N° 1238
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à combler les lacunes de la réponse pénale face au viol,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Constance DE PÉLICHY,
députée.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Chaque année, les témoignages des victimes de viols nous rappellent la nécessité de lutter sans relâche contre les violences sexistes et sexuelles.
La présente proposition de loi s’inscrit pleinement dans cette lutte. Elle doit permettre de pallier les failles de notre arsenal pénal en réprimant les différentes formes de viols en série, notamment ceux commis à l’encontre d’une seule et même victime ; les différentes formes de viols en réunion ; les viols commis avec préméditation ou guet‑apens et les viols commis au domicile même de la victime, seul lieu où toute personne est censée se sentir en sécurité.
Ce texte part d’un constat préoccupant. Les chiffes et les statistiques qui remontent du terrain font état de 252 000 victimes de violences sexuelles en 2021, dont 168 000 victimes de viols et de tentatives de viol. Face à ces faits, la réponse des juridictions pénales demeure particulièrement limitée avec seulement 1 143 condamnations la même année. La situation ne cesse de s’aggraver, le recensement des victimes de viol progresse avec une hausse moyenne de +11 % sur la période 2016‑2022.
La réalité est que pour ces victimes, essentiellement des femmes (85 % des victimes), le chemin pénal est long et difficile. Beaucoup renoncent à déposer plainte, cela concerne près de huit victimes sur dix pour les viols commis en dehors du cadre familial. Parmi les principales raisons, on retrouve la crainte de ne pas être crue, la peur d’être blâmée, la volonté d’éviter que cela ne se sache mais aussi le sentiment que les faits ne seraient pas si graves. Une fois la première étape passée, les victimes qui déposent plainte font face à un taux de classement sans suite de 94 %.
Cette lutte aux côtés des victimes impose désormais de pallier les lacunes de notre arsenal pénal en matière de lutte contre le viol.
Pour rappel, le viol, défini à l’article 222‑23 du code pénal, est défini comme le fait de commettre tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit ou tout acte bucco‑génital par violence, contrainte, menace ou surprise. Une définition qui pourrait bientôt être complétée par la notion de « consentement ». Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle.
La peine prévue peut atteindre vingt ans de réclusion criminelle pour certaines circonstances aggravantes listées à l’article 222‑24. La peine peut également atteindre trente ans de réclusion criminelle dans le cas où le viol a entraîné la mort de la victime voire la perpétuité en cas de tortures et d’actes de barbarie.
Toutefois, en dépit de tous ces articles, la section du code pénal dédiée au viol présente plusieurs lacunes. Elle ne fait aucune mention des cas de viols en série imposés sur une seule et même victime. Elle ne permet pas non plus de réprimer certains viols en réunion commis par plusieurs personnes contre une même victime à différents moments comme dans l’affaire dite des « viols de Mazan ». Cette section ne prévoit pas non plus de circonstances aggravantes liées à la préméditation ou au lieu où le viol est commis.
Ces lacunes de notre droit ne sont pas acceptables et ne sont pas à la hauteur des enjeux de la lutte contre les violences sexuelles. L’absence d’infraction ou de circonstance aggravante est non seulement de nature à priver d’effet dissuasif notre droit pénal mais conduit également à un sentiment d’impunité pour les victimes. A cela s’ajoute l’insuffisance de la peine d’emprisonnement encourue.
En ce sens, l’affaire dite des « viols de Mazan » constitue un exemple probant. La levée du huis clos par Gisèle Pelicot a permis d’encourager la libération de la parole des femmes et a rappelé que la honte devait changer de camp, deux messages importants pour les victimes. Cependant, le traitement de ce dossier a souligné certaines failles. Le 19 décembre 2024, Dominique Pelicot a été condamné à vingt ans de réclusion criminelle par la cour criminelle du Vaucluse pour avoir violé son épouse avec l’usage de produits stupéfiants mais également pour l’avoir faite violer par des dizaines d’autres hommes et d’avoir filmé ces scènes. Cette condamnation ne tient toutefois pas compte du nombre de viols que Dominique Pelicot a pu infliger, à lui seul, de manière répétée, à son épouse.
