoparentales, le parent avec lequel l’enfant réside la plupart du temps n’a pas d’emploi. Parmi les parents isolés qui sont en emploi, 23 % sont à temps partiel, dont 40 % subis (Observatoire français des conjonctures économiques [OFCE], 2020). Le manque de ressources plonge 30 % de ces parents isolés dans la privation matérielle et sociale, contre 13 % pour l’ensemble de la population (Institut national de la statistique et des études [Insee], 2023). La question du logement est également très préoccupante : alors que les familles monoparentales ne représentent que 16 % des ménages de France hors Outre‑mer, 37 % d’entre elles logent dans le parc habitation à loyer modéré (HLM).
La situation sociale de ces parents isolés s’est, qui plus est, très probablement aggravée depuis que les dernières études ont été conduites, considérant l’inflation record que nous connaissons aujourd’hui. Il est donc urgent d’adopter une politique sociale qui lutte contre la paupérisation des familles monoparentales.
Il est impossible de détacher de ces enjeux sociaux la question du respect des droits de l’enfant. Si ce sont les parents qui reçoivent les factures, les enfants en payent eux aussi le prix fort. L’Insee estime que 41 % des enfants de parents isolés vivent sous le seuil de pauvreté, contre 20,7 % des enfants dans l’ensemble de la population (chiffres de 2020). Cette rupture d’égalité a des conséquences concrètes et dramatiques sur la vie de ces enfants. Tout ce qui est nécessaire à leur développement et épanouissement n’est pas assuré. Par exemple, un quart des enfants de familles monoparentales vivent dans un logement considéré comme surpeuplé. Leur scolarité est également perturbée, avec 25 % d’entre eux qui ont redoublé au moins une fois en primaire.
Si les aides existent, celles‑ci sont souvent limitées dans le temps (revenu de solidarité active [RSA]), ou conditionnées à la charge de plusieurs enfants (allocations familiales), mais systématiquement insuffisantes (demi‑part fiscale supplémentaire dans la déclaration de revenus). En outre, la disparition de l’allocation de parent isolé (API) est emblématique du manque de considération par les pouvoirs publics du risque de précarité qui pèse sur ces enfants.
La seule allocation qui leur est aujourd’hui réservée est l’allocation de soutien familial (ASF). Créée en 1984, l’ASF a pour objectif d’aider à l’éducation d’enfants privés du soutien d’au moins un des parents. En 2022, cette allocation était versée à près de 800 000 familles. Son montant s’élève actuellement à 187,24€ par mois et par enfant à charge. L’ASF est essentielle à la survie de nombreux parents isolés. D’après l’enquête revenus fiscaux et sociaux (ERFS) 2019 de l’Insee, les familles monoparentales les plus modestes perçoivent davantage l’ASF qu’une pension alimentaire. Pourtant, l’allocation cesse d’être due si le parent isolé se marie, se pacse ou vit en concubinage. Cette forme de conjugalisation est injuste, puisqu’ils et elles demeurent seul.es responsables parent de l’enfant. Elle pénalise financièrement l’amour, impliquant pour le parent seul de perdre près de 10 % de ses revenus s’il est rémunéré au salaire minimum de croissance (SMIC) et se déclare en couple. Elle reporte aussi les engagements vers le partenaire, dont on considère qu’il doit se substituer au parent absent pour subvenir aux besoins de l’enfant. Ce faisant, elle renforce la dépendance économique au sein du couple, notamment des mères isolées vis‑à‑vis de leur partenaire.
En effet, la question des familles monoparentales est certes une affaire d’égalité entre les enfants mais aussi une question éminemment féministe, dès lors que 83 % des parents isolés sont des mères isolées. Les enjeux d’émancipation sociale autour des familles monoparentales sont connexes du manque persistant d’égalité entre les femmes et les hommes dans notre société. Ces personnes subissent tant les difficultés d’être isolées que celles d’être mères, ou simplement femmes.
