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N° 1387
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à renforcer la lutte contre la traite des êtres humains,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Erwan BALANANT, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Thibault BAZIN, Mme Béatrice BELLAY, M. Hervé BERVILLE, Mme Émilie BONNIVARD, M. Florent BOUDIÉ, M. Joël BRUNEAU, M. Stéphane BUCHOU, M. Michel CASTELLANI, M. Vincent CAURE, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, Mme Julie DELPECH, Mme Stella DUPONT, M. Moerani FRÉBAULT, M. Jean-Luc FUGIT, M. Damien GIRARD, M. Jean-Michel JACQUES, Mme Sandrine JOSSO, Mme Constance LE GRIP, Mme Karine LEBON, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Brigitte LISO, M. Christophe MARION, M. Laurent MAZAURY, M. Ludovic MENDES, M. Hubert OTT, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Nicolas RAY, Mme Véronique RIOTTON, M. Xavier ROSEREN, Mme Claudia ROUAUX, M. Olivier SERVA, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Frédéric VALLETOUX, Mme Anne-Cécile VIOLLAND,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La traite des êtres humains est l’exploitation criminelle de femmes, d’hommes et d’enfants à des fins diverses, dont le travail forcé et l’exploitation sexuelle. Elle constitue une grave violation des droits humains et touche tous les pays dont la France.
Les données des ministères de l’Intérieur et de la Justice relatives aux infractions de traite des êtres humains (toutes formes d’exploitation confondues), pour l’année 2023, révèlent qu’en France :
– 2 143 victimes ont été identifiées par les forces de sécurité intérieure dont 43 % étaient françaises et 20 % étaient mineures au moment des faits,
– les femmes représentent 64 % du total des victimes enregistrées par la police ou la gendarmerie, et les filles représentent 90 % des victimes mineures enregistrées,
– parmi les mineurs enregistrés par la police ou la gendarmerie, 29 % sont victimes de proxénétisme,
– les victimes mineures subissent une exploitation dès le plus jeune âge pour toutes les formes d’exploitation :
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Enfant de moins de 5 ans |
Enfant de 5 à 9 ans |
Enfant de 10 à 14 ans |
Enfant de 15 à 17 ans |
Traite des êtres humains |
2,8 % |
5,7 % |
37,3 % |
54,2 % |
Proxénétisme |
0,7 % |
1,4 % |
20,9 |
77 % |
Exploitation par le travail |
20,6 % |
24,3 % |
25,3 % |
29,8 % |
Exploitation de la mendicité |
36,7 % |
29,4 % |
24,8 % |
9,2 % |
ENSEMBLE |
42,3 % |
57,7 % |
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Enfant de moins de 15 ans |
Enfant de 15 à 17 ans |
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Répartition des victimes mineurs par âge et type d’exploitation (Données SSMSI sur la période 2016‑2023) |
– 1 933 mis en cause ont été identifiés, dont 70 % étaient français.
Tous les ans, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains – Miprof, qui assure la coordination nationale de la politique publique de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains - conduit une enquête auprès des associations françaises sur le profil des victimes qu’elles accompagnent. Cette enquête vise notamment à comprendre et visibiliser les caractéristiques des modes d’exploitation auxquelles sont soumises les victimes de la part des exploiteurs, qu’il s’agisse de réseaux de criminalité organisée ou d’auteurs individuels.
L’enquête menée en 2024 sur les victimes accompagnées en 2023 a été renseignée par 70 associations spécialisées sur la traite des êtres humains. Elle révèle que 4 160 victimes de traite ont été accompagnées par les associations, toutes très majoritairement exploitées sur le territoire français. Cela représente une augmentation de 28 % par rapport au nombre de victimes accompagnées par les associations en 2022.
Parmi les 4 160 victimes, 85 % sont des femmes, dont 94 % victimes d’exploitation sexuelle.
