N° 1239
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à étendre l’aide médicale de l’État à Mayotte,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Estelle YOUSSOUFFA,
députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Mayotte est aujourd’hui le seul département français où l’aide médicale de l’État (AME) ne s’applique pas, alors même qu’il s’agit du territoire qui compte la plus forte proportion d’étrangers en situation irrégulière. L’absence de ce dispositif, qui permet la prise en charge des dépenses de santé des étrangers sans titre de séjour régulier, soulève d’importants enjeux de santé publique, aussi bien pour le public concerné que pour l’ensemble de la population de l’île.
En l’absence d’AME, les étrangers en situation irrégulière se tournent majoritairement vers le seul Centre hospitalier de Mayotte (CHM), et plus spécifiquement vers ses services d’urgence, plutôt que vers la médecine de ville, où ils seraient confrontés à des frais à avancer. Cette dynamique entraîne souvent une prise en charge trop tardive de pathologies qui nécessiteraient pourtant une intervention plus en amont. Elle génère également une hausse des coûts de santé : des soins tardifs, prodigués dans un contexte d’urgence, se révèlent plus coûteux et moins efficaces, constituant ainsi un surcoût significatif pour l’ensemble du système.
De plus, le recours quasi exclusif au CHM contribue à l’engorgement du seul service hospitalier de l’île et désorganise l’offre de soins dans le département, déjà reconnu comme le plus grand désert médical de France. Le CHM assure 72 % de l’offre de soins de l’île, selon deux rapports d’information des commissions des Affaires sociales du Sénat (2022) et de l’Assemblée nationale (octobre 2024).
Par conséquence comptable, en l’absence d’AME, l’hôpital supporte seul la charge financière de la prise en charge des étrangers en situation irrégulière, ce qui engendre un déficit supplémentaire pour l’établissement, contraint d’absorber des dépenses « non compensées ». Cette situation aggrave d’autant plus ses difficultés financières.
Le Rapport d’information n° 833 (2021‑2022), déposé le 27 juillet 2022 au Sénat rappelle que « Dans le contexte d’une pression extrême en termes de besoins de santé et d’investissements importants pour accroître l’offre de soins, le CHM dispose aujourd’hui d’un financement dérogatoire au droit commun. Ne s’applique ainsi pas à Mayotte le financement à l’activité assis sur la tarification et la facturation des actes réalisés (T2A). Le CHM est ainsi aujourd’hui financé sous le régime qui préexistait jusqu’au début des années 2000, celui de la « dotation globale ». Une dotation annuelle de fonctionnement (DAF) est versée chaque année par l’assurance maladie pour le fonctionnement du CHM. (…) La part substantielle de personnes recevant des soins au CHM n’ayant pas de droits ouverts à l’assurance maladie ni d’accès à l’aide médicale de l’État non applicable à Mayotte prive le CHM de toute possibilité de facturation réelle des actes réalisés. La contribution exigée dans certains cas pour les non assurés pour les consultations et dispensations de médicaments (10 ou 25 euros selon les cas) n’est qu’une ressource marginale et ne correspond aucunement à la charge pour l’hôpital. La conséquence immédiate de la dotation globale, négociée avec le ministère, est que le montant de la dotation globale versée au CHM ne suit pas l’évolution de l’activité pourtant très dynamique. (…) La mission Igas de 2017 recommandait une transition vers la tarification à l’activité (T2A) en cinq ans, avec un versement complémentaire pour la prise en charge des non‑assurés dans l’attente d’un déploiement de l’AME."
Pour rappel, la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale avait approuvé les recommandations du rapport d’information sur les enjeux migratoires aux frontières Sud de l’Union européenne et dans l’océan Indien, n° 1295, déposé le mercredi 31 mai 2023 appelant, entre autres à la mise en place de l’aide médicale de l’État à Mayotte. Le rapport indiquait ainsi que :
« L’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte et le centre hospitalier de Mayotte (CHM) estiment difficile, compte tenu notamment de l’absence de données fiabilisées dont dispose le CHM, d’estimer la part des dépenses dévolues à la prise en charge des non‑assurés sociaux. Ceci étant, la dotation annuelle du CHM s’élève en moyenne à 240 millions d’euros par an sur les cinq dernières années. Si l’on considère qu’environ 40 % de la file active du CHM ne bénéficie pas d’une affiliation sociale (proportion en hausse ces dernières années), on peut estimer que la part des dépenses annuelles du CHM pour la prise en charge des non‑assurés sociaux est de l’ordre de 96 millions d’euros, soit 480 millions d’euros sur les cinq dernières années. En parallèle, la Cour des Comptes estime que les dépenses de santé à Mayotte s’élevaient en 2017 à 900 euros par habitant.
Dans le cadre de l’aide médicale d’urgence (AMU), le fonds d’intervention en région (FIR) de l’ARS prend en charge la part des non‑affiliés opérés par les transports sanitaires privés (transports urgents régulés par le Service d’aide médicale urgente ou SAMU). En 2022, cela représentait un coût de 270 000 euros. »
Le rapport rapportait les données suivantes : « La file active des soins réalisés aux personnes non affiliées représente ainsi près de 50 % du total des séjours hospitaliers au centre hospitalier de Mayotte (CHM), plus de 60 % des consultations réalisées en centres périphériques du CHM et plus de 90 % des consultations en protection maternelle et infantile (PMI). »
NOMBRE DE PATIENTS FRANÇAIS OU ÉTRANGERS SOIGNÉS CHAQUE ANNÉE AU CENTRE HOSPITALIER DE MAYOTTE
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2020 |
2021 |
2022 |
Nombre de patients Français |
87 072 |
97 811 |
93 626 |
Nombre de patients étrangers |
77 455 |
89 934 |
85 567 |
Source : Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte
L’extension de l’AME à Mayotte permettrait de libérer en partie l’hôpital de cette charge, en réorientant les patients vers la médecine de ville, mieux adaptée à la prévention et au suivi de certaines pathologies. Dans ce contexte, il apparaît donc indispensable de rétablir l’AME pour assurer un accès minimal aux soins pour ces personnes et soulager les structures hospitalières. Une telle mesure améliorerait la prévention, réduirait les coûts liés aux interventions tardives et renforcerait la cohésion sanitaire sur l’île. Elle est d’autant plus cruciale face aux risques épidémiques actuels, afin de préserver la santé de tous et de consolider la solidarité territoriale.
Alors que le Cyclone Chido a complètement détruit Mayotte et mis à nu ses vulnérabilités préexistantes ainsi que ses besoins criants en matière de santé, la phase de (Re)Construction de l’île appelle aussi à repenser l’offre de soins en permettant au département de bénéficier du système d’aide médicale de l’État pensé pour soigner les étrangers en situation irrégulière et sécuriser le système de santé publique.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
I. – L’article L. 542‑5 du code de l’action sociale et des familles est abrogé.
II. – L’article L. 6416‑5 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du titre V du livre II du code de l’action sociale et des familles, relatives à l’aide médicale de l’État, sont applicables à Mayotte. » ;
2° Le quatrième alinéa est complété par les mots : « sauf si celles‑ci bénéficient des dispositions du titre V du livre II du code de l’action sociale et des familles relatives à l’aide médicale de l’État » ;
3° À la dernière phrase du dernier alinéa, après le mot : « ci‑dessus », sont insérés les mots : « , ainsi que les bénéficiaires des dispositions du titre V du livre II du code de l’action sociale et des familles relatives à l’aide médicale de l’État, ».
Article 2
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.