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N° 1219
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à interdire toutes les activités industrielles des engins de pêche tractés comme les chaluts pélagiques ou les chaluts de fond dans les aires marines protégées françaises,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Clémence GUETTÉ, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Selon une étude du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ([1]), plus d’un tiers des aires marines dites « protégées » (AMP) dans le monde autorisent les activités et les infrastructures industrielles. Pourtant, selon les standards définis par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), « les usages industriels, (exploitation minière, pêche industrielle, extraction de pétrole et gaz), ne sont pas compatibles avec la définition d’une aire marine protégée » ([2]). En effet, la pêche industrielle est la principale cause de la destruction de la biodiversité marine. Elle est aussi responsable de 370 millions de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone chaque année, en raison de la destruction importante de puits de carbone liée à la perturbation et à la destruction de couches de sédiments du plancher océanique ([3]).
La France n’est pas exempte de responsabilité en la matière. On dénombre environ 400 000 heures de chalutage par an ([4]) dans les 589 aires marines dites « protégées » françaises. En 2021, la flotte industrielle a passé plus de 47,2 % de son temps à y pêcher[5]. Rien qu’au mois de janvier 2025, 7 161 kilomètres carrés de fonds marins ont déjà été détruits en France ([6]). C’est 10 fois la superficie de Singapour. Cela n’est pas surprenant. En effet, seules 0,1 % des 30 % des AMP de France métropolitaine sont réellement protégées selon les critères internationaux. Dans la mer du Nord et en Atlantique, ce n’est que 0,05 % ([7]). Ainsi, en 2023, dans l’aire marine protégée du talus du golfe de Gascogne, il y a eu plus de 200 000 heures de pêche au chalut ([8]). Dans la zone Natura 2000 Bancs des Flandres, des navires‑usines de 81 à 142 mètres pêchent l’équivalent de la pêche journalière de 1 000 petits navires ([9]). De plus, « les flottes [industrielles] appartenant à des puissances capitalistiques [sont] indifférentes au sort du tissu économique local » ([10]). Ainsi, la production de la pêche industrielle n’est ni utilisée au service de l’économie locale, ni vendue aux criées alentour. Enfin, la surexploitation des ressources halieutiques, de surcroît dans des zones supposées être protégées, conduit à une déplétion de celles‑ci. En effet, Joachim Claudet, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des aires marines protégées, explique que « quand il n’y a plus de mortalité par pêche dans une zone, les poissons peuvent grandir […], ils se reproduisent donc davantage » ([11]), ce qui avantage in fine les pêcheurs. Dans le Var (83), ce sont même eux qui administrent la réserve marine du Cap Roux ([12]).
La France ne respecte donc pas les objectifs qu’elle s’est elle‑même fixés dans la stratégie nationale pour les aires marines protégées à horizon 2030. Cette stratégie repose sur « la définition des aires protégées élaborée par l’Union internationale pour la conservation de la nature » ([13]), qui exclut d’office toutes les activités et les infrastructures industrielles de celles‑ci. Pourtant, il y a urgence. Selon le rapport 2024 de l’Unesco ([14]), 72 % des espèces marines qui sont menacées se trouvent dans les aires marines protégées, l’acidification s’accélère et le réchauffement des eaux est deux fois plus rapide qu’il y a deux décennies. Le secrétaire exécutif de la Commission océanographique de l’organisation alerte : « la crise océanique progresse plus vite que nos connaissances » ([15]). Le Rapport sur l’état de l’océan Copernicus de 2024 ([16]) dresse les mêmes constats : la glace en Antarctique a atteint son niveau le plus bas jamais enregistré, et les canicules marines se multiplient. L’édition de 2023 ([17]) pointait déjà que la pression croissante sur la diversité et la viabilité des écosystèmes marins nécessitait le déploiement de pratiques de pêche durables et de mesures de conservation de plus en plus exigeantes.
