N° 1493
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à responsabiliser l’État en cas d’inexécution des obligations de quitter le territoire français et à assurer l’indemnisation des victimes d’infractions commises par des personnes sous obligation de quitter le territoire français,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Christelle D’INTORNI, M. Philippe BALLARD, M. Jérôme BUISSON, M. Bernard CHAIX, M. Marc CHAVENT, Mme Edwige DIAZ, Mme Michèle MARTINEZ, M. Gérault VERNY, M. Alexis JOLLY, M. Nicolas MEIZONNET, M. Matthias RENAULT, M. Sébastien HUMBERT, M. Serge MULLER, M. Éric MICHOUX, Mme Monique GRISETI, Mme Brigitte BARÈGES, M. Eddy CASTERMAN, Mme Anne SICARD, M. Thibaut MONNIER, M. Romain BAUBRY,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Comme le relève avec inquiétude la Cour des comptes dans son rapport de janvier 2024, seul un très faible pourcentage (environ 10 %) des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont effectivement exécutées. Cette défaillance flagrante de l’administration a pour conséquence directe le maintien illégal de personnes qui devraient avoir quitté le territoire national, fragilisant ainsi l’autorité de l’État, la sécurité publique et la confiance des citoyens envers les institutions.
Ces manquements administratifs ne sont malheureusement pas sans conséquences réelles et graves pour la société. De nombreuses affaires récentes, souvent tragiques, illustrent que des individus sous le coup d’une OQTF restent sur le territoire et se rendent coupables de crimes et délits particulièrement graves. Ces actes auraient pu être évités si les décisions administratives avaient été effectivement appliquées. Ainsi, cette inaction constitue une faille systémique qui compromet directement la sécurité et la tranquillité publiques.
Face à cette réalité inacceptable, la présente proposition de loi vise à élargir la responsabilité pleine et entière de l’État à l’ensemble des crimes et délits commis par des personnes se maintenant illégalement sur le territoire national après qu’une mesure d’éloignement ait été prononcée à leur encontre. Cette proposition de loi a pour objectif de rétablir la confiance des citoyens envers la puissance publique et d’assurer une véritable protection juridique et matérielle des victimes, sans leur imposer une charge supplémentaire injuste et traumatisante.
Actuellement, les victimes doivent engager elles‑mêmes des procédures longues et complexes afin de démontrer la responsabilité de l’État dans le manquement à ses obligations. Cette situation place injustement les victimes dans une position vulnérable après avoir déjà subi des préjudices lourds. Pour remédier à cette injustice, il est nécessaire que l’État assume désormais automatiquement sa responsabilité lorsque des infractions, de toute nature criminelle ou délictuelle, sont commises par des personnes demeurées en situation irrégulière en violation d’une OQTF.
Ainsi, la présente proposition de loi prévoit explicitement une indemnisation automatique et intégrale des victimes ou de leurs ayants droit par un fonds spécialement dédié, garantissant une réparation immédiate couvrant tous les préjudices subis : matériels, corporels et moraux. Cette mesure ne vise pas uniquement à offrir une réparation juste aux victimes, mais constitue également une incitation directe et forte à améliorer sensiblement l’efficacité administrative en matière de gestion des flux migratoires et d’exécution des mesures d’éloignement.
Afin de renforcer l’efficacité et l’effectivité des mesures prises, la présente proposition de loi instaure également des mécanismes opérationnels visant à renforcer le suivi des personnes faisant l’objet d’une OQTF, à durcir les sanctions à leur encontre et à assurer une meilleure coordination des différents services administratifs et judiciaires concernés par ces enjeux cruciaux.
Cette réforme indispensable répond ainsi à trois exigences majeures : la réparation effective des préjudices subis par les victimes, la pleine reconnaissance de la responsabilité de l’État, et l’amélioration structurelle de l’efficacité administrative dans l’exécution des décisions d’éloignement.
La présente proposition constitue un signal fort envoyé à nos concitoyens, affirmant clairement que l’État ne saurait tolérer l’inaction administrative lorsque la sécurité et l’intégrité des citoyens sont en jeu.
L’article 1er établit l’engagement automatique de la responsabilité de l’État de plein droit et prévoit une indemnisation intégrale et immédiate des victimes ou de leurs ayants droit. Cette réparation, couvrant tous les préjudices matériels, corporels et moraux, est assurée par un fonds dédié sous l’autorité du ministère de la Justice, garantissant une prise en charge rapide.
L’article 2 renforce le suivi et l’exécution des OQTF par la création d’une unité spécialisée au sein du ministère de l’Intérieur, chargée de coordonner les actions de la police, de la gendarmerie et des services préfectoraux pour assurer l’expulsion effective des personnes concernées. Cette unité devra également établir un rapport annuel détaillant les avancées et les difficultés rencontrées dans l’application des décisions d’éloignement.
L’article 3 prévoit un durcissement des sanctions à l’encontre des étrangers sous OQTF interpellés pour une infraction, avec une expulsion immédiate sans possibilité de recours suspensif, sauf circonstances exceptionnelles appréciées par le juge. Cette mesure vise à éviter que des individus déjà sous le coup d’une mesure d’éloignement ne puissent rester sur le territoire après avoir commis une nouvelle infraction.
L’article 4 renforce les dispositifs de surveillance aux frontières et prévoit l’interconnexion des fichiers administratifs et judiciaires afin d’assurer un suivi plus efficace des décisions d’éloignement. L’objectif est de garantir un échange rapide et fluide des informations entre les différentes administrations concernées, pour éviter que des individus sous OQTF ne disparaissent dans la nature ou exploitent les failles du système.
Enfin, l’article 5 précise que les modalités d’application de cette loi seront définies par décret en Conseil d’État, afin d’assurer une mise en œuvre rapide et efficace des nouvelles dispositions.
Cette réforme vise ainsi à rétablir l’autorité de l’État, à garantir la sécurité des citoyens et à reconnaître pleinement les droits des victimes face à une défaillance manifeste de l’administration. Elle pose les bases d’un dispositif plus rigoureux et plus juste, à la hauteur des enjeux de sécurité et de souveraineté nationale auxquels la France est aujourd’hui confrontée.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
I – Lorsque l’auteur d’un crime ou d’un délit réprimé par les articles 211‑1 à 227‑33 du code pénal est une personne de nationalité étrangère s’étant maintenue irrégulièrement sur le territoire national en violation d’une mesure d’éloignement prononcée à son encontre en application de l’article L. 611‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la responsabilité de l’État est engagée de plein droit.
L’État est tenu d’indemniser intégralement la victime du préjudice subi ainsi que, en cas de décès de cette dernière, ses ayants droit, au titre de la solidarité nationale. Cette indemnisation est due sans que la victime ou ses ayants droit n’aient à démontrer l’existence d’une faute dans l’exécution de la mesure d’éloignement.
II. – A. – L’indemnisation est versée après le prononcé du jugement définitif établissant la culpabilité de l’auteur des faits. Son montant est fixé à 35 400 euros, couvrant l’ensemble des préjudices matériels, corporels et moraux, évalués sur la base des dépenses moyennes suivantes :
1° Le coût moyen d’un avocat, fixé à 15 000 euros ;
2° Les frais liés à un suivi psychologique, estimés à 10 400 euros, correspondant à une prise en charge d’environ 100 euros par séance sur une durée de deux ans ;
3° Les coûts additionnels induits par l’adaptation aux nouvelles conditions de vie, incluant les frais de relocalisation et les démarches administratives, fixés à 10 000 euros.
Cette réparation s’effectue par le biais d’un fonds dédié, placé sous l’autorité du ministère de la justice, qui assure une prise en charge rapide et effective des demandes d’indemnisation.
B. – Il est institué un fonds d’indemnisation des victimes d’infractions commises par des personnes sous le coup d’une mesure d’éloignement, placé sous l’autorité du ministre de la justice. Ce fonds assure une prise en charge rapide et effective des demandes d’indemnisation conformément aux principes de solidarité nationale.
C. – Les ressources de ce fonds sont constituées des contributions suivantes :
1° La création de ressources fiscales dédiées :
a) Une majoration des sanctions financières applicables aux infractions liées à l’emploi d’étrangers en situation irrégulière, notamment celles prévues aux articles L. 8256‑2 et suivants du code du travail ;
b) L’instauration d’une taxe additionnelle sur la délivrance des visas et titres de séjour, modulée en fonction de la nature et de la durée du titre accordé, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.
2° L’affectation du produit des sanctions et confiscations :
a) Le produit des amendes perçues au titre des infractions relatives au maintien irrégulier sur le territoire national, incluant le non‑respect d’une obligation de quitter le territoire français et la fraude aux prestations sociales ;
b) La confiscation, conformément aux articles 131‑21 et suivants du code pénal, des biens mobiliers, immobiliers et avoirs bancaires des étrangers définitivement condamnés pour un crime ou un délit grave commis en France après avoir fait l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français non exécutée ;
c) Une fraction des amendes administratives infligées aux transporteurs en application des articles L. 625‑1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en cas de manquement à leurs obligations de contrôle des documents de voyage et de séjour des passagers ;
3° L’affectation des économies budgétaires résultant de la réduction des coûts liés au maintien en centre de rétention administrative, consécutive à une accélération de l’exécution des mesures d’éloignement ;
4° Une contribution obligatoire des compagnies d’assurance destinée à financer la prise en charge des victimes d’infractions commises par des personnes faisant l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français , selon des modalités fixées par décret ;
5° L’affectation des crédits issus des fonds européens relatifs à la sécurité, à la gestion des migrations et à la protection des victimes, en conformité avec la réglementation applicable de l’Union européenne.
D. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les conditions d’instruction des demandes d’indemnisation, les critères de gestion du fonds, les règles de répartition des ressources entre les différentes contributions et les procédures de mobilisation des financements européens.
III. – Après avoir procédé à l’indemnisation de la victime ou, en cas de décès, de ses ayants droit, l’État dispose d’un recours subrogatoire contre l’auteur des faits en vue du recouvrement, total ou partiel, des sommes versées. À ce titre, il peut engager toutes procédures nécessaires à la saisie et à la liquidation des biens mobiliers, immobiliers et avoirs bancaires de l’auteur des faits, dans les conditions prévues au code des procédures civiles d’exécution et au code pénal.
IV. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article, notamment les procédures d’instruction des demandes d’indemnisation, les délais de traitement et les conditions de mobilisation du fonds dédié.
Article 2
I. – L’article L. 611‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français en application des articles L. 511‑1 et suivants du présent code fait l’objet d’un suivi prioritaire par les services de police et de gendarmerie nationale. Une surveillance systématique est mise en place afin de prévenir tout risque de maintien irrégulier sur le territoire national. »
II. – Il est créé au sein du ministère de l’intérieur une unité spécialisée chargée de la coordination, du suivi et de l’exécution des obligations de quitter le territoire français. Cette unité est notamment compétente pour :
1° Assurer un contrôle régulier et systématique des personnes faisant l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français, en lien avec les services préfectoraux ;
2° Organiser les opérations d’éloignement effectif des personnes concernées, en coopération avec les autorités compétentes ;
3° Coordonner les échanges d’informations entre les différentes administrations concernées afin de garantir l’exécution rapide des décisions d’éloignement ;
4° Présenter un rapport annuel sur l’efficacité des mesures d’éloignement au Parlement, précisant le taux d’exécution des décisions portant obligation de quitter le territoire français et les éventuelles difficultés rencontrées.
III. – Un décret pris en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les conditions de mise en œuvre des contrôles renforcés et les prérogatives spécifiques de l’unité spécialisée.
Article 3
I. – Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° L’article L. 541‑1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne étrangère faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français en application des articles L. 511‑1 et suivants du présent code, et qui est interpellée pour une infraction pénale sur le territoire national, fait l’objet d’une mesure d’éloignement immédiate dès le verdict rendu, sans possibilité de recours suspensif, sauf en cas de circonstances exceptionnelles appréciées par le juge administratif. Tout recours contre une mesure d’éloignement prise en application du présent article ne peut être exercé que depuis le pays d’origine de l’intéressé, sans qu’il puisse entraîner d’effet suspensif sur l’exécution de la décision d’expulsion. » ;
2° L’article L. 824‑9 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute tentative de retour sur le territoire français par une personne ayant fait l’objet d’une mesure d’expulsion en application du présent article entraîne une peine d’interdiction de territoire de plein droit d’une durée minimale de dix ans, ainsi qu’une peine complémentaire d’emprisonnement de deux ans, sauf décision spécialement motivée de la juridiction compétente. »
II. – L’article 395 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne interpellée pour une infraction pénale et faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français en application des articles L. 511‑1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est jugée en comparution immédiate, sauf impossibilité matérielle ou circonstances exceptionnelles laissées à l’appréciation du procureur. »
Article 4
I. – L’article L. 611‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les services de police et de gendarmerie, en coopération avec les autorités préfectorales et judiciaires, mettent en place un contrôle renforcé aux frontières ainsi que dans les zones identifiées comme présentant une forte concentration de personnes sous obligation de quitter le territoire français. »
II. – Le chapitre II du titre III du livre II du code de la sécurité intérieure est complété par un article L. 232‑9 ainsi rédigé :
« Art. L 232‑9. – Afin d’assurer un suivi effectif des décisions d’éloignement, les fichiers administratifs et judiciaires sont interconnectés sous l’autorité du ministre de l’intérieur et du ministre de la justice. Les données relatives aux personnes faisant l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français doivent être accessibles aux autorités compétentes afin de garantir la mise en œuvre rapide des mesures d’éloignement. »
III. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités de mise en œuvre du présent article, notamment les conditions de partage des informations entre les administrations concernées et les procédures applicables au renforcement des contrôles dans les zones prioritaires.
Article 5
Un décret pris en Conseil d’État précise les détails d’application de cette loi, notamment les procédures d’indemnisation et les moyens d’action de l’administration.
Article 6
La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.