N° 1235

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à encadrer les avantages des anciens présidents de la République et des anciens premiers ministres,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Charles DE COURSON,

député.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’État ne saurait exiger des efforts des citoyens sans lui‑même donner l’exemple et sans mettre fin aux excès de son train de vie.

Directement touchés par la situation budgétaire du pays, nos concitoyens n’auront jamais autant suivi les débats autour du budget 2025. Ces débats ont pris un nouveau tournant lorsqu’en janvier dernier le Sénat a largement adopté un amendement visant à supprimer l’enveloppe opaque destinée aux dépenses des anciens Présidents de la République et des anciens Premier ministres.

La liste de ces avantages, leur nature, leur progression sur un an et leur coût estimé par le Sénat à 2,8 millions d’euros par an ont fortement interpellé. La réalité est que l’opinion publique ne supporte plus les excès d’un État en faillite. Cet amendement n’aurait évidemment pas permis de résoudre la question de la dépense publique qui atteint 56,8 points de produit intérieur brut (PIB). Toutefois, en plus de sa portée symbolique, il visait à rappeler à nos anciens dirigeants que leur statut impose un usage raisonné et sobre des deniers publics. Le choix d’effacer à huis clos cet amendement lors de la commission mixte paritaire, sans débat démocratique serein dans notre Assemblée, a envoyé un signal regrettable et a laissé entendre qu’aucun effort ne sera demandé au plus haut sommet de l’État.

Face à ces constats, ce texte se donne deux objectifs :

– définir dans la loi, un cadre unifié et intelligible des dépenses des anciens Présidents et Premiers ministres susceptibles d’être prises en charge ;

– resserrer le périmètre des avantages alloués dans une double logique de bonne gestion des deniers publics et d’exemplarité.

Face à des dépenses substantielles (I), le cadre des avantages des anciens Président (II) et des anciens Premiers ministres (III) gagnerait à être redéfini.

I. Des dépenses conséquentes sans information suffisante du Parlement

A. Le coût des deux anciens Présidents de la République

1,32 million d’euros ([1]) : le coût des avantages stricto sensu des deux anciens Présidents de la République en 2023 (hors dépenses de sécurité et rémunérations). Ces crédits sont concentrés sur le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l’action du Gouvernement ». À titre d’exemple, pour l’un des Présidents, on trouve 388 868 euros pour le personnel, 165 383 euros pour les locaux et 31 314 euros de frais de représentation/réception.

À cette somme il faut ajouter pour chaque Président :

 65 000 euros brut/an liée à la dotation annuelle versée par l’État.

 180 000 euros brut/an s’il siège au Conseil constitutionnel. Ce montant excède d’ailleurs ce qui est prévu par l’ordonnance organique ([2]).

 1,2 à 1,3 million d’euros/an ([3]) de dépenses de protection et sécurité par président.

B. Le coût des anciens Premiers ministres

1,42 million d’euros ([4]), le coût des avantages stricto sensu de dix anciens Premiers ministres en 2023 (hors sécurité). Ce coût n’inclut pas MM. Laurent Fabius (ancien Président du Conseil constitutionnel), Jean Castex (président directeur général de la RATP) et Édouard Philippe (maire du Havre) qui, en raison de leurs fonctions, sont exclus des avantages ou n’y ont pas recours. Il n’inclut pas Mme Elisabeth Borne et MM. Gabriel Attal et Michel Barnier faute de données récentes. Ce coût progresse de +11 % sur un an, il résulte des dépenses de personnel (1,29 million d’euros) et automobiles (128 217 euros). À titre d’exemple, 197 539 euros pour M. Dominique de Villepin.

2,8 million d’euros ([5]) le coût total de la protection et la sécurité, en plus des avantages.

II. Les dépenses des anciens Présidents reposent sur un cadre mal défini

Le rapport de mars 2016 relatif à « La situation des anciens Présidents de la République » ([6]) distingue revenus, avantages et dépenses de sécurité.

