N° 1497
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à renforcer les moyens de prévention des violences et le contrôle des établissements scolaires,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Arnaud BONNET,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La récente mise en lumière de scandales de violences physiques, psychologiques et sexuelles dans plusieurs établissements d’enseignement privés vient s’ajouter à la longue liste des violences faites aux enfants. La commission d’enquête sur les défaillances des politiques de protection de l’enfance a une nouvelle fois rappelé à quel point l’État laisse les plus vulnérables de nos enfants subir les plus insupportables de violences. Cet énième constat n’a pourtant pas été pris en compte par le Gouvernement : ni mesure concrète ni même un début d’annonce.
Puisqu’elles font système, les violences envers les enfants irriguent l’ensemble de la société française. Les récentes affaires médiatiques ont bien démontré cela : ce n’est pas une question de catégorie sociale ni une question de territoire. Partout, en France, des enfants sont humiliés, frappés, agressés, violés.
La longue suite de révélations médiatiques ne cache malheureusement qu’une multitude de cas de violences qui demeurent silenciées. Mais après de telles révélations, personne, et encore au sein du Gouvernement ou du Parlement, ne peut feindre l’ignorance.
Nous ne pouvons que constater l’impuissance des pouvoirs publics à prévenir les violences, protéger les victimes et sanctionner les auteurs. Pour le groupe Écologiste et Social, une société qui ne protège pas les enfants, les plus vulnérables de ses membres, est une société défaillante.
Puisqu’elles font système, les violences envers les enfants se retrouvent dans le système scolaire. L’école, lieu de formation, de construction de soi et d’émancipation, devrait être un sanctuaire protégé de ces violences. Pourtant, elles se retrouvent malheureusement en être l’un des principaux foyers.
La mise en lumière de l’« affaire Betharram » suite à la mobilisation des victimes et au travail de la presse indépendante a ouvert la voie à la libération de la parole dans de nombreux établissements, notamment d’enseignement privé.
Toutefois, la représentation nationale ne peut ici se borner à une analyse qui ne mettrait en cause que des individualités, coupables de délits et de crimes sur des enfants. Pour un certain nombre de ces établissements, les premiers signalements et témoignages remontent à plusieurs décennies. Il y a eu, sans aucun doute, sinon une complicité, un aveuglement et une tolérance coupables des institutions envers ces violences et leurs auteurs. Certains auteurs de violences ont pu faire des carrières entières dans l’enseignement, et nombre d’établissements où se sont déroulés de tels actes encouragés par la direction et une grande partie de la communauté éducative ont pu continuer à accueillir des milliers d’élèves.
C’est l’impunité qui a permis cela. L’impunité permise par les institutions publiques.
À l’heure où nombreux sont ceux qui s’opposent à l’éducation à la vie sexuelle et affective, visant notamment à prévenir les violences sexuelles en éduquant les enfants au consentement et aux relations humaines saines, force est de constater que le système de prédation envers les enfants trouve encore de nombreux défenseurs.
À l’heure où nombreux sont ceux qui s’opposent au contrôle des établissements d’enseignement privés, qui sont nombreux à avoir été mis en cause dans des cas de violences, les tortionnaires d’enfants se sentent parfaitement protégés. Leurs victimes, beaucoup moins.
La peur de rouvrir la « guerre scolaire » ne saurait être l’excuse à l’absence de réponse législative. Puisque la République ne reconnaît aucun culte, elle doit assurer la protection de ses enfants sur l’ensemble du territoire et dans l’ensemble des établissements.
L’heure est donc aux actes. Pour qu’à l’avenir, il n’existe plus de Notre‑Dame de Betharram, de Notre‑Dame de Garaison, de Riaumont, de Haffreingue, de Saint‑Pierre du Relecq‑Kerhuon, d’institution Saint‑Dominique et tant d’autres établissements où se déroulent, dans le plus grand silence des pouvoirs publics, de telles violences.
Cette proposition de loi constitue donc une première étape et vise principalement à renforcer le pouvoir des services d’inspection de l’Éducation nationale. Garantir une inspection indépendante et capable d’exercer ses missions dans l’ensemble des établissements, c’est permettre un meilleur contrôle, un meilleur signalement et une meilleure sanction des violences qui peuvent s’y exercer.
