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N° 1138

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mars 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à préserver les droits des victimes dépositaires de plaintes classées sans suite,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jiovanny WILLIAM, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)], M. André CHASSAIGNE, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. Max MATHIASIN, Mme Maud PETIT, M. Nicolas RAY, Mme Françoise BUFFET, Mme Émeline K/BIDI, M. Olivier SERVA, M. Éric COQUEREL, M. Jean-Claude RAUX, Mme Pauline LEVASSEUR, Mme Mathilde PANOT, Mme Elsa FAUCILLON, M. Stéphane VIRY, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Arnaud BONNET, M. Ugo BERNALICIS, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Moerani FRÉBAULT, Mme Karine LEBON, M. Arnaud LE GALL, Mme Soumya BOUROUAHA, M. David TAUPIAC, M. Pierre-Yves CADALEN, Mme Alma DUFOUR, M. Nicolas SANSU, Mme Karen ERODI, M. Paul MOLAC, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Jean-Philippe NILOR, M. David AMIEL, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Marcellin NADEAU, Mme Gabrielle CATHALA, M. Stéphane LENORMAND, M. Jean-Victor CASTOR, Mme Marie MESMEUR, M. Paul-André COLOMBANI, Mme Véronique BESSE, M. Stéphane PEU, Mme Sophia CHIKIROU, M. Davy RIMANE, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frantz GUMBS, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Maxime LAISNEY, M. Édouard BÉNARD, Mme Marianne MAXIMI, M. Yannick MONNET, Mme Andrée TAURINYA, M. Frédéric MAILLOT, M. Andy KERBRAT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Hadrien CLOUET, Mme Murielle LEPVRAUD, M. David GUIRAUD, M. Jean-François COULOMME, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Sandrine NOSBÉ, M. Gabriel AMARD, M. Idir BOUMERTIT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Matthias TAVEL, M. Paul VANNIER, M. Abdelkader LAHMAR, M. Christophe BEX, M. Emmanuel FERNANDES, M. Damien MAUDET, Mme Farida AMRANI, M. Philippe GOSSELIN, Mme Prisca THEVENOT, M. Mikaele SEO, Mme Marie-Charlotte GARIN,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, au cours du seul premier trimestre de l’année 2024, 1 110 650 plaintes ou procès‑verbaux ont été enregistrés dans l’application CASSIOPEE, dédiée à la gestion des procédures pénales. En 2023, 4 000 000 affaires ont été transmises aux parquets et 37 % des auteurs poursuivis ont bénéficié d’un classement sans suite de la procédure engagée, selon les statistiques publiées par l’INSEE et par le Ministère de la justice.

Au titre de l’année 2022, 3 376 569 plaintes ou procès‑verbaux avaient été saisis sur l’année entière. 1 855 704 auteurs d’infractions avaient vu leur affaire traitée, tandis que parmi eux, 1 230 020 auteurs (66,3 % des auteurs) étaient poursuivables, ramenant le taux de réponse pénale en 2022 à 89 %. Au premier trimestre 2024, celle‑ci s’avère en baisse, ramenant ce taux de réponse provisoirement à 86, 9 %.

Les statistiques de l’année 2023 révèlent que plus de sept affaires sur dix ont été considérées comme non poursuivables et sur les 1 200 000 affaires poursuivables, 37 % des auteurs mis en cause, ont bénéficié d’un classement sans suite.

La tendance de ces chiffres sur les trois dernières années, permet de constater qu’en moyenne un demimillion de Français reçoivent chaque année un avis de classement sans suite, consécutivement au dépôt de leur plainte.

Les causes sont multiples ; l’auteur n’ayant pu être identifié, l’infraction n’étant pas constituée ou encore ce classement étant motivé par l’insuffisance des charges ou des preuves matérielles détenues à l’encontre de l’auteur de l’infraction.

Pour les victimes de ces infractions, le classement sans suite de leur plainte est vécu comme un aveu d’échec du système judiciaire, laissant peu à peu place à la résurgence de mécanismes de justice privée. Ainsi, l’adage « Nul ne peut se faire justice à soimême », à l’origine des grands principes du procès pénal, est mis de côté, afin d’affronter la machine judiciaire, jugée insuffisamment protectrice.