A. Deux catégories de revenus

1/Une dotation annuelle attribuée aux anciens Présidents, calculée à partir du traitement indiciaire brut d’un conseiller d’État (art. 19 de la loi du 3 avril 1955 ([7])).

2/Une rémunération en qualité de membre de plein droit du Conseil constitutionnel (article 56, alinéa 2 de la Constitution et article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel). Cette question ne sera pas traitée par la présente proposition de loi car elle nécessiterait des changements dans la loi organique voire une révision constitutionnelle.

B. Les « avantages » ont été encadrés mais restent substantiels

Le seul fondement de ces avantages était une lettre du Premier ministre Laurent Fabius en date du 8 janvier 1985 jusqu’au décret du 4 octobre 2016 ([8]) relatif au soutien matériel et en personnel des anciens Présidents. Ce décret prévoit un cabinet de sept collaborateurs et deux agents de service pendant les dix premières années, puis trois collaborateurs et un agent ; des locaux de bureaux meublés et équipés et des frais de réception et de déplacement. En plus d’une rémunération, les collaborateurs bénéficient d’une indemnité de sujétions particulières ([9]).

C. Un dispositif de protection et de sécurité sans base juridique solide

En l’état, la sécurité des anciens chefs de l’État résulte d’une tradition républicaine. Son organisation ne repose que sur un arrêté de 2013[10] qui renvoie à une décision discrétionnaire du ministre de l’Intérieur. Les frais qui en découlent sont supportés par ce ministère (art. 5 du décret de 2016).

III. L’encadrement des avantages des anciens Premiers ministres gagnerait à être renforcé

Les avantages ont récemment été encadrés, le décret du 20 septembre 2019 relatif à la situation des anciens Premiers ministres prévoit : un secrétariat particulier avec un agent pour dix ans à compter de la fin du mandat et au plus tard jusqu’à l’âge de 67 ans et un véhicule de fonction avec chauffeur sans limite de durée. Ce soutien ne s’applique pas si l’ancien Premier ministre dispose déjà de tels avantages en raison d’un mandat ou d’une fonction publique. Les dépenses de sécurité sont garanties dans les conditions susmentionnées.

Ces avantages laissent apparaître trois difficultés : des dépenses substantielles et opaques, un manque d’information du Parlement et un cadre juridique illisible.

Face à ces lacunes, la présente proposition de loi se divise en quatre articles :

L’article 1er encadre de manière stricte et unifiée les différents avantages.

Le I restreint les avantages auxquels ont droit les anciens chefs de l’État. Il limite à dix ans après la cessation des fonctions – au lieu d’une durée illimitée – la prise en charge d’un cabinet et d’un bureau de fonction. Il subordonne la prise en charge des frais (hors sécurité) à un lien direct avec l’exercice des anciennes fonctions et sur présentation de justificatifs. Il pourrait être envisagé de confier ce contrôle à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Enfin, comme pour les anciens Premiers ministres, il exclut tout avantage lorsque l’ancien Président bénéficie d’avantages identiques dans le cadre d’un mandat ou d’une fonction publique.

Le II restreint les avantages des anciens chefs de Gouvernement. Il limite à dix ans le droit à un secrétariat particulier et à un véhicule avec chauffeur, tout en maintenant la limite d’âge fixée à 67 ans. Il consacre dans la loi l’exclusion de ces avantages en cas de mandat électif ou de fonction publique.

Le III garantit dans la loi les mesures de protection et de sécurité.

L’article 2 encadre la dotation annuelle des anciens Présidents de la République. Il exclut son cumul avec la rémunération de membre du Conseil constitutionnel. Il plafonne son montant lorsqu’un ancien Président perçoit une indemnité de mandat, une rémunération professionnelle ou une pension.

L’article 3 prévoit une information centralisée et annuelle du Parlement.

