N° 1299

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire les euthanasies dites de convenance des chiens et des chats,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Aymeric CARON,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

On appelle « euthanasie de convenance » une euthanasie qui n’est pas justifiée médicalement ou sanitairement. Une euthanasie donc inutile, arbitraire. En ce sens, elle est interdite au titre de l’article 522‑1 du code pénal qui sanctionne « le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique ». Or dans les faits, quantité d’animaux sont euthanasiés chaque année en France, en toute impunité et en toute opacité, aux moyens de l’argent public.

Certains pays ont déjà pris conscience du problème et ont adopté des législations ambitieuses pour lutter contre ce phénomène. En Espagne, depuis septembre 2023, une loi sur le bien‑être animal vise « l’euthanasie zéro ». Elle encadre strictement l’euthanasie et exclut expressément le fait d’euthanasier un animal « pour des questions économiques, de surpopulation ou de manque de place » ([1]). L’euthanasie n’est autorisée qu’à la condition qu’un rapport vétérinaire indique que c’est la seule option possible pour le bien‑être de l’animal.

De nombreuses associations de protection animale alertent sur ce problème d’ampleur depuis des années. Régulièrement, elles dénoncent dans la presse des découvertes macabres, comme les exactions commises dans un refuge de Pau (64), visé par une plainte de l’association Animal Cross, selon laquelle le refuge aurait procédé à des euthanasies massives d’au moins 1 700 animaux entre 2010 et 2013. Au total, près de 7 500 euthanasies de chiens et de chats ont été pratiquées entre 1990 et 2013. Juste sur l’année 2013, le refuge, qui faisait également office de fourrière, aurait euthanasié plus de la moitié des animaux dont il avait la garde avant le délai légal de 8 jours ouvrés. Des témoignages d’anciens salariés font état de chiens et chats étourdis à l’éther puis placés dans les congélateurs où ils y mouraient de froid. La sanction ? Un simple rappel à la loi ([2]).

Une instruction technique du Bureau de la protection animale du ministère de l’agriculture et de l’alimentation datant de 2017 donne les résultats d’une enquête réalisée auprès de 82 fourrières et 86 refuges de France métropolitaine en 2016 (alors qu’à l’époque, la France comptait plus de 1 400 fourrières et refuges). Les chiffres sont effrayants : 7 % des chiens qui entraient en fourrière étaient euthanasiés et 6 % des chiens entrant en refuges étaient euthanasiés. En ce qui concerne les chats, 36 % d’entre eux qui entraient en fourrière étaient euthanasiés, et en refuges, ils étaient 10 % à être euthanasiés.

Cela signifie qu’en 2016, sur seulement 11 % des refuges et fourrières de l’Hexagone, plus de 10 000 chats et plus de 3 500 chiens ont été euthanasiés. Le chiffre total serait donc au moins 7 fois supérieur : 70 000 chats et 24 500 chiens seraient donc euthanasiés chaque année dans les refuges et fourrières dans l’Hexagone, soit plus de 270 euthanasies par jour, selon l’association Agir pour la vie animale (AVA).

Dans certains départements, les taux d’euthanasie atteignent des records en raison de l’errance animale forte. C’est par exemple le cas à la Réunion, où l’on estimait en 2018 que la population canine en situation d’errance était de plus de 73 000 animaux, dont 80 % ne seraient pas stérilisés. La Réunion représentait d’ailleurs à elle seule 19 % du total  national d’euthanasie en 2020 ([3]). Ce sont environ 85 % des animaux entrants en fourrière qui sont par la suite euthanasiés. L’action de la puissance publique est dramatiquement inefficace de ce point de vue‑là et coûte extrêmement cher au contribuable : à la Réunion, le coût pour les collectivités de la gestion des fourrières et des euthanasies de ces milliers d’animaux était de 2,7 millions d’euros en 2018, alors que seuls 400 000 euros ont été alloués pour les campagnes de stérilisation. Quand on sait que l’euthanasie ne permet pas de lutter contre l’errance, contrairement à la stérilisation, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi un tel gâchis d’argent public est destiné à éliminer des êtres sensibles en masse.

Mais les euthanasies abusives ou de convenance ne concernent pas que les refuges ou fourrières. Celles‑ci sont également pratiquées en cabinet vétérinaire, par les mêmes personnes qui ont pour fonction première de soigner et protéger les individus non‑humains dont elles ont la charge. Selon une étude menée en 2017 par Mme Claire Borrou‑Mens, référente de l’Ordre vétérinaire de la région Grand‑Est, celles‑ci s’élèvent à 40 000 chaque année ([4]). Selon l’enquête de cette vétérinaire, 39 % des vétérinaires canins ont déclaré pratiquer des euthanasies de convenance. Ce à quoi s’ajoutent les euthanasies motivées par une forme d’agressivité témoignée par l’animal ou pour des raisons économiques (déménagement, divorce, etc.) qui sont les plus nombreuses. Une étude de 2024 rapporte, elle que plus de 73 % des vétérinaires interrogés ont déjà accepté une demande d’euthanasie non médicalement justifiée ([5]).

