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N° 1193
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mars 2025.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
visant à garantir le droit fondamental au logement,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Sandrine NOSBÉ, M. François PIQUEMAL, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Damien GIRARD, Mme Karine LEBON, M. Frédéric MAILLOT, M. Davy RIMANE, M. François RUFFIN,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les chiffres sont sans appels : il est nécessaire de garantir le droit au logement en France.
En 2024, 12 millions de personnes étaient concernées par la précarité énergétique. 4,2 millions de personnes étaient mal logées. 350 000 personnes étaient sans domicile. Ce nombre a plus que doublé en 12 ans. Et 735 personnes sont mortes dans la rue ([1]).
L’accès au logement est de plus en plus difficile.
La crise du logement est le résultat de décennies de constructions insuffisantes, particulièrement en logements sociaux. Le déficit accumulé depuis plus de trente ans équivaut à plus d’un million de logements manquants. En parallèle, en 2024, 2,7 millions de personnes étaient en demande d’un logement social, dont 100 000 ménages reconnus prioritaires. Concernant le logement privé, malgré de timides tentatives d’encadrement par le Gouvernement, les conditions d’accès sont de plus en plus restrictives, et les loyers continuent d’exploser. Aujourd’hui, le marché du logement est incapable d’offrir un logement décent et abordable à toutes et tous.
La crise du logement ne cesse de se creuser.
En 2024, le nombre d’expulsion de ménages et de lieux de vie informels a explosé, tandis que l’offre locative sociale disponible a elle chuté. De nombreuses associations et collectifs ont alerté sur cette situation et sur la dégradation des conditions de vie des personnes mal‑logées, en vain. Les derniers gouvernements successifs n’ont fait qu’aggraver cette situation : diminution des aides à la construction, baisse des aides personnelles au logement, baisse du budget alloué au logement, ponction des bailleurs sociaux, mise en place d’une politique de vente à la découpe du patrimoine d’habitations à loyer modéré. En somme, un abandon de plus en plus patent du logement social.
Actuellement, chaque soir le 115 relève près de 6 000 demandes non pourvues, et près de 100 000 ménages sont reconnus prioritaires pour accéder à un logement mais n’ont toujours pas été relogés. Certains attendent depuis dix ans. Face à ce constat édifiant, deux recours ont été déposés en février 2025 pour non‑assistance à personnes mal logées par le Collectif des associations pour le logement composé de 40 associations, afin que la justice rappelle à l’État ses obligations.
Le droit au logement est un droit fondamental.
Il s’appuie sur le droit à la dignité humaine. Il est d’ailleurs reconnu par plusieurs textes internationaux. La Déclaration universelle des droits de l’homme en son article 25, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en son article 11, ou encore au niveau européen, la Charte sociale européenne révisée en son article 31. Ces différents textes ont été ratifiés par la France. Pour autant, le droit au logement n’est pas reconnu par la Constitution française. C’est un objectif de valeur constitutionnelle, mais il n’est pas directement inscrit dans la Constitution.
De très nombreux États ont inscrit le droit au logement au sein de leur Constitution, témoignant de son importance dans la garantie des droits fondamentaux des citoyens et citoyennes. L’Espagne, le Portugal, les Pays Bas, le Mexique, l’Afrique du Sud, ou encore la Corée du Sud par exemple, l’ont inscrit directement au sein de leur Constitution.
Le droit au logement n’est aujourd’hui pas effectif.
La loi Besson de 1990 avait établi que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation ». Le droit au logement a par la suite été consacré d’objectif de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel avec la décision 94‑359 DC du 19 janvier 1995. Pour autant, les objectifs de valeur constitutionnelle n’ont pas de force obligatoire vis‑à‑vis des individus et ne sont pas des droits dont pourraient se prévaloir les justiciables. Ainsi, le droit au logement en tant qu’objectif de valeur constitutionnelle se limite à une obligation de moyens, où les autorités publiques ne sont pas tenues de mobiliser les moyens juridiques et matériels nécessaires afin de garantir l’effectivité de ce droit. Enfin, la loi DALO de 2007 a permis d’instituer un droit au logement opposable en imposant à l’État une obligation de résultats concernant l’accès au logement. Or cette loi est inefficace dans la pratique du fait de nombreuses insuffisances dans sa mise en œuvre : conditions très strictes, procédure très lente, absence de sanction forte pour les communes défaillantes, pas assez de logements sociaux disponibles, répartition inégale sur le territoire. Concernant le cadre juridique portant sur le droit au logement d’une manière plus générale, ce dernier est difficilement accessible à une grande partie de la population française en raison de sa fragmentation dans différents codes et textes, et de son absence d’intelligibilité. Ainsi, aujourd’hui, le droit au logement en France est complexe, éparpillé, et son effectivité n’est pas assurée.