Ce fort sentiment d’injustice ‑ tel qu’exprimé par les victimes de plaintes classées sans suite – pourrait néanmoins être atténué par un accompagnement renforcé de ces dernières.

À ce jour, si les articles 40 à 40‑4‑1 du nouveau code de procédure pénale (NCPP) disposent que :

1) « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 401 (…) » ;

2) « Le procureur de la République avise les plaignants (…) Lorsqu’il décide de classer sans suite la procédure, (…) également de sa décision en indiquant les raisons juridiques ou d’opportunité qui la justifient ».

la pratique de ces classements révèle qu’ils sont notifiés dans des conditions variables et sans véritable sécurité juridique pour le justiciable, en fonction de la politique pénale du parquet dont il relève.

En effet, les victimes indiquent tantôt avoir été informées du classement sans suite de leur plainte ; par un officier de police judiciaire prenant leur attache par téléphone, par une notification de ce classement par courrier simple ‑ ce qui pose des difficultés s’agissant des victimes qui font face à des problématiques d’adressage – notamment en Outre‑mer ; encore oralement au Commissariat. Plus rares sont celles qui reçoivent cet avis par le biais d’un courrier recommandé avec accusé de réception ou par tout autre moyen de notification effectif.

Il arrive donc que certaines victimes n’aient pas connaissance de ce classement dans les délais utiles. La notification aléatoire des avis de classement sans suite ne répond pas à ce jour aux exigences du droit à un procès équitable et effectif, dès lors que la réception de l’acte de classement par la victime a des conséquences sur sa stratégie de défense, elle‑même encadrée par des délais de prescription.

La sécurité juridique doit bien profiter à tous, notamment dans un contexte de délocalisation et de dématérialisation accélérée de l’enregistrement des plaintes, par le biais des pré‑plaintes en ligne, par visioconférence, ou encore des plaintes en mobilité proposées au sein des Maisons des femmes. Le formalisme protège.

En premier lieu, l’avis de classement sans suite, parce qu’il demeure un acte de procédure, doit être dûment notifié et traçable.

Ce travail de sécurisation appelé, tient également compte des contraintes pesant sur les magistrats du parquet et sur les officiers de police judiciaire. Les syndicats représentatifs de la profession ont été auditionnés, afin de proposer un texte qui sans alourdir la machine, parvienne à l’objectif souhaité.

Le parti est ici retenu, de conserver les modes usuels de notification, pour tenir compte de la diversité des situations et d’en accueillir de nouveaux pour des considérations pratiques et budgétaires. Si la notification téléphonique semble de prime abord peu propice à la sécurité juridique des victimes, elle reste dans certains cas de figure ‑ et si cette dernière en fait le choix – le seul mode de communication souhaitable, notamment en cas d’illettrisme ou encore en cas de violence intrafamiliale. Néanmoins, il est proposé de privilégier l’envoi de l’avis à de classement sans suite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par tout autre moyen choisi par la victime selon sa convenance ; entretien téléphonique, courrier simple, courriel, etc.

En deuxième lieu, si le pouvoir constituant et le pouvoir normatif ont souhaité renforcer le principe d’intelligibilité de la loi, pour en assurer lisibilité et compréhension à tous et que dans ce même esprit, l’entrée en vigueur du Code des relations entre le public et l’administration le 1er janvier 2016, a également ouvert la voie de la simplification des normes et des procédures pour les administrés, force est de constater que certaines branches du droit, restent en lacune. Or, le destinataire final de la loi et du règlement, de l’acte administratif et de l’acte juridictionnel, doit pouvoir s’y retrouver et comprendre la portée de la mesure édictée à son endroit.

Bien que les dispositions de l’article 40‑2 du nouveau code de procédure pénale (NCPP) contiennent en leur sein une exigence de motivation, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, la motivation des avis de classement sans suite répond à une codification logicielle, associée à une rédaction relevant ‑ de l’avis des destinataires – d’un jargon juridique difficile d’accès. Cette motivation est limitée en outre à une énonciation de règles techniques sur le fondement des infractions pénales poursuivies.

Or les exigences du droit à un procès équitable et effectif, tels que définis par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux des droits de l’Union européenne, justifient qu’un effort supplémentaire soit fait, en amenant la victime plaignante, à comprendre tant sur le plan matériel que juridique, les causes de ce classement sans suite.

