– 1 –
N° 1211
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à instituer la transparence des aides publiques aux entreprises,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Nicolas BONNET, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Alexis CORBIÈRE, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, Mme Julie OZENNE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET, Mme Marianne MAXIMI, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Farida AMRANI, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Jean-François COULOMME, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, M. Emmanuel FERNANDES, M. Perceval GAILLARD, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Aurélien LE COQ, Mme Élise LEBOUCHER, M. Damien MAUDET, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, Mme Sandrine NOSBÉ, M. René PILATO, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Béatrice BELLAY, M. Mickaël BOULOUX, M. Pierrick COURBON, M. Denis FÉGNÉ, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Estelle MERCIER, Mme Sophie PANTEL, M. Dominique POTIER, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, Mme Mélanie THOMIN, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Paul MOLAC, Mme Delphine LINGEMANN, M. Hubert OTT, M. Jimmy PAHUN, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Laure MILLER, Mme Véronique RIOTTON, Mme Anne-Cécile VIOLLAND,
députés et députées.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux‑mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
Article 14 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789.
Dans notre République, chacun a le devoir de contribuer financièrement, chacun a le droit de demander des comptes sur sa contribution. Si le consentement à l’impôt est l’un des fondements de notre société, il est indissociable du suivi de l’utilisation de l’argent public.
Les débats sur le projet de loi de finances pour 2025, qu’ils se soient déroulés à l’Assemblée nationale ou ailleurs, ont au moins permis de rappeler la difficulté croissante de fonder nos échanges sur des constats communs, préalable indispensable à tout dialogue. Il est urgent que nos débats budgétaires et financiers aient pour point de départ une analyse de l’existant s’appuyant sur des faits.
La fin de l’année 2024 a été marquée par une nouvelle vague de plans sociaux, qui risque de se poursuivre en 2025. Le mardi 5 novembre, les annonces simultanées de suppression de 1 254 emplois chez Michelin, sur les sites de Vannes et de Cholet, et de 2 389 emplois chez Auchan ont constitué un choc violent pour des milliers de personnes. Au cours des mois de novembre et de décembre, plusieurs milliers d’emplois ont été supprimés chez Michelin, Auchan, Valeo, ArcelorMittal, Vencorex, Exxon… Cette situation est plus que préoccupante, à l’heure où nous partageons l’ambition commune d’une réindustrialisation et d’une souveraineté économique retrouvée.
En réaction à ces suppressions d’emplois, le débat sur les aides publiques accordées aux entreprises a refait surface. Le 5 novembre dernier, le Premier ministre Michel Barnier soulevait lui‑même, à l’Assemblée, la légitime question du bon usage des deniers publics : « j’ai le souci de savoir ce qu’on a fait, dans ces groupes, de l’argent public ». S’il convient de ne pas tirer des conclusions simplistes, le problème soulevé est légitime.
Sur les quelques 2 000 dispositifs d’aides publiques aux entreprises existants, les estimations du montant global accordé chaque année varient de plusieurs dizaines de milliards d’euros ([1]). Un rapport de France Stratégie évalue le montant annuel d’aides aux entreprises à 139 ou 223 milliards d’euros, selon le périmètre retenu ([2]). Un rapport de référence réalisé en 2022 par des chercheurs du Clersé pour l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) évalue le montant total des aides publiques aux entreprises à 157 milliards d’euros en 2019 ([3]). Ces montants conséquents représenteraient de l’ordre de 20 % du budget de l’État.
Il existe déjà un cadre juridique supposé garantir l’accès aux informations produites et détenues par l’administration. Au niveau constitutionnel, les articles 14 et 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 affirment les principes de consentement à l’impôt et de contrôle de l’administration, en précisant notamment que « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux‑mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi […] ». De plus, l’article 24 de la Constitution confie explicitement au Parlement la mission de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Au niveau législatif, plusieurs lois ont défini les principes fondamentaux de l’accès aux documents administratifs : en particulier, la loi « CADA » du 17 juillet 1978 a instauré un droit d’accès aux documents administratifs, et la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a instauré une logique d’ouverture par défaut des données. De plus, un décret a précisé que les données essentielles des conventions de subvention doivent être publiées en ligne ([4]). En matière d’accès aux informations, la tendance est donc à l’ouverture des données (open data) et à la transparence.
Par ailleurs, le droit européen consacre une attention particulière à la question des aides publiques aux entreprises, qui sont soumises à des règles de transparence. À ce titre, les aides de la Politique agricole commune font l’objet d’une publication in extenso sur le site internet « telepac ». De plus, les aides aux entreprises supérieures à 500 000 euros doivent faire l’objet d’une publication en ligne sur le registre des aides d’État ([5]), et les aides dites de minimis, inférieures à 300 000 euros sur trois ans, devront être répertoriées dans un registre à partir du 1er janvier 2026 ([6]). Toutefois, ces obligations souffrent de trop nombreuses exceptions.