Les indicateurs généraux montrent que leur niveau de vie moyen est inférieur de 20 % à celui des pères isolés. L’accès à l’emploi est encore plus compliqué avec 17,2 % des mères isolées au chômage, contre 8,3 % des mères vivant en couple. Lorsqu’elles travaillent, les mères isolées sont plus exposées aux temps partiels et aux contrats à durée déterminée (CDD). La charge d’un ou plusieurs enfants est d’autant plus complexe que ces mères l’assument seules, dans un pays où 160 000 femmes renoncent déjà à reprendre le travail pour s’occuper de leurs enfants, faute de solution de garde. L’origine sociale est un facteur d’inégalité supplémentaire, avec une surreprésentation des familles monoparentales dans les quartiers populaires, dont 40 % n’ont pas de crèches qui plus est.
Les mères isolées sont à l’intersection d’une multitude d’inégalités qui, en plus d’ajouter à la précarité, ajoutent aux épreuves sociales, salariales, financières et psychologiques auxquelles les parents sont par nature sujets. Les enfants subiront eux aussi la précarité, la privation, la discrimination et les risques psychologiques. Accompagner ces familles avec des politiques publiques fortes et protectrices permettrait alors de garantir un plus fort respect des droits de tous les enfants et de toutes les femmes, comme cette proposition tend à le faire en individualisant l’allocation de soutien familial (ASF).
Le rapport des sénatrices Colombe Brossel et Béatrice Gosselin[1], ainsi que le rapport de la mission gouvernementale sur les familles monoparentales[2] ont tous les deux conclu à l’expérimentation du maintien provisoire du versement de l’ASF en cas de remise en couple du parent gardien. Une expérimentation qui reste floue et ambiguë sur le principe et accrédite encore l’idée que les droits des enfants peuvent varier en fonction de la situation sentimentale de leurs parents.
Cette proposition n’est pas exhaustive, de nombreuses autres mesures pourraient la compléter afin d’améliorer l’ASF. Nous pourrions ainsi réviser le délai de passage obligatoire devant le juge de affaires familiales pour les bénéficiaires de l’ASF recouvrable, indexer l’ASF sur l’inflation et augmenter son montant, rendre automatique le versement de l’ASF dès le mois suivant l’éligibilité d’un bénéficiaire afin de réduire les non‑recours, etc. Mais par cette proposition de loi, nous proposons une première étape essentielle pour mettre fin à la précarité des mères isolées et garantir une égalité des droits entre les familles et les enfants. Nous proposons d’affirmer que les droits de l’enfant sont inaliénables et que l’époque où l’on considérait qu’une femme devait dépendre matériellement et moralement de son conjoint est révolue. Plus largement, cette proposition de loi s’inscrit dans notre objectif de défendre le droit de partir.
L’article 1er vise à individualiser l’allocation de soutien familial (ASF) pour assurer que son versement ne soit pas remis en cause si la situation conjugale de l’allocataire évolue. Aujourd’hui, une mère isolée qui se met en concubinage ou se pacse perd automatiquement son droit à l’ASF. Or, ce nouveau partenaire n’assumera pas nécessairement la charge financière et/ou éducative d’un enfant qui n’est pas le sien. Ce nouveau partenaire n’exerce pas d’autorité parentale et n’a légalement ni droits ni devoirs envers l’enfant. Le parent isolé demeure par conséquent seul responsable parental, mais amputé du soutien financier de l’ASF.
L’article 2 compense les charges induites par la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
Le dernier alinéa de l’article L. 523‑2 du code de la sécurité sociale est supprimé.
Article 2
La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) Colombe Brossel, Béatrice Gosselin, Familles monoparentales : pour un changement des représentations sociétales, 28 mars 2024
([2]) Xavier Iacovelli, Mission gouvernementale à l’initiative du Premier ministre Gabriel Attal : rapport sur les familles monoparentales, 30 septembre 2024
[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.