Aussi, il est proposé de renforcer cette exigence de motivation, en précisant qu’elle sera garantie par l’emploi de « termes simples et accessibles » pour la victime, de telle sorte que cette dernière mesure les chances de succès d’une éventuelle citation directe et se prépare en toute connaissance de cause, à la défense future de ses intérêts juridiques.

La motivation pédagogique ainsi appelée, vient également faire œuvre d’humanisation de la démarche engagée par la victime pour qui cet avis de classement sans suite est vécu comme un « déni de justice » et comme une double peine. Le courage et la force requise pour confier au Parquet et à la justice, des pans de vies, de souffrances et de traumatismes, requièrent une réaction pénale digne et respectueuse de la confiance accordée aux institutions. Ces dernières, ainsi que leurs ayants droit, se doivent d’éprouver un sentiment d’accompagnement, en lieu et place d’un sentiment de délaissement, fatalement exprimé.

Pour atteindre ces deux objectifs, la présente proposition de loi est constituée de trois articles :

L’article 1er vient préciser le champ d’application territorial des mesures portées, applicables à la Nouvelle‑Calédonie.

L’article 2 vient modifier premièrement l’article 15‑3 du NCPP en précisant par un premier alinéa, le caractère obligatoire de la notification des avis de classement sans suite.

L’article 40‑2 est également modifié, pour rendre obligatoire la motivation de ce classement sans suite en des « termes simples et accessibles ». L’alinéa 2 du même article permet à la victime de mentionner le mode souhaité de réception de l’information portant sur les suites de la procédure. Il sera consigné sur le procès‑verbal.

Par ailleurs, s’il l’estime nécessaire, le procureur de la République pourra recourir à une association d’aide aux victimes dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 41 du NCPP ou aviser la victime par tout moyen approprié lorsqu’elle n’aura pu être touchée par le moyen de son choix.

Enfin, la justification de l’accomplissement de ces formalités doit désormais être versée au dossier de procédure par le procureur de la République.

Cette garantie nouvelle permettra tant aux Conseils juridiques de chaque partie, qu’aux magistrats, de disposer d’une traçabilité exhaustive de la procédure de classement, pour in fine, en tirer toutes les conséquences.

L’article 3 de portée purement technique, vient gager le surcoût occasionné par ce dispositif, qui se veut néanmoins plus juste et respectueux des victimes. Ainsi, la charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 


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proposition de loi

Article 1er

Au début du premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale, les mots : « l’ordonnance n° 2024‑936 du 15 octobre 2024 relative aux marchés de crypto actifs sont remplacés par les mots : « la loi n°     du      visant à préserver les droits des victimes de plaintes classées sans suite ».

Article 2

Le titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° La deuxième phrase du second alinéa de l’article 15‑3 est ainsi modifiée :

a) Au début, les mots : « Si elle en fait la demande, » sont supprimés ;

b) Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « La victime peut choisir de recevoir l’avis mentionné à l’article 40‑2 portant sur les poursuites, les mesures alternatives aux poursuites ou le classement sans suite de la procédure, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, par envoi adressé par un moyen de télécommunication à l’adresse électronique qu’elle communique ou par tout autre moyen. Son choix est mentionné sur le procès‑verbal. » ;

2° Le premier alinéa de l’article 15‑3‑1 est ainsi modifié :

a) Les mots : « , le cas échéant, » sont supprimés ;

b) Les mots : « peuvent être » sont remplacés par le mot : « sont » ;

3° Le second alinéa de l’article 40‑2 est ainsi modifié :

a) Sont ajoutés les mots : « en des termes simples et accessibles » ;

b) Sont ajoutées trois phrases ainsi rédigées : « La décision est adressée aux victimes selon les modalités choisies en application du deuxième alinéa de l’article 15‑3. Toutefois, s’il l’estime nécessaire, le procureur de la République peut recourir à une association d’aide aux victimes dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 41 ou aviser les victimes par tout moyen approprié. Le procureur de la République verse au dossier de la procédure les éléments justifiant de l’accomplissement de ces formalités. »

Article 3

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, M. François HOLLANDE, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Marie RÉCALDE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM.