N° 1237

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre la mortalité infantile,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Paul-André COLOMBANI, M. Laurent PANIFOUS, M. Jean-Pierre BATAILLE, M. Joël BRUNEAU, M. Michel CASTELLANI, M. Salvatore CASTIGLIONE, M. Yannick FAVENNEC-BÉCOT, Mme Martine FROGER, M. David HABIB, M. Harold HUWART, M. Stéphane LENORMAND, M. Max MATHIASIN, M. Laurent MAZAURY, M. Paul MOLAC, M. Christophe NAEGELEN, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Nicole SANQUER, M. Olivier SERVA, M. David TAUPIAC, Mme Estelle YOUSSOUFFA, M. Stéphane VIRY,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La mortalité infantile en France suit une trajectoire préoccupante. Alors qu’elle recule dans la plupart des pays européens, elle progresse régulièrement depuis 2020. En 2024, elle s’est élevée à 4,1 décès pour 1 000 naissances vivantes, contre 3,5 quatre ans plus tôt. 2 800 nourrissons sont décédés avant leur premier anniversaire, dont près de 70 % au cours du premier mois de vie. Cette évolution place désormais la France au 23e rang sur 27 au sein de l’Union européenne.

Face à cette tendance alarmante, plusieurs travaux ont souligné l’absence d’une réponse cohérente et structurée. La mission flash menée par les députés Anne Bergantz et Philippe Juvin a mis en lumière les carences du système dans le pilotage de la santé périnatale : manque d’outils de suivi, défaut de consolidation des données, inégalités de pratiques, et absence de stratégie nationale coordonnée. Ces constats rejoignent ceux formulés de longue date par les soignants et les chercheurs.

Parmi les éléments de contexte les plus préoccupants figure l’éloignement géographique croissant des structures de soins. En cinquante ans, les trois quarts des maternités ont fermé, bouleversant en profondeur le maillage territorial. Aujourd’hui, près de 900 000 femmes résident à plus de 30 minutes d’une maternité, et le nombre de celles vivant à plus de 45 minutes a augmenté de 40 % depuis 2000. Une enquête récente réalisée par les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin révèle que le risque de décès néonatal est multiplié par deux lorsque le trajet jusqu’à la maternité dépasse 45 minutes. Ce seul chiffre suffit à mesurer la part de danger que fait peser l’éloignement sur des milliers de naissances, chaque année.

Cette réalité prend un relief particulier dans certains territoires insulaires, ruraux ou de montagne, où le temps d’accès aux soins dépasse fréquemment les seuils reconnus comme critiques. À titre d’exemple, en Corse‑du‑Sud, la fermeture envisagée de la maternité de Porto‑Vecchio aurait contraint les femmes de la région à parcourir plus de deux heures de route pour accoucher à Bastia — soit trois fois le seuil de 45 minutes au‑delà duquel les risques néonatals sont considérés comme critiques. Un tel éloignement fait peser des dangers réels sur la sécurité des mères et des nouveau‑nés. Ce type de configuration territoriale, s’il venait à se généraliser, rendrait toute politique de santé périnatale inopérante.

Par ailleurs, l’accès aux soins ne peut être dissocié de la désorganisation plus large de la filière périnatale : saturation des établissements de référence, sous‑dotation chronique en personnel, effritement des dispositifs de prévention, et déclin des services de protection maternelle et infantile, dont la fréquentation a été divisée par deux en vingt ans. L’ensemble du parcours de soin se trouve fragilisé, de la grossesse au suivi post‑natal.

À cela s’ajoute une carence fondamentale : la France ne dispose pas d’un registre national des naissances, alors même que plusieurs pays européens s’appuient sur ce type d’outil pour comprendre, prévenir et corriger les causes de décès précoces. L’absence de telles données rend impossible la construction d’indicateurs robustes et la mise en œuvre de politiques publiques adaptées.

Il va de soi que la lutte contre la mortalité infantile nécessite une approche globale, incluant notamment la prévention, la couverture vaccinale, la lutte contre la précarité ou encore l’accompagnement des familles. Mais le présent texte fait le choix de s’attaquer en priorité à un levier essentiel et structurant : l’accès aux soins, leur organisation territoriale et la consolidation des données de santé périnatale. Sans une action déterminée sur ces leviers, toute ambition en matière de santé périnatale restera un affichage sans effet.

