N° 1145
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mars 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à réduire la non-exécution et les délais d’exécution des mesures de protection des enfants en danger,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Alma DUFOUR, M. Ugo BERNALICIS, Mme Marianne MAXIMI,
députées et député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de loi a pour objet de rendre effectif le droit fondamental des enfants à la protection. Aujourd’hui l’absence d’exécution des mesures de placement ou d’assistance éducative prononcées par le juge des enfants atteint des niveaux excessivement préoccupants. La défenseure des droits a rendu un constat sans appel et accablant pour nous tous ce 29 janvier 2025, estimant que les droits fondamentaux des enfants résidant en France n’étaient plus respectés.
Malgré l’absence d’un système de remontée et de traitement de données permettant d’obtenir des statistiques fiables dans chaque département et au niveau national, le Syndicat national de la magistrature estime qu’environ 3 350 mesures de placement sont non exécutées en France, en mai 2024. Le département de la Seine‑Maritime estime à plus de 300 le nombre de placements non exécutés en 2024, et le délai d’attente pour le Soutien au Maintien à Domicile était d’un an, avant que la Cour de cassation y mette fin dans un arrêt rendu le 2 octobre 2024.
En 2019, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a rendu un rapport établissant l’accroissement des délais d’exécution des décisions de justice pour protéger les enfants. S’agissant des mesures d’Assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), un tiers des départements présentait des délais d’exécution moyens supérieurs à 4 mois et deux tiers des délais moyens compris entre 0 et 3 mois. En moyenne 8 à 9 % des mesures d’AEMO étaient en attente de mise en œuvre.
La situation s’est considérablement dégradée depuis. Les acteurs auditionnés par la Commission d’enquête et par les auteurs de cette proposition de loi, syndicat de la magistrature, syndicat des avocats de France, éducateurs spécialisés, directeurs de services de la protection de l’enfance dans différents départements, font désormais état de délais d’exécution qui peuvent être supérieurs à 1 an. David, éducateur spécialisé dans le Nord, témoignait auprès d’un média, dès 2020, du cas d’un enfant qui devait être placé mais pour qui, six mois plus tard, aucune solution n’avait été trouvée. « Ces six mois ont fait basculer cet enfant dans une pathologie ancrée, alors qu’on aurait pu éviter ça ». M. Olivier Treneul, ancien éducateur spécialisé et membre du syndicat Sud dans le département du Nord, estime que « 10 % des enfants n’ont pas de place ».
L’accroissement des délais d’exécution des décisions de justice a des conséquences préjudiciables à tous les stades de la prise en charge de l’enfant. Il peut entraîner des traumatismes irréversibles, la dégradation du lien familial lorsqu’il aurait pu être maintenu, ainsi que le recours massif aux structures d’accueil d’urgence, surchargées et exposant les enfants à des risques de violences supplémentaires…
Lorsque les mesures de placement ne sont pas exécutées, les mineurs peuvent être maintenus durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans une situation de danger au sein d’une famille dysfonctionnelle. Ces défauts d’exécution sont particulièrement courants s’agissant des mineurs non accompagnés, dans certains départements.
Selon le syndicat de la magistrature auditionné en mai 2024 par la délégation aux droits des enfants (DDE) de l’Assemblée nationale, 60 enfants meurent chaque année sous les coups d’un membre de leur famille ; un chiffre probablement en dessous de la réalité.
Depuis 2008, les responsables de l’exécution des mesures prononcées par les juges des enfants sont les départements. Or les finances des départements sont plus contraintes que celles de l’État. Ils ne peuvent s’endetter pour financer des frais de fonctionnement ni lever des impôts locaux, contrairement aux collectivités locales. De ce fait, la protection de l’enfance est devenue une politique publique sujette à des arbitrages budgétaires aux conséquences dramatiques voire tout simplement criminelles. Le ratio d’argent investi par enfant placé varie fortement d’un département à l’autre, et les conditions de prises en charge se sont considérablement dégradées au niveau national. Pour autant, les départements s’opposent à la renationalisation de la protection de l’enfance, tout en dénonçant les coupes budgétaires qui leur sont imposées par l’État. Le budget 2025 prévoit une coupe de 2,5 milliards d’euros pour les collectivités.
Nous atteignons donc une situation de blocage extrêmement dangereuse pour les enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance (ASE), mais aussi pour les personnels de la protection de l’enfance. Ils sont nombreux à quitter le métier en raison de conditions de travail difficiles, de salaires bas et désormais de perte du sens de leur métier. Alors que le nombre de mesures a augmenté de plus de 40 % entre 1998 et 2022, le nombre de personnel de la protection de l’enfance stagne. Selon une enquête menée en novembre 2023 par l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), 97 % des établissements de protection de l’enfance déclarent rencontrer des difficultés de recrutement, avec un taux moyen de postes vacants s’élevant à 9 %.
La loi prévoit déjà la possibilité pour tout juge d’ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision, c’est‑à‑dire de contraindre financièrement les départements à placer un enfant dans une structure d’accueil ou à mobiliser un éducateur pour un suivi à domicile. Néanmoins, cette possibilité est rarement mobilisée en matière d’assistance éducative et de placement. Les juges reconnaissent eux‑même que le manque de place influence leurs décisions, ce qui ne devrait jamais être le cas.
L’astreinte constitue pourtant un moyen pour les juges, qui constatent des défauts d’exécution récurrents, de s’assurer du respect de leurs décisions. La justice ne doit pas faire les frais de la désorganisation politique. Le législateur doit apporter davantage de soutien aux juges des enfants, en sous‑effectif dans toute la France, et dont les missions de protection ne vont pas être rendues plus simples par l’accroissement de leur travail dû à la réforme de la justice pénale des mineurs. Au tribunal judiciaire de Rouen, les juges des enfants gèrent chacun en moyenne entre 550 et 600 dossiers, au lieu de 350 dossiers, prévus par le référentiel de la Chancellerie.
Il convient également, lorsque la situation familiale impose une mesure de placement, de redonner au juge des enfants la plénitude de sa compétence et donc la possibilité de choisir le type de placement le plus conforme à l’intérêt des enfants, en dehors de toute considération de gestion économique de flux de « dossiers », comme c’est actuellement le cas avec les services de l’Aide sociale à l’enfance. Ainsi, seul le juge des enfants est à même de savoir si l’intérêt supérieur de l’enfant commande qu’il soit accueilli dans une structure collective de type foyer, maison d’enfants ou en famille d’accueil. En l’état, les juges des enfants ne peuvent qu’émettre un souhait d’orientation, qui n’est quasiment jamais respecté par les services de l’ASE.
Cette proposition de loi vise, dans son article unique, à mentionner explicitement la possibilité pour les juges des enfants, dans la section dédiée à l’assistance éducative du code civil, de prononcer une astreinte journalière envers le département, ainsi que de donner la possibilité au juge de choisir le type de placement approprié pour l’enfant. Elle reprend des propositions portées depuis plusieurs années par la France insoumise et soutenues par de nombreux acteurs associatifs spécialisés sur l’enfance.
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proposition de loi
Article unique
La section 2 du chapitre Ier du titre IX du livre Ier du code civil est ainsi modifiée :
1° Le 3° de l’article 375‑3 est complété par les mots : « , dans une structure collective ou en famille d’accueil » ;
2° L’article 375‑6 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le juge des enfants peut, même d’office, ordonner une astreinte à la charge du Président du conseil départemental, au profit de l’enfant en danger pour assurer l’exécution de sa décision en matière d’assistance éducative, en application de l’article L. 131‑1 du code des procédures civiles d’exécution. »