À l’heure de la numérisation généralisée des données, leur partage ne constitue plus un obstacle technique qui s’opposerait à une éthique de transparence. Les pouvoirs publics sont en mesure de publier le montant, le bénéficiaire et les informations complémentaires relatifs à chaque aide versée. D’ailleurs, les principales informations financières d’une entreprise sont déjà accessibles en ligne, tout comme les informations relatives à l’attribution des marchés publics aux entreprises sur le site « data.gouv.fr ».
Cette proposition de loi a pour objectif principal de poser une première pierre vers plus de transparence et d’évaluation des aides publiques. Elle favorisera un débat apaisé et éclairé, fondé sur des observations et des chiffres partagés. De nombreux travaux, à l’image de la mission d’information parlementaire sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, ont démontré l’existence d’un consensus politique sur ces questions ([7]).
L’article 1er instaure une obligation de publication en open data des données relatives aux aides publiques aux entreprises. Les administrations doivent publier l’intégralité des données relatives aux aides qu’elles attribuent sur une plateforme numérique, dans un standard ouvert, réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, sur le modèle des sites « telepac » ou « data.gouv.fr ». La responsabilité porte sur les administrations qui attribuent les aides, et non sur les entreprises qui les perçoivent. L’article précise également les données soumises à publication, les dispositifs d’aides concernés, le seuil à partir duquel elles doivent être publiées, ainsi que la non‑opposabilité des secrets à la publication du fait du caractère choisi de la plupart des sollicitations d’aide publique.
L’article 2 crée un rapport annuel annexé au projet de loi de finances sur les aides publiques aux entreprises. Ce rapport permet au Parlement de disposer de l’ensemble des informations sur les aides publiques aux entreprises. Il présente notamment un recensement exhaustif et consolidé des aides attribuées au cours de l’année, le montant total par aide et la part des dépenses fiscales en faveur des entreprises dans le budget de l’État. Il dresse également un bilan de l’efficacité des aides aux entreprises, notamment en matière d’emploi et de transition écologique.
L’article 3 gage la proposition de loi afin d’assurer sa recevabilité financière.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Les données relatives à l’intégralité des aides publiques aux entreprises attribuées par les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300‑2 du code des relations entre le public et l’administration sont publiées en ligne dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.
La publication en ligne s’effectue sur une plateforme numérique qui permet de centraliser et de rendre facilement accessible l’intégralité des données relatives aux aides publiques aux entreprises, ainsi que de présenter des outils de visualisation des données agrégées. La publication des données relatives à une aide s’effectue dans un délai de trois mois à compter de sa date d’attribution, puis dans un délai de trois mois à compter de sa date de paiement. Sont notamment rendues publiques les données suivantes pour chaque aide attribuée : l’entreprise bénéficiaire identifiée par un numéro unique d’identification, l’administration chargée de l’attribution de l’aide, le montant, la date d’attribution, la date de paiement, le dispositif d’aide, la nature, l’objet et les objectifs visés.
Sont considérées comme des aides publiques aux entreprises au sens du présent article les subventions, les avantages fiscaux, les prêts et avances remboursables, les garanties financières, les prises de participation, et les exonérations fiscales et sociales.
Sont visées les aides dont le montant total annuel par dispositif d’aide et par entreprise bénéficiaire est supérieur ou égal à 10 000 € hors taxes. Ce montant est révisé par la loi de finances de l’année, notamment en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation.
Les exceptions mentionnées au 2° de l’article L. 311‑5 et au 1° de l’article L. 311‑6 du code des relations entre le public et l’administration ne sont pas applicables au présent article.
Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application du présent article.
Article 2
Le Gouvernement présente sous forme d’annexe générale au projet de loi de finances de l’année prévue au 7° de l’article 51 de la loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances un rapport sur les aides publiques aux entreprises. Ce rapport :
1° Présente un recensement exhaustif et consolidé des subventions, des exonérations fiscales et sociales, des participations financières de l’État et des garanties financières attribuées aux entreprises au cours de l’année, comprenant notamment la liste des aides publiques aux entreprises, le montant total des aides, les montants totaux par aide et le poids des dépenses fiscales en faveur des entreprises dans le budget de l’État ;
2° Récapitule les crédits attribués par les ministères, au cours de l’année, aux aides publiques aux entreprises ;
3° Présente les objectifs de la politique du Gouvernement sur les aides publiques aux entreprises ;
4° Dresse un bilan de l’efficacité de la politique du Gouvernement sur les aides publiques aux entreprises, notamment en matière d’emploi et de transition écologique.
Article 3
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) https://aides-entreprises.fr/, consulté le 23 janvier 2025.
([2]) France Stratégie, Les politiques industrielles en France, novembre 2020, p.155.
([3]) Clersé (UMR 8019), Université de Lille, Un capitalisme sous perfusion. Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises, mai 2022, p.175.
([4]) Décret n° 2017-779 du 5 mai 2017 relatif à l'accès sous forme électronique aux données essentielles des conventions de subvention.
([5]) Commission européenne, Base de données des aides d’État Transparency.
([6]) Règlement (UE) 2023/2831 de la Commission du 13 décembre 2023 relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis.
([7]) Assemblée nationale, Rapport d'information sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, mars 2021.