L’article 1er prévoit la mise en place d’un registre national des naissances, en intégrant au Système national des données de santé (SNDS) des informations aujourd’hui éparpillées ou non exploitées à des fins de pilotage : les bulletins d’état civil, transmis par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), ainsi que les certificats de santé de l’enfant, réalisés dans le cadre des examens obligatoires. Ces derniers font déjà l’objet d’une démarche de dématérialisation, qui pourra faciliter leur remontée automatique.

Ce registre répond à une recommandation explicite de la mission flash Bergantz‑Juvin, ainsi qu’aux constats formulés par la Cour des comptes dans son rapport thématique de 2024. Il permettrait de combler une lacune majeure dans le système d’information en santé périnatale, en produisant des indicateurs consolidés, fiables et exploitables, condition indispensable à toute politique publique structurée. Ce nouvel outil offrirait une visibilité accrue sur les situations à risque et faciliterait la mise en œuvre d’actions de prévention ciblées, tout en assurant une meilleure coordination entre acteurs de santé.

L’article 2 institue un moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités, afin de permettre une évaluation fine et territorialisée des établissements menacés. Cette mesure vise en particulier les structures dont l’activité tourne autour de 300 accouchements par an, seuil souvent utilisé comme critère implicite de fermeture, sans prise en compte des réalités locales.

Ce moratoire répond à une nécessité urgente : éviter la disparition irréversible de structures de proximité, parfois uniques dans leur zone géographique, avant même que ne soit engagée une analyse sérieuse de leur utilité, de leur accessibilité et de leur potentiel d’amélioration. L’objectif est de réconcilier sécurité et proximité, et de garantir que les décisions de fermeture ne reposent pas exclusivement sur des logiques économiques, mais bien sur des critères de santé publique, adaptés aux spécificités territoriales.

Il s’agit d’amorcer une réflexion nationale sur les critères d’autorisation d’activité obstétrique, en tenant compte des enjeux d’égalité d’accès, de continuité des soins et de résilience des territoires. Le seuil d’activité, aujourd’hui appliqué de manière uniforme, pourrait ainsi être redéfini en fonction de la géographie, de la démographie et des contraintes locales.

L’article 3 rend quant à lui obligatoire la mise en place, dans chaque maternité, de formations régulières aux gestes d’urgence obstétrique. Cette mesure, elle aussi issue des recommandations de la mission flash, vise à renforcer la capacité des équipes médicales à faire face aux situations critiques, en particulier dans les structures isolées ou à faible effectif.

Ces formations devront être certifiées par la Haute Autorité de santé, qui pourra également en évaluer l’effectivité et la qualité. Elles permettront de réduire les inégalités de prise en charge, d’assurer une montée en compétence des professionnels, et de consolider la sécurité des accouchements sur l’ensemble du territoire, quel que soit le niveau d’activité des établissements.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 1461‑1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) Le 10° est complété par les mots : « , et notamment les certificats de santé de l’enfant définis à l’article L. 2132‑2 du présent code ; »

b) Il est ajouté un 12° ainsi rédigé :

« 12° Les bulletins d’état civil communiqués à l’institut national de la statistique et des études économiques dans le cadre de ses missions relatives à la tenue du répertoire national d’identification des personnes physiques ; »

2° Le III est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° À la consolidation d’un registre national des naissances. »

Article 2

I. – À compter de la promulgation de la présente loi, et pour une durée de trois ans, aucune activité d’obstétrique ne peut voir son autorisation retirée ou remise en cause, sauf en cas d’urgence tenant à la sécurité des patients.

II. – Durant cette période, les agences régionales de santé territorialement compétentes élaborent un état des lieux des établissements exerçant une activité d’obstétrique pratiquant moins de 300 accouchements par an afin d’évaluer l’accessibilité, la qualité et la sécurité des soins, ainsi que les conditions de travail des professionnels de santé.

III. – Sur la base de ces évaluations et dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation détaillant les conclusions et les recommandations de ces dernières dans l’objectif de garantir la pérennité de ces établissements, notamment en termes de moyens humains et financiers.

Article 3

I. – L’article L. 6111‑2 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les établissements de santé publics et privés autorisés en application de l’article L. 6122‑1 à faire fonctionner une unité de gynécologie obstétrique garantissent une formation continue aux gestes d’urgence obstétrique, dans le cadre de la mission définie au 3° bis de l’article L. 161‑37 du présent code, et dans des conditions déterminées par décret. »

II. – Après le 3° de l’article L. 161‑37 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Établir un protocole national de formation continue obligatoire pour les personnels exerçant dans les unités de gynécologie obstétrique et s’assurer de sa mise en œuvre ; »

Article 4

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.