La présente proposition de loi a pour ambition de remédier à ces éliminations de masse, moralement injustifiables. S’inspirant de la loi espagnole de 2023 visant « l’euthanasie zéro », la présente proposition de loi prévoit donc en son article 1er d’interdire l’euthanasie d’un animal sauf absolue nécessité, dans le cas où la vie de l’animal ne pourrait être maintenue en raison de souffrances insupportables qu’il aurait à subir. Un animal domestique ne pourra donc plus être mis à mort par simple caprice ou convenance de son ou sa « propriétaire ». Dans le cas d’un animal considéré comme étant dangereux pour la santé publique, il ne pourra être euthanasié qu’en cas de dernier recours, et ce lorsque toute alternative (replacement, thérapie comportementale…) a été épuisée. La violation de cette disposition est sanctionnée par trois ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende.

Elle affirme également la nécessité d’effectuer un suivi, au niveau communal, des euthanasies effectuées en refuges et en fourrières, ainsi que des entrées et des sorties des animaux au sein de ces structures, afin de recenser au niveau national les tendances de ce phénomène. Elle investit les communes de cette obligation de suivi, et confie à l’Observatoire des carnivores domestiques (OCAD) la mission de concentrer les recensements au niveau national afin de produire chaque année un rapport chiffré, assorti de préconisations.

L’article premier impose par ailleurs aux gestionnaires de fourrières d’identifier et de stériliser automatiquement chaque animal qu’ils accueillent, aux frais des municipalités au titre de leur pouvoir de police en matière d’errance animale.

Enfin, l’article 2 de la présente proposition de loi impose l’obligation de stérilisation des carnivores domestiques (chiens et chats) à leurs propriétaires, sauf si cette opération pose un risque pour la santé de l’animal. Les collectivités territoriales ou l’État pourront prendre en charge entièrement ou partiellement les opérations d’identification et de stérilisation pour les ménages les plus précaires. L’obligation d’identification est ainsi inscrite dans la loi, la reproduction des animaux par les particuliers est interdite.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 211‑24 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Le gestionnaire de la fourrière fait procéder à la stérilisation et à l’identification de chaque animal dont il a la garde. Les frais liés à ces opérations sont à la charge de la municipalité, au titre de son pouvoir de police en matière d’errance animale. » ;

2° Le quatrième alinéa est ainsi modifié :

a) Sont ajoutées trois phrases ainsi rédigées : « L’euthanasie des chiens et des chats pour des raisons économiques, de surpopulation ou de manque de place est proscrite. La décision d’euthanasie d’un animal ne peut être prononcée qu’en dernier recours, uniquement dans le cas où le maintien en vie de l’animal lui occasionnerait de souffrances intolérables compromettant son bien‑être, et après avoir recherché toutes les solutions alternatives permettant de garantir le bien‑être de l’animal. La violation de cette disposition est passible de trois ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende. » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le gestionnaire de la fourrière est tenu de mettre en place un registre quotidien des animaux placés, de l’évolution de leur état de santé, de la date de leur arrivée et la date de leur départ. Il comprend également les éléments relatifs aux euthanasies pratiquées en son sein, leur mode opératoire et la décision ayant mené à cet acte irréversible. Le registre doit être contre‑signé par le vétérinaire assurant la surveillance des maladies au sein de ladite fourrière. Il est transmis chaque mois à la commune du lieu où est établie la fourrière, qui le transmet à son tour à l’observatoire de la protection des carnivores domestiques, chargé d’établir un suivi au niveau national des entrées et sorties des animaux au sein des fourrières, du nombre d’euthanasies effectuées et des motifs d’euthanasie. »

Article 2

Le second alinéa de l’article L. 212‑10 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :

« L’identification et la stérilisation sont obligatoires pour tous les carnivores domestiques, sauf si l’un de ces procédés pose un risque de mise en péril de la santé de l’animal. En conséquence, la reproduction de carnivores domestiques est interdite pour toute personne ne répondant pas aux dispositions de l’article L. 214‑6‑2 du présent code. Les procédés d’identification et de stérilisation sont à la charge du propriétaire de l’animal, mais peuvent être pris en charge par la collectivité sous conditions de ressources. Le non‑respect de ces obligations est puni d’une contravention de 5e classe, pouvant aller de 1 500 euros d’amende à 3 000 euros en cas de récidive. »

Article 3

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/02/10/en-espagne-un-projet-de-loi-ambitieux-sur-le-bien-etre-animal-vote-en-premiere-lecture_6161214_3244.html

([2])  Finger Sarah, « Un simple avertissement pour des milliers d’euthanasies animales », Libération, avril 2019.

([3])  Guide pour les maires de la Réunion, DRAAF de la Réunion, 29 juillet 2020

([4])  Borrou-Mens Claire, Mémoire de master 2 Ethique animale : « Problèmes éthiques posés par l’euthanasie de « convenance » de l’animal », Université de Strasbourg, 2017.

([5]) https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-04531999v1/file/TARDIVO_28229.pdf