Le droit au logement doit être au même niveau que le droit à la propriété.
À l’heure actuelle, le droit au logement manque d’effectivité et son émergence est contrariée par la primauté du droit de propriété. L’inscription du droit au logement au sein de la Constitution permettrait que ces deux droits fondamentaux soient au même niveau. L’absence de hiérarchie entre les droits fondamentaux dans l’ordre juridique français impliquerait une égalité entre le droit de propriété et le droit au logement. En outre, le Conseil constitutionnel conçoit que le droit de propriété peut parfaitement être limité afin de permettre l’émergence d’un droit au logement. En effet, le juge constitutionnel estime qu’il est permis au législateur « d’apporter au droit de propriété les limitations qu’il estime nécessaires », à la condition que celles‑ci « n’aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés »[2]. Aussi, inscrire le droit au logement dans la Constitution permettrait que ce droit fondamental soit au même niveau que le droit de propriété, déjà inscrit dans notre constitution, sans pour autant lui porter atteinte de manière substantielle.
Le droit au logement doit être inscrit dans notre constitution.
La France s’enfonce dans une crise du logement sans précédent. Les politiques du logement actuelles sont inefficaces face à cette crise. L’effectivité du droit au logement n’est pas assurée et ce, malgré la loi DALO et la reconnaissance du droit au logement en tant qu’objectif de valeur constitutionnelle. Le logement doit être plus qu’un toit. Le logement est essentiel à la dignité des personnes et conditionne l’accès à de nombreux autres droits. C’est un espace de sécurité pour toutes et tous, c’est un facteur de changement social.
Inscrire le droit au logement dans la Constitution apparaîtrait comme un signal fort et démontrerait l’intention de l’État français de traiter cette crise du logement. Le fait de hisser ce droit du statut d’objectif de valeur constitutionnelle à celui de droit constitutionnel renforcerait sa valeur juridique, et obligerait l’État à mettre en œuvre des politiques publiques concrètes pour faire respecter ce droit par une obligation de résultat. Cela soulignerait également le rôle central du logement dans la structure sociale, au‑delà de la simple nécessité économique. Cela garantirait une protection renforcée pour les publics les plus vulnérables, en rendant obligatoire une politique d’hébergement d’urgence effective. En outre, la constitutionnalisation du droit au logement encouragerait la mise en place de politiques publiques plus cohérentes et ambitieuses : encadrement strict des loyers, augmentation du nombre de logements sociaux, réquisition simplifiée des logements vacants. Cela pourrait également permettre de faire peser des obligations plus fermes sur les collectivités territoriales. Enfin, cela rendrait possible un recours direct devant les juridictions compétentes, permettant ainsi aux citoyens et citoyennes de revendiquer leur droit à un logement décent.
Le droit au logement doit être un droit constitutionnel.
Il est pertinent que le droit au logement trouve sa place au sein du préambule de la Constitution de 1946, auprès des différents « droits à » consacrés à l’alinéa 11, tels que le droit à la protection de la santé, le droit à la sécurité matérielle, au repos et aux loisirs, et le droit de disposer de moyens convenables d’existence. Cet emplacement suit également la voie de la décision n° 94‑359 DC du 19 janvier 1995 du Conseil Constitutionnel. Aujourd’hui, inscrire le droit au logement dans la Constitution est impératif pour faire face à la crise du logement en France. C’est un acte symbolique fort, qui permet de mettre en place des politiques plus audacieuses, et de montrer l’ambition de la France de respecter les droits humains dont ce droit fondamental. Le logement est essentiel à la dignité des personnes, il doit être enfin effectif, il est nécessaire de l’inscrire dans la Constitution. Il en est temps.
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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique
À la première phrase de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, après le mot : « matérielle, », sont insérés les mots : « le droit au logement, ».
([1]) Chiffres issus du Rapport 2025 « l’État du mal-logement en France » de la Fondation pour le Logement des défavorisés.
([2]) Conseil Constitutionnel décision n°98-403 DC du 29 juillet 1998 ; Conseil Constitutionnel, QPC n°2011-169 du 30 septembre 2011.