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N° 1519
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à l’indemnisation des orphelins des victimes de l’incorporation de force dans les armées allemandes et les structures nazies en Alsace et en Moselle, durant la Seconde guerre mondiale,
(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sandra REGOL, Mme Louise MOREL, M. Hubert OTT, Mme Anna PIC, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Émeline K/BIDI, M. Alexis CORBIÈRE, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La question de l’incorporation de force dans les armées allemandes et les structures nazies en Alsace et en Moselle, durant la Seconde guerre mondiale, constitue toujours une plaie profonde, après 80 ans, que l’on porte malgré soi lorsque l’on provient de l’un de ces trois départements, mais qui affecte également la mémoire collective de l’ensemble du pays.
Ne pouvant échapper à une conscription forcée dans l’armée allemande durant la Seconde guerre mondiale, les Malgré‑nous moururent par dizaines de milliers, principalement sur le front de l’Est, laissant des milliers d’orphelins. Une partie d’entre eux, sans pouvoir en estimer précisément le nombre, se dressèrent contre les Allemands, en effet les rebellions en caserne ou sur le champ de bataille furent fréquentes. Nombre d’incorporés de force furent également emprisonnés par les Russes, incarcérés dans le camp de Tambov, dans des conditions épouvantables dont beaucoup ne revinrent jamais. 24 000 Malgré‑nous sont morts au front, 16 000 en captivité dont environ un quart à Tambov. Ce sont des hommes qui, bien souvent, laissèrent derrière eux des orphelins – dont environ 3 500 vivent encore et restent à la recherche d’une reconnaissance.
Des milliers d’orphelins de guerre donc, pupilles de la Nation, mais non bénéficiaires des indemnisations prévues par le décret 2004‑751 du 27 juillet 2004, qui prévoit fort justement une réparation pour les orphelins de guerre dont le parent fut victime d’actes de barbarie durant la Seconde guerre mondiale. Comment expliquer cette criante injustice ? Pourquoi persister dans cette exclusion qui renforce le sentiment d’être des oubliés de l’Histoire ? Le devoir mémoriel appelle une reconnaissance spécifique du sort des Malgré‑nous mais également des Malgré‑elles, ces femmes originaires d’Alsace et de Moselle sous occupation allemande, estimées au nombre de 15 000, enrôlées de force dans différentes structures nazies durant la période de 1942 à 1945.
Comment considérer que les 145 000 femmes et hommes, envoyés de force sur le front de l’Est ou intégrées dans des structures nazies, laissant derrière eux des milliers d’orphelins, ne furent pas eux‑mêmes victimes de la barbarie nazie ? Estimée à 695,91 euros pour 2025, cette rente mensuelle devrait permettre d’indemniser 3 500 orphelins de parents incorporés de force d’Alsace‑Moselle. Ce nombre est connu depuis le dénombrement qui a eu lieu dans le cadre d’un rapport voté lors du dernier budget, et qui avait pour vocation d’estimer le dimensionnement de l’enveloppe nécessaire à cette réparation.
Nous y sommes : allons au bout de ce processus mémoriel salutaire pour soigner enfin une plaie toujours ouverte depuis la Seconde guerre mondiale en Alsace‑Moselle, mais qui concerne l’ensemble de la Nation.
Cette proposition de loi vise à rendre justice aux pupilles de la Nation orphelins de guerre dont le parent, résidant en Alsace‑Moselle alors annexées par le 3e Reich, fut incorporé de force dans l’armée allemande, suite au décret nazi du 25 août 1942. Plus de 80 ans après, le temps est venu que la France reconnaisse la double souffrance, la double peine de ces orphelins : celle d’avoir perdu un parent qui fut forcé de se battre dans les rangs de l’ennemi nazi, et celle d’être toujours ostracisé, exclu d’une reconnaissance aboutie et d’un travail mémoriel qui puisse aller à son terme, libérant ainsi d’une chape de plomb l’Alsace et son département voisin la Moselle, et soignant un malaise diffus au sein de la Nation entière.
Oui, les Malgré‑nous ont subi leur sort, car s’ils refusaient l’incorporation de force, ce sont leurs familles, enfants compris, qui étaient expropriés, internés dans une annexe du camp de concentration du Struthof puis déportés en Allemagne. C’est ce qu’illustre le massacre des réfractaires de Ballersdorf : dans la nuit du 12 au 13 février 1943, un groupe de dix‑huit jeunes alsaciens, principalement originaires de Ballersdorf dans le sud de la région