Cette proposition de loi comporte trois axes :
– renforcer l’information et l’accompagnement des élèves victimes de violence (article 1er) ;
– renforcer les moyens et l’indépendance des inspecteurs de l’Education nationale (articles 2 à 7) ;
– renforcer le contrôle du financement des établissements privés (articles 8 et 9).
L’article 1er vise à renforcer l’information et l’accompagnement des élèves victimes de violences en instaurant dans le Code de l’éducation l’obligation pour les établissements scolaires de mettre en place une politique d’information sur les violences et les dispositifs de signalement existant. Cette politique d’information devra être adaptée à l’âge des élèves. L’article instaure également une procédure interne à chaque établissement visant à traiter les signalements ainsi qu’à protéger et à accompagner les élèves.
L’article 2 vise à instaurer le principe d’indépendance des inspecteurs dans le cadre de leurs missions. Il vise notamment à leur donner la faculté de pouvoir déposer une contribution dans leur rapport si la version finale de celui‑ci venait à être amendée ou modifiée par les services de l’Education nationale. Enfin, l’article vise à permettre aux inspecteurs de procéder à un signalement de faits graves, notamment de violences, aux autorités compétentes ou au public en cas de défaut de réponse, et ce sans attendre la publication du rapport.
L’article 3 vise à étendre les missions d’inspection à l’ensemble des établissements scolaires et sur l’ensemble de leurs missions. Afin de permettre un meilleur contrôle de la part des autorités publiques, l’article vise également à rendre la publication des rapports d’inspection obligatoire.
L’article 4 vise à étendre le périmètre des inspections aux établissements d’enseignement privés dans les mêmes conditions que pour les établissements d’enseignement publics.
L’article 5 vise à instaurer l’obligation pour les autorités académiques de délivrer une lettre de mission aux inspecteurs concernant les investigations qu’ils ont à mener dans les établissements scolaires. Cette lettre de mission figurera dans le rapport d’inspection.
L’article 6 vise à élargir le périmètre de l’inspection à l’ensemble des activités organisées par les établissements d’enseignement privés.
L’article 7 vise à créer quatre sièges supplémentaires au sein du conseil d’évaluation de l’école et de les attribuer à des personnes désignées par les organisations syndicales représentatives du ministère chargé de l’éducation.
L’article 8 vise à renforcer l’obligation pour les établissements privés de justifier leurs comptes en instaurant la rédaction annuelle d’un bilan comptable, d’un compte de résultat et d’un rapport de gestion qui seront rendus publics et transmis à toute institution publique participant à leur financement.
L’article 9 vise à renforcer l’obligation de la participation des représentants des collectivités territoriales compétentes aux réunions de l’organe de l’établissement compétent pour délibérer sur le budget.
– 1 –
roposition de loi
CHAPITRE IER
Renforcer l’information
et l’accompagnement des élèves victimes de violences
Article 1er
Le chapitre II du titre IV du livre V de la deuxième partie du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 542‑3, il est inséré un article L. 542‑3‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 542‑3‑1. – Les établissements d’enseignement scolaire informent les élèves et l’ensemble de la communauté éducative, de façon régulière et ostensible et selon des modalités adaptées à l’âge des élèves, des procédures de signalement des violences faites aux enfants.
« Chaque établissement d’enseignement scolaire met en place une procédure interne visant à traiter, protéger et accompagner les élèves signalant des faits de violences. » ;
2° À la fin de l’article L. 542‑4, la référence : « L. 542‑3 » est remplacée par la référence : « L. 542‑3‑1 ».
CHAPITRE II
Renforcer les moyens et l’indépendance de l’inspection générale
de l’éducation, du sport et de la recherche
Article 2
L’article L. 241‑1 du code de l’éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les personnels de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche exercent leurs missions en toute indépendance et sont libres des appréciations qu’ils délivrent dans leurs rapports. Si un membre de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche ayant participé à une inspection est en désaccord avec le rapport rendu par l’administration, il peut écrire une contribution personnelle qui est versée au rapport et ce, sans préjudice sur sa carrière ou sa rémunération.
