N° 1344

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer la solidarité envers les retraités pauvres,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Émeline K/BIDI, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Julien BRUGEROLLES, M. Jean-Victor CASTOR, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Emmanuel MAUREL, M. Yannick MONNET, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Emmanuel TJIBAOU,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) a été instaurée par l’ordonnance n° 2004‑605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse. Elle est applicable depuis 1er janvier 2006. Cette ordonnance a été adoptée conformément à l’article 15, 6° de la loi n° 2003‑591 du 2 juillet d003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. L’ASPA est ainsi venue remplacer le minimum vieillesse.

Il s’agit d’une allocation différentielle versée à partir de 65 ans et destinée à compléter les pensions des retraités disposant de faibles revenus ou d’aucun revenu, dans la limite de 961,08 euros par mois pour une personne seule, et de 1 492,08 euros pour un couple.

Le dispositif de l’ASPA s’adresse donc aux retraités les plus pauvres, soit 1,6 million de personnes en France, et particulièrement en Outre‑mer.

Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 11 % des retraités sont pauvres en Guadeloupe et à la Réunion, 9 % en Martinique et 15 % en Guyane ; contre 1 % dans l’hexagone.

À la Réunion en 2023, près de 23 % des ménages pauvres étaient des ménages retraités selon un panorama de la pauvreté menée par l’INSEE.

Parmi les retraités les plus modestes, on retrouve notamment les agriculteurs dont la pension moyenne est de 710 euros en France hexagonale et 375 euros pour les agriculteurs réunionnais. 10 % de ces derniers touchaient moins de 100 euros nets par mois avant l’entrée en vigueur de la loi 2020‑839 du 3 juillet 2020.

Ces inégalités résultent d’une participation plus faible des personnes en âge de travailler au marché du travail, qui se traduit par une durée de cotisation moyenne nettement plus basse.

En effet, le chômage en 2023 touchait 7,2 % de la population hexagonale, mais culminait à 34 % à Mayotte, 18,9 % à la Réunion, 17,3 % en Guadeloupe et 16,2 % en Martinique et en Guyane.

En outre, les salaires sont plus faibles en Outre‑mer. Alors que le salaire annuel médian était de 23 000 euros en hexagone en 2021, il n’était que de 3 120 euros à Mayotte, 11 040 euros en Guyane, 15 720 euros en Guadeloupe, 17 070 euros à la Réunion et 19 770 euros en Martinique.

Ces chiffres attestent d’une plus grande précarité et d’une plus grande pauvreté dans les Outre‑mer que dans l’hexagone.

Et ces inégalités persistent une fois le temps de la retraite venu. À la Réunion par exemple, les pensions de retraite sont 28 % plus faibles qu’en hexagone (données l’INSEE 2023).

Dans ce contexte de pauvreté et de précarité, les retraités sont plus nombreux à recourir à l’ASPA en Outre‑mer. En 2023, la Caisse générale de la Sécurité sociale de la Réunion indiquait ainsi que 20,9 % des retraités réunionnais bénéficiaient de l’ASPA, contre 3,73 % des retraités hexagonaux.

Ce taux est 21,9 % en Guadeloupe, 17 % en Guyane et 9 % en Martinique. (Données des caisses générales de sécurité sociale respectives).

Après une période de baisse, on constate que le nombre de bénéficiaires de l’ASPA est en hausse depuis 2017, avec une augmentation de 4,6 % entre 2021 et 2022.

Pourtant, nombre de retraités pauvres renoncent à solliciter l’ASPA en raison de l’obligation de remboursement sur succession.

Contrairement à ce que son nom peut laisser penser, l’ASPA n’est pas une allocation entièrement supportée par la solidarité nationale, puisque les héritiers du bénéficiaire sont soumis à une obligation de remboursement selon le montant de l’actif net de succession.

Ces dernières années, plusieurs lois ont été adoptées afin de réformer cette obligation de remboursement.

La loi n° 2010‑1330 du 9 novembre 2010 « portant réforme des retraites/échéancier d’application », a exclu de l’assiette de remboursement de l’ASPA le capital d’exploitation agricole et les bâtiments qui en sont indissociables.

La loi n° 2017‑256 du 28 février 2017 « de programmation relative à l’égalité réelle Outre‑mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique » a relevé le seuil qui conditionne le remboursement de l’ASPA à 100 000 euros pour les territoires d’Outre‑mer, jusqu’au 31 décembre 2026.

La loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 « de financement rectificatif de la Sécurité sociale pour 2023 » a porté ce seuil à 150 000 euros pour les territoires d’Outre‑mer, jusqu’au 31 décembre 2019, et à 100 000 euros pour le territoire hexagonal.

Malgré ces relèvements de seuil successifs, de nombreux retraités pauvres renoncent à demander l’ASPA du fait de l’obligation de remboursement qui pèse sur leurs enfants.

Au vu du relèvement des seuils, l’obligation de remboursement concerne majoritairement les retraités pauvres propriétaires de leur résidence principale. Il s’agit généralement de leur unique bien, une modeste « case » où parents, enfants et parfois même petits‑enfants cohabitent, en raison d’un contexte marqué par la pauvreté et la pénurie de logements. À la Réunion, depuis 2020, 25 % des personnes de 55 ans ou plus vivent avec au moins un autre adulte que leur conjoint, issus de leur famille, soit 1 retraité sur 4. (INSEE enquête migrations, famille et vieillissement 2020‑2021).

La crainte que leurs héritiers soient contraints de vendre cet unique bien, logement de la famille, pousse les parents âgés à renoncer à l’ASPA, préférant finir leurs jours dans la pauvreté, voire l’indignité.

Le relèvement du seuil de l’actif net successoral au‑delà duquel le remboursement de l’ASPA peut être exigé a été une solution éphémère face à cette situation. Cela a permis d’exempter un plus grand nombre d’héritiers de l’obligation de remboursement.

Toutefois, en raison de l’inflation du prix du foncier et de l’immobilier, ces seuils sont déjà obsolètes.

La présence du domicile principal du bénéficiaire au sein de l’actif net successoral pris en considération dans le calcul du seuil de remboursement de l’ASPA conduit quasi systématiquement à ce que le remboursement soit imposé aux héritiers, quand bien même leurs ascendants vivaient dans une précarité avérée.

L’objectif de la présente loi, en son article 1er, est donc d’extraire le domicile principal du bénéficiaire du calcul de l’actif net successoral, lorsqu’il s’agit de déterminer le seuil au‑delà duquel l’ASPA doit être remboursé.

La même logique a été retenue par la loi n° 2010‑1330 du 9 novembre 2010 qui a exclu de l’assiette de remboursement de l’ASPA le capital d’exploitation agricole et les bâtiments qui en sont indissociables.

Cette réforme de l’ASPA vise à lutter contre le non-recours aux droits.

Cette réforme ne vise en aucun cas à favoriser les retraités les plus riches qui bénéficient de plusieurs bien immobiliers. Ceux‑là d’ailleurs ne sont pas bénéficiaires de l’ASPA.

Cette solution est la plus juste pour garantir aux retraités les plus pauvres des conditions de vie dignes jusqu’à leur décès.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le troisième alinéa de l’article L. 815‑13 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le domicile principal du bénéficiaire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées est également exclu du champ d’application du deuxième alinéa. »

Article 2

La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.