La quasi‑totalité des victimes mineures d’exploitation sexuelle et de contrainte à commettre des délits étaient sous l’emprise d’addictions aux stupéfiants ou substances psychotropes, cette emprise ayant été organisée par leurs exploiteurs (ecstasy, cannabis, cocaïne, MDMA, médicaments Rivotril, Tramadol ou Lyrica, protoxyde d’azote, etc.). C’est pourquoi certaines mesures de la présente proposition de loi avaient été travaillées et déposées dans le cadre de la discussion sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Dans les travaux menés par la Miprof avec les associations et les professionnels des addictions (notamment l’unité fonctionnelle d’addictologie du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent au centre hospitalier universitaire Robert Debré à Paris), il ressort que la soumission chimique aux stupéfiants ou médicaments détournés est devenue un moyen systématiquement utilisé par les exploiteurs dans le cadre de l’infraction de traite des êtres humains sur toutes les finalités d’exploitation mais principalement l’exploitation sexuelle et la contrainte à commettre des délits. Toutes ces substances sont utilisées par les exploiteurs pour faciliter l’exploitation de leurs victimes grâce aux effets fugaces, euphorisants, désinhibants qui entrainent également des distorsions sensorielles et des effets dissociatifs dans les comportements.
Or, actuellement, parmi les circonstances aggravantes de l’infraction de traite des êtres humains, prévues à l’article 225‑4‑2 du code pénal, figure uniquement celle de placer la victime dans une situation matérielle ou psychologique grave, sans que celle‑ci ne vise expressément l’usage de stupéfiants. Ainsi, l’aggravation de la peine encourue (10 ans et 1 500 000 euros d’amende ou 15 ans et 1 500 000 euros d’amende lorsqu’elle est commise sur mineurs) n’a pour l’instant jamais été retenue en considérant le recours aux stupéfiants. Pourtant, cette soumission chimique organisée par les exploiteurs est désormais expressément identifiée par les juridictions pénales.
Ainsi, lors de l’emblématique procès du Trocadéro de 2024, (jugement du tribunal judiciaire de Paris du 12 janvier 2024 puis de la cour d’appel de Paris du 18 novembre 2024) les prévenus principaux ont été condamnés définitivement à des peines d’emprisonnement ferme allant de quatre à six ans pour traite des êtres humains sur douze mineurs de 7 à 15 ans, pour transport, cession ou offre illicites de substance, plantes, préparation ou médicament inscrit sur les listes de psychotropes, ainsi que pour acquisition, transport, détention, offre ou cession et acquisition non autorisée de stupéfiant. La procureure de la République avait décrit le mode opératoire des exploiteurs mis en cause : ils commençaient par proposer gratuitement des psychotropes et des stupéfiants aux mineurs, avant de les faire payer pour les contraindre à pouvoir financer les doses suivantes qu’ils leur fournissaient. Elle a rappelé que la traite repose en premier lieu sur la notion de recrutement, avec d’abord l’instauration d’une emprise, qui se fonde surtout sur la remise des substances. Les juridictions de première instance et d’appel ont reconnu les prévenus coupables d’acquisition, détention, transport et offre ou cession de psychotropes et de stupéfiants et ont qualifié ces faits de « très graves, non seulement d’infractions à la législation sur les stupéfiants et les médicaments qui portent atteinte à la santé publique et alimentent des trafics générateurs de nombreux troubles à l’ordre public, mais également de faits de traite de mineurs étrangers isolés dont la très grande vulnérabilité a été exploitée sur plusieurs mois, rendus ou maintenus dépendants à des toxiques aux effets délétères et contraints de commettre des vols pour survivre dans des conditions de grand dénuement […] ».
Dans ces conditions, l’article 1er propose d’ajouter une circonstance aggravante de l’infraction de traite des êtres humains en visant spécifiquement le fait de provoquer directement une personne à consommer, transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants ou à se rendre complice de tels actes.