« Lorsque un membre de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche a connaissance d’une atteinte suffisamment grave et sérieuse aux lois ou aux règlements, à une disposition d’un contrat passé entre l’État et un établissement privés prévu aux articles L. 445‑2 et L. 442‑2, ou d’une potentielle atteinte à l’intégrité physique ou psychologique des élèves, il peut, sans attendre la transmission du rapport ou l’approbation de sa hiérarchie, signaler ces faits aux autorités compétentes et, en l’absence de réponse de celles‑ci dans un délai raisonnable, les rendre publics. Il bénéficie de la protection prévue à l’article 10‑1 de la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »
Article 3
L’article L. 241‑2 du Code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « lorsqu’ils bénéficient ou ont bénéficié, sous quelque forme que ce soit, de concours de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public, ainsi que de concours financiers provenant de la Communauté européenne, ou lorsqu’ils sont financés par des cotisations obligatoires » ;
b) Le dernier alinéa est complété par les mots : « pour l’ensemble de leurs personnels, ainsi que sur le respect des intérêts des élèves, notamment au regard de la protection de leur bien‑être physique et psychologique » ;
2° Avant la dernière phrase du dernier alinéa du II, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Les rapports définitifs ainsi que les éventuelles réponses des organismes concernés sont rendus publics. »
Article 4
Le chapitre Ier du titre IV du livre II de la première partie du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le II de l’article L. 241‑4 est abrogé ;
2° Le I de l’article L. 241‑7 est ainsi rédigé :
« I. – Dans les établissements d’enseignement technique privés, l’inspection s’exerce dans les mêmes conditions que pour les établissements d’enseignement technique publics. »
Article 5
Le I de l’article L. 241‑4 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes mentionnées au 1° et au 3° se voient délivrer une lettre de mission par les personnes mentionnées au 2° détaillant le mandat d’inspection pour les établissements. Cette lettre de mission est jointe au rapport mentionné au troisième alinéa du II de l’article L. 241‑2 du présent code. »
Article 6
L’article L. 442‑5 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° À la fin du dernier alinéa, les mots : « toutes les activités extérieures au secteur sous contrat » sont supprimés ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’ensemble des activités sont soumises aux dispositions du chapitre Ier du titre IV du livre II de la première partie du présent code. »
Article 7
L’article L. 241‑13 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « treize » est remplacé par le mot : « dix‑sept » ;
2° Après le 3°, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° Quatre personnes désignées par les organisations syndicales représentatives des personnels de l’éducation, proportionnellement aux résultats des élections professionnelles. » ;
3° Le dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les membres mentionnés au 4° sont désignés jusqu’à la proclamation des résultats des élections professionnelles suivant leur désignation. » ;
CHAPITRE III
Renforcer le contrôle du financement des établissements privés
Article 8
La section 5 du chapitre II du titre IV du livre IV de la deuxième partie du code de l’éducation est complétée par un article L. 442‑21 ainsi rédigé :
« Art. L. 442‑21. – Les établissements d’enseignement privés ayant passé avec l’État l’un des contrats prévus aux articles L. 442‑5 et L. 442‑12 dressent chaque année un bilan comptable, un compte de résultat et un rapport de gestion, recensant notamment l’origine des ressources, le détails des dépenses ainsi que tout élément permettant de connaître l’état et l’utilisation précise de leurs finances.
« Ils remettent une copie de ces documents au ministre chargé de l’éducation nationale ainsi qu’aux collectivités territoriales, aux établissements publics de coopération intercommunale, aux administrations de l’État et à toute institution publique qui participe, directement ou indirectement, à leur financement. Ils sont tenus de répondre à toute interrogation relative à leurs finances.
« Ces documents sont rendus publics par les établissements.
« Le non‑respect du présent article constitue un motif de cessation du versement des financements et des contributions financières, y compris obligatoires, prévues présent code.
« Un décret fixe les conditions d’application du présent article. »
Article 9
L’article L. 442‑8 du code de l’éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Cette participation aux organes de l’établissement est obligatoire. Le représentant de l’État dans le département est garant du respect des dispositions du présent article.
« Le non‑respect du présent article constitue un motif de cessation du versement des financements et des contributions financières, y compris obligatoires, prévues au présent code. »
Article 10
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.