N° 1505
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
portant régulation des prix des carburants et contrôle des concentrations économiques en Corse,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Paul-André COLOMBANI, M. Michel CASTELLANI, M. François-Xavier CECCOLI, M. Xavier LACOMBE, M. Jean-Pierre BATAILLE, M. Stéphane LENORMAND, M. Max MATHIASIN, M. Laurent MAZAURY, M. Laurent PANIFOUS, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Estelle YOUSSOUFFA, M. Salvatore CASTIGLIONE, M. Paul MOLAC, M. Joël BRUNEAU, M. Stéphane VIRY, Mme Martine FROGER,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi vise à répondre à une situation de déséquilibre économique et social persistante en Corse, aggravée par des conditions structurelles spécifiques liées à son insularité, faisant peser une forte pression économique sur les ménages corses.
Le marché des carburants en Corse se caractérise en effet par une concentration excessive, une faible intensité concurrentielle et une dépendance logistique quasi exclusive à une infrastructure essentielle contrôlée par un opérateur unique. Cette organisation a conduit à la formation d’un monopole de fait, verrouillant l’accès au marché.
Depuis plus de cinq ans, ce sujet fait l’objet d’interpellations répétées auprès du Gouvernement, afin de demander la mise en place de mesures spécifiques permettant de répondre à la situation exceptionnelle que connaît le marché de la distribution des carburants en Corse. À ce jour, aucune solution adaptée aux réalités de l’île n’a été apportée, et les mesures mises en place par le Gouvernement dans l’ensemble de la métropole ont eu un effet insuffisant en matière de lutte contre la cherté des carburants en Corse.
Ainsi, l’instauration de solutions pérennes de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des carburants est plus que jamais indispensable.
En effet, la situation actuelle a des conséquences sociales lourdes : les ménages corses sont confrontés à des prix de carburants structurellement plus élevés que sur le continent, dans un contexte de précarité économique marquée. Le salaire moyen y est inférieur de plus de 400 euros à celui constaté sur le continent, et plus de 18 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté. En 2008 déjà, 28 % d’entre eux étaient considérés en situation de vulnérabilité énergétique liée aux déplacements — un taux parmi les plus élevés de la métropole. Depuis lors, la hausse continue du prix des carburants, conjuguée à l’absence d’alternative à la voiture individuelle, n’a fait qu’aggraver cette précarité énergétique.
L’Autorité de la concurrence, dans son avis n° 20‑A‑11 du 17 novembre 2020, a souligné la spécificité du marché corse : à l’amont, l’approvisionnement et le stockage sont contrôlés par une entreprise verticalement intégrée ; à l’aval, la distribution se fait via un oligopole de trois réseaux, sans concurrence par les grandes surfaces, empêchées d’entrer sur le marché faute de maîtrise de la logistique. Cette configuration constitue une barrière structurelle à l’entrée pour tout nouvel opérateur, consolidant un monopole de fait et une situation de verrouillage du marché.
Or, dans les territoires ultramarins, des dispositifs réglementaires spécifiques existent. Les décrets « Lurel », pris sur le fondement de l’article L. 410‑5 du code de commerce, permettent une régulation des prix et des marges dans les secteurs marqués par une concentration excessive. Ces mesures ont démontré leur efficacité pour corriger les défaillances structurelles du marché local. La Corse, bien qu’insulaire et soumise à des contraintes comparables, ne bénéficie d’aucun mécanisme équivalent, alors même qu’elle partage avec ces territoires une dépendance logistique forte et une taille de marché restreinte.
Aussi, conformément à la demande formulée par l’Assemblée de Corse, il est nécessaire d’envisager la mise en œuvre d’un cadre législatif et réglementaire adapté aux contraintes et besoins spécifiques de la Corse, territoire insulaire, en matière de contrôle des situations de monopole, de fixation des prix des carburants, de régulation des seuils de concentration et de fiscalité.