Au niveau européen, la directive (UE) 2024/1712 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 est venue modifier la directive 2011/36/UE du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision‑cadre 2002/629/JAI du Conseil. Dans son article 4, elle enjoint les États membres à prendre les mesures nécessaires pour que les infractions de traite des êtres humains soient passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. Au point 3 de ce même article, la directive demande aux États membres que soient considérées comme circonstances aggravantes de l’infraction de traite des êtres humains le fait que l’auteur de l’infraction a, au moyen de technologies de l’information et de la communication, facilité la diffusion ou a procédé lui‑même à la diffusion d’images, de vidéos ou de matériel similaire à caractère sexuel impliquant la victime.
Tous les États membres disposent de deux années pour transposer cette directive. Actuellement, cette circonstance aggravante prévue par le texte européen n’existe pas en droit national. Seule la circonstance que la victime ait été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communication électronique constitue une circonstance aggravante de l’infraction de traite des êtres humains visée à l’article 225‑4‑2 du code pénal.
Or, de nombreuses victimes de traite des êtres humains sont soumises à différentes formes de violences additionnelles, notamment des violences sexuelles. De même, l’utilisation de contenus vidéos sexuels personnels des victimes par les exploiteurs, y compris pour des victimes d’autres formes d’exploitation que sexuelle, est un élément de contraintes et d’emprise par lequel les victimes sont maintenues dans des situations de vulnérabilité extrême, facilitant ainsi la poursuite des situations de traite des êtres humains. Ces pratiques concernent à la fois des victimes mineures et majeures, très souvent contraintes en plus grâce à l’utilisation de substances psychotropes et de stupéfiants, le levier de soumission chimique étant désormais généralisé dans toutes les infractions de traite des êtres humains.
Or, si la Cour de cassation a validé la possibilité d’un cumul d’infractions entre la traite des êtres humains et une infraction sous‑jacente, quel que soit le mode d’exploitation dont la victime fait l’objet (par exemple un cumul de la traite des êtres humains et du proxénétisme), en pratique cela est peu mis en œuvre par les juridictions qui se concentrent sur une infraction simple, alors même que les circonstances devraient exposer les mis en cause à des peines aggravées.
Pourtant, s’agissant spécifiquement de l’utilisation des réseaux de communications électroniques, les Offices centraux du ministère de l’Intérieur compétent sur la lutte contre la traite des êtres humains (Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) pour l’exploitation par le travail et Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) pour l’exploitation sexuelle) mettent en avant la dématérialisation de l’ensemble du processus d’exploitation : depuis le recrutement via des annonces en ligne jusqu’au paiement (via les virements instantanés) en passant par les commandes de transport (via les applications de Véhicule de tourisme avec chauffeur) et l’hébergement (via les plateformes de réservation de courte durée ou celles des hôteliers). L’OCRTEH indique également, dans son dernier état de la menace 2023, que l’utilisation des technologies de la communication tend à se généraliser dans la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et que l’étape ultime de l’exploitation sexuelle, la dématérialisation de l’acte sexuel lui‑même, se développe progressivement.
Ainsi, l’article 2 a pour but d’ajouter une circonstance aggravante de l’infraction de traite des êtres humains en visant spécifiquement l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour transmettre des vidéos ou autres images à caractère sexuel de la victime comme moyen d’emprise supplémentaire.
En parallèle, a été élaboré dans une démarche de co‑construction entre une quinzaine d’administrations et une cinquantaine d’acteurs de la société civile (associations, autorités indépendantes) un troisième plan de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains 2024‑2027. Il a été présenté le 11 décembre 2023 par trois ministres du Gouvernement (travail, égalité et enfance), devant 250 représentants des différents ministères et de la société civile (notamment les associations et des victimes survivantes de traite des êtres humains).
Les articles 3 et 4 de la présente proposition de loi sont directement des mesures d’application de ce plan.
En effet, l’article 3 de la proposition de loi traduit la mesure 49 de ce plan qui prévoit d’étendre le champ d’application de l’article 2‑22 du code de procédure pénale permettant aux associations de plus de cinq ans et dont l’objet porte sur la lutte contre l’esclavage et la traite des êtres humains de se constituer partie civile à des infractions non actuellement couvertes par l’article 2‑22 du code de procédure pénale.