Nous ne sommes donc pas à la hauteur face à la catastrophe climatique et à la destruction des océans. La France est pourtant le deuxième plus grand espace maritime mondial. Notre zone économique exclusive s’étend sur une superficie de 10 186 624 kilomètres carrés dans des eaux réparties partout à travers le monde. Cette place lui confère une responsabilité : celle de montrer l’exemple dans le cadre de la protection de l’océan et de s’appliquer à elle‑même ce qu’elle prône à l’international. Le traité des Nations unies pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine dans les zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ) a officiellement été ratifié par la France le 5 février 2025. Il faut maintenant qu’elle s’engage pour une réelle protection de la biodiversité marine à l’échelle nationale. De surcroît, nous allons, à l’occasion de la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan, accueillir à Nice en juin 2025 des dirigeants, des scientifiques et des parlementaires du monde entier. Il est essentiel, pour la représentation nationale française, de défendre une voix forte et crédible pour notre pays et de promouvoir une meilleure protection de nos aires maritimes protégées. Les huit associations environnementales — Seas At Risk, Oceana, BLOOM, Blue Marine Foundation, Empesca’t, Environmental Justice Foundation, Only One et Tara Ocean Foundation — appellent en effet le président de la République à « une action urgente sur les méthodes de pêche destructrices » ([18]). L’article unique de cette proposition de loi vise à traduire cette ambition. Il défend l’interdiction de toutes les infrastructures industrielles, y compris celles des engins de pêche tractés comme les chaluts pélagiques ou les chaluts de fond, dans l’ensemble des aires marines protégées françaises.
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proposition de loi
Article unique
L’article L. 334‑1 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutes les activités industrielles des engins de pêche tractés comme les chaluts pélagiques ou les chaluts de fond sont interdites dans l’ensemble de ces aires marines protégées ».
([1]) Seul un tiers des aires marines protégées sont efficaces | CNRS. (s. d.). CNRS.
([2]) Aires marines protégées. Analyse comparée des stratégies et des réseaux à l’échelle internationale. (2019). Comité français de l’UICN.
([3]) Le chalutage profond rejette d’importantes quantités de CO2 dans l’atmosphère | Techniques de l’Ingénieur. (s. d.). Techniques de L’Ingénieur.
([4]) Lucchese, V. (2025, 13 janvier). « Hypocrite » , la France ne protège pas vraiment les océans. Reporterre, le Média de L’écologie - Indépendant et En Accès Libre.
([5]) Chauvin, H. (2022, 10 octobre). En France, 47 % de la pêche industrielle a lieu. . . dans des zones protégées. Reporterre, le Média de L’écologie - Indépendant et En Accès Libre.
([6]) Lavocat, Z. (2025, 31 janvier). BLOOM lance un radar du chalutage dans les aires marines « protégées » françaises. BLOOM Association
([7]) Lucchese, V. (2025, 13 janvier). « Hypocrite » , la France ne protège pas vraiment les océans. Reporterre, le Média de L’écologie - Indépendant et En Accès Libre.
([8]) Reporterre. (2024b, mars 26). Pêche : les chalutiers pillent toujours les aires marines protégées. Reporterre, le Média de L’écologie - Indépendant et En Accès Libre.
([9]) Reporterre. (2024c, décembre 16). Des navires-usines « massacrent » une zone protégée dans la Manche. Reporterre, le Média de L’écologie - Indépendant et En Accès Libre.
([10]) Perrier, M. (2022, 16 mai). Les circuits courts au secours de la petite pêche. Alternatives Economiques.
([11]) Chauvin, H. (2024, 29 octobre). En Méditerranée, des pêcheurs gèrent eux-mêmes une réserve marine. Reporterre, le Média de L’écologie - Indépendant et En Accès Libre.
([12]) Ibid
([13]) Stratégie nationale pour les aires marines protégées 2030. 2021.
([14]) Rapport sur l'état de l’océan 2024, l'UNESCO.
([15]) Saout, C. (2024, 17 septembre). Le rapport 2024 de l’océan ; UNESCO confirme une dégradation accélérée des océans. Océans Connectés.
([16]) Le Traon, P. Von Schuckmann, K. (2024, novembre) Quels enseignements tirer du 8e rapport Copernicus sur l’état de l’océan ?. La Météorologie.
([17]) Saout, C. (2023, 15 novembre). Un 7ème rapport sur l’ état de santé des océans. Océans Connectés.
([18]) Sanchez, L. (2025, 5 février). Protection des océans : Emmanuel Macron rappelé à ses ambitions avant le sommet de Nice en juin. Le Monde.