En l’état du droit, un individu qui commettrait seul une série de viols à l’encontre d’une même victime serait condamné à la même peine qu’un individu ayant commis un seul viol.
Avec le droit en vigueur, le viol en réunion contre une victime commis de manière répétée par différents agresseurs à différents moments, comme pour les viols de Mazan, ne fait pas l’objet d’une répression spécifique et autonome.
Par ailleurs, un individu qui aurait repéré une victime et préparé son viol n’encourt pas de peine plus élevée qu’un individu qui a agi sans préméditation.
Enfin, le fait qu’un agresseur commette un viol au domicile même de la victime ne conduit pas à des peines aggravées, alors même qu’un tel acte est de nature à infliger un sentiment d’insécurité permanente voire d’empêcher la victime de revenir vivre chez elle.
Au fond, notre code pénal ne réprime donc ni les violeurs en série, ni les violeurs qui ciblent leurs victimes ou préméditent leurs agressions.
L’article unique répond à ces lacunes.
1/Il crée deux nouvelles circonstances aggravantes à l’article 222‑24 du code pénal afin de réprimer, d’une part le viol commis avec préméditions ou guet‑apens, et, d’autre part, le viol commis au domicile de la victime. Le viol commis avec l’une de ces circonstances aggravantes serait puni de 20 ans de réclusion criminelle.
2/Il réprime de manière autonome deux nouvelles infractions :
Le viol en réunion, puni de vingt ans de réclusion criminelle qui cible d’une part, le viol commis par plusieurs agresseurs sur une même personne au même moment ; d’autre part, les viols commis par plusieurs personnes sur une même victime à différents moments lorsque les agresseurs ont conscience de la répétition de leurs actes. Ce dernier cas correspond à l’affaire dite des « viols de Mazan ».
Dans le cas où ce viol en réunion aurait entraîné la mort de la victime ou aurait été suivi de tortures ou d’actes de barbarie, il serait puni respectivement de trente ans de réclusion criminelle et de la réclusion criminelle à perpétuité
Le viol en série, puni de trente ans de réclusion criminelle qui cible d’une part, les viols commis par un même auteur à l’encontre d’une même victime ; d’autre part, les viols commis par une même personne à l’encontre de plusieurs victimes.
Dans le cas où ce viol en série aurait entraîné la mort de la victime ou aurait été accompagné de tortures, il serait puni de la réclusion criminelle à perpétuité.
Pour tirer les conséquences de la création de ces deux nouvelles infractions, l’article unique supprime certaines circonstances aggravantes actuelles.
– 1 –
proposition de loi
Article unique
Le chapitre II du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 222‑24 est ainsi modifié :
a) Le 6° et le 10° sont abrogés ;
b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« 16° Lorsqu’il est commis avec préméditation ou guet‑apens ; »
« 17° Lorsqu’il est commis au domicile de la victime. »
2° Après l’article 222‑24, sont insérés deux articles 222‑24‑1 et 222‑24‑2 ainsi rédigés :
« Art. 222‑24‑1. – Le viol défini aux articles 222‑23, 222‑23‑1 et 222‑23‑2 est puni de vingt ans de réclusion criminelle lorsqu’il est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.
« L’infraction de viol en réunion prévue au premier alinéa est constituée lorsque plusieurs viols sont commis sur une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces actes caractérisent une répétition.
« Les deux premiers alinéas de l’article 132‑23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue par le présent article.
« Art. 222‑24‑2. – Le viol défini aux articles 222‑23, 222‑23‑1 et 222‑23‑2 est puni de trente ans de réclusion criminelle :
« 1° Lorsqu’il est commis en concours avec un ou plusieurs autres viols commis sur d’autres victimes ;
« 2° Lorsqu’il est commis à plusieurs reprises sur une même victime.
« Le viol en série prévu au présent article est puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il a entraîné la mort de la victime ou lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de tortures et d’actes de barbarie. »
« Les deux premiers alinéas de l’article 132‑23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue par le présent article ».
3° Aux articles 222‑25 et 222‑26, la référence : « et 222‑23‑2 » est remplacée par les références : « , 222‑23‑2 et 222‑24‑1 ».