La présente proposition de loi entend donc rétablir un équilibre par trois leviers complémentaires :
1. La création, dans le code de commerce, d’une base juridique permettant la régulation temporaire des prix ou des marges des carburants en Corse, en cas de pratiques ou de niveaux manifestement excessifs, à l’image de ce qui existe pour les départements d’outre‑mer ;
2. L’instauration de seuils de notification spécifiques pour les opérations de concentration dans les secteurs stratégiques à fort impact local, afin de prévenir les effets anticoncurrentiels durables dans un marché où même une opération modeste peut avoir des conséquences structurelles ;
3. Le renforcement de la capacité d’analyse et d’action de l’Autorité de la concurrence lorsqu’une opération porte sur une infrastructure logistique essentielle implantée en Corse, afin de garantir un accès équitable aux acteurs présents ou souhaitant entrer sur le marché.
Face à cette situation de monopole, ce texte vise à instaurer un cadre d’action adapté aux réalités insulaires, sans porter atteinte à la liberté d’entreprendre, mais en assurant la protection du pouvoir d’achat des Corses, la transparence du marché et le rétablissement d’une concurrence effective au service de l’intérêt général.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Après l’article L. 410‑2 du code de commerce, il est inséré un article L. 410‑2‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 410‑2‑1. – Par dérogation à l’article L. 410‑2, et à titre expérimental pour une durée de cinq années à compter de la promulgation de la loi n° du portant régulation des prix des carburants et contrôle des concentrations économiques en Corse, les prix de vente au détail des carburants routiers sur le territoire de la collectivité de Corse peuvent être réglementés.
« Dans ce cadre, le représentant de l’État dans la collectivité de Corse peut fixer, par arrêté préfectoral, un prix maximum de vente de ces produits, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État et après avis de l’Autorité de la concurrence.
« Le décret précise notamment les conditions d’évaluation, de consultation, de révision et de publication des prix encadrés.”
Article 2
Après l’article L. 430‑2 du code de commerce, sont insérés des articles L. 430‑2‑1 et L. 430‑2‑2 ainsi rédigés :
« Art. L. 430‑2‑1. – En Corse, par dérogation à l’article L. 430‑2, les opérations de concentration, au sens de l’article L. 430‑1, intervenant dans un secteur stratégique à fort impact territorial sont soumises à notification préalable à l’Autorité de la concurrence lorsque :
« 1° Le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises concernées est supérieur à 20 millions d’euros ;
« 2° L’une au moins des entreprises concernées réalise un chiffre d’affaires hors taxes supérieur à 5 millions d’euros en Corse ;
« 3° L’opération est susceptible de renforcer une position dominante ou de réduire de manière significative la concurrence effective sur ce territoire.
« Les secteurs concernés incluent notamment la distribution de carburants, la grande distribution, la logistique, les déchets et l’énergie.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, peut adapter les seuils ou préciser la liste des secteurs mentionnés au présent article.
« Les opérations relevant du champ d’application du Règlement (CE) n° 139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises ne sont pas soumises aux dispositions du présent article. »
« Art. L. 430‑2‑2. – Lorsqu’une opération de concentration porte sur une infrastructure logistique essentielle située en Corse, notamment dans les secteurs des carburants, de l’énergie ou du fret, l’Autorité de la concurrence évalue, dans le cadre de l’article L. 430‑5, son effet sur :
1° Le maintien d’une pluralité d’opérateurs dans le secteur concerné ;
2° L’accès équitable et non discriminatoire à l’infrastructure ;
3° La concurrence effective sur le marché local à moyen et long terme.
« Elle peut, à ce titre, subordonner l’autorisation de l’opération à des mesures proportionnées, de nature structurelle ou comportementale, y compris celles visant à garantir un accès équitable à une infrastructure essentielle, afin de prévenir tout effet durable de restriction de concurrence.
Article 3
Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux opérations pour lesquelles une réalisation ou un accord est intervenu à compter du premier jour du troisième mois suivant sa promulgation.