L’article 4 constitue le gage.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

I. – Pour une durée qui ne peut excéder dix ans après la cessation de leurs fonctions, les anciens présidents de la République peuvent bénéficier, à leur demande, d’un cabinet, dans la limite de trois collaborateurs, d’un local à usage professionnel et d’un véhicule de fonction. Ces dispositions ne s’appliquent pas à l’ancien Président de la République qui bénéficie de moyens identiques dans le cadre d’un mandat électif national ou local ou d’une fonction publique.

Les frais de représentation et de réception ne sont pris en charge par l’État que s’ils présentent un lien direct avec les fonctions d’ancien Président de la République et sous réserve d’être dûment justifiés.

II. – Pour une durée qui ne peut excéder dix ans après la cessation de leurs fonctions et dans la limite d’âge de soixante-sept ans, les anciens premiers ministres peuvent bénéficier, à leur demande, d’un secrétaire particulier et d’un véhicule de fonction. Ces dispositions ne s’appliquent pas à l’ancien Premier ministre qui bénéficie de moyens identiques dans le cadre d’un mandat électif national ou local ou d’une fonction publique.

III. – À compter de la cessation de leurs fonctions et pour une durée de dix ans, les anciens présidents de la République et les anciens premiers ministres bénéficient de plein droit, à tout moment, sur le territoire français et à l’étranger, d’une protection personnelle. Son organisation est confiée au ministre de l’intérieur.

IV. – Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État. 

Article 2

I. – Il peut être attribué aux anciens Présidents de la République, à leur demande, une dotation annuelle d’un montant égal à celui du traitement indiciaire brut d’un conseiller d’État en service ordinaire.

La dotation est exclusive de toute rémunération publique. Elle n’est pas cumulable avec l’indemnité reçue en qualité de membre du Conseil constitutionnel prévue à l’article 6 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

Elle ne peut être cumulée avec les indemnités d’un mandat électif, le revenu tiré d’une activité professionnelle ou le versement d’une pension que dans la limite du traitement brut reçu par le Président de la République en exercice.

II. – L’article 19 de la loi n° 55‑366 du 3 avril 1955 relative au développement des crédits affectés aux dépenses du ministère des finances et des affaires économiques pour l’exercice 1955 est abrogé.

III. – Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État. 

Article 3

Chaque année le Gouvernement remet au Parlement un rapport retraçant l’ensemble des dépenses de l’État directement ou indirectement liées aux anciens présidents de la République et aux anciens premiers ministres.

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Rapport spécial du 19 octobre 2024 de Marie-Christine Dalloz sur la mission Direction de l’action du Gouvernement (annexe n°14 au PLF 2025)

([2]) Rapport spécial du 19 octobre 2024 de Marianne Maximi sur la mission Pouvoirs publics (annexe n°34 au PLF 2025)

([3]) Réponse à la question écrite n°9580 de Mme la députée Christine Pires Beaune, publiée au JO le 10/10/2023

([4]) Rapport spécial du 19 octobre 2024 de Mme Dalloz sur la mission Direction de l’action du Gouvernement (annexe n°14)

([5]) Réponse à la question écrite n° 25945 de Mme la députée Aude Bono-Vandorme, publiée au JO le 16/06/2020.

([6]) Rapport de mars 2016 du Vice-président du Conseil d’Etat et du Premier Président de la Cour des comptes, « La situation des anciens Présidents de la République »

([7]) Loi n° 55-366 du 3 avril 1955 relative au développement des crédits affectés aux dépenses du ministère des finances et des affaires économiques pour l'exercice 1955

([8]) Décret n° 2016-1302 du 4 octobre 2016 relatif au soutien matériel et en personnel apporté aux anciens Présidents

([9]) Décret n°2001-1148 du 5 décembre 2001 instituant une indemnité pour sujétions particulières des personnels des cabinets ministériels (art. 1er)

([10]) Arrêté du 12 août 2013 relatif aux missions et à l'organisation du service de la protection (art. 5)