Ces quatre infractions sont la soumission d’une personne vulnérable ou dépendante à un travail non rémunéré ou rétribué de manière dérisoire (article 225‑13 du code pénal) ou à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité (article 225‑14 du code pénal) et l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier lorsqu’elle a pour effet de soumettre les étrangers à des conditions de vie, de transport, de travail ou d’hébergement indignes (3° de l’article L. 823‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). En outre, compte tenu de ce que les exploiteurs de toutes les formes de traite des êtres humains recourent désormais quasi systématiquement à l’utilisation de stupéfiants comme moyen d’emprise et de soumission sur leurs victimes, il est légitime que les associations puissent également se constituer partie civile dans le cadre des infractions de trafic de stupéfiants aux côtés des victimes qu’elles prennent en charge (article 222‑34 du code pénal).
Reprenant la mesure 33 du plan de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains 2024‑2027, l’article 4 ajoute une circonstance aggravante de l’infraction de traite des êtres humains en visant spécifiquement la commission sur un mineur de 15 ans et en prévoyant une peine de 20 ans de réclusion et 3 000 000 euros d’amende.
En l’état du droit actuel, la traite des êtres humains est punie de :
– 7 ans et 150 000 euros d’amende (I de l’article 225‑4‑1 du code pénal) lorsqu’elle est commise à l’égard de victimes majeures,
– de 10 ans et 1 500 000 euros d’amende lorsqu’elle est commise à l’égard d’une victime mineure (225‑4‑1 II du code pénal) ou qu’elle est commise à l’égard de victimes majeures selon certaines circonstances aggravantes (225‑4‑2 I du code pénal),
– 15 ans lorsqu’elle est commise sur mineurs et simultanément aggravée par une autre circonstance (225‑4‑2 II du code pénal).
Néanmoins, le code pénal ne prévoit aucune aggravation de la peine si la victime est âgée de moins de 15 ans.
Parallèlement, l’infraction de proxénétisme est punie de :
– 7 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende (225‑5 du code pénal),
– 10 ans d’emprisonnement et 1 500 000 € d’amende (225‑7 du code pénal) lorsque la victime est âgée de 15 à 18 ans,
– 20 ans de réclusion et 3 000 000 euros d’amende lorsque la victime a moins de 15 ans, les faits deviennent criminels et sont punis (225‑7‑1 du code pénal).
Dans la mesure où l’infraction de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle recouvre de manière quasi identique les faits de proxénétisme, la mesure 33 du plan prévoit de renforcer la cohérence répressive en alignant, dans le code pénal, la peine aggravée pour l’infraction de traite des êtres humains commise sur mineurs de 15 ans au même niveau que celle prévue en matière de proxénétisme sur mineurs de 15 ans (20 ans et 3 000 000 euros).
Cette proposition de loi a été travaillée avec la Miprof.
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proposition de loi
Article 1er
L’article 225‑4‑2 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le I est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° Lorsque la personne a été provoquée par l’auteur à l’usage illicite de stupéfiants ou à transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants ou à se rendre complice de tels actes. » ;
2° Au II, la référence : « 7° » est remplacée par la référence : « 8° ».
Article 2
Après le 3° du I de l’article 225‑4‑2 du code pénal, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis Lorsque l’auteur des faits a, au moyen de technologies de l’information et de la communication, facilité la diffusion ou a procédé lui‑même à la diffusion d’images, de vidéos ou de matériel similaire à caractère sexuel impliquant la personne à l’égard de laquelle l’infraction est commise ; ».
Article 3
La première phrase du premier alinéa de l’article 2‑22 du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
1° Après le mot : « articles », est insérée la référence : « 222‑34 » ;
2° Après la référence : « 225‑12‑2, », sont insérés les mots : « 225‑13 à » ;
3° Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « et par le 3° de l’article L. 823‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile »
Article 4
L’article 225‑4‑3 du code pénal est complété par un II ainsi rédigé :
« II. – La traite des êtres humains est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 3 000 000 euros d’amende lorsqu’elle est commise à l’égard d’un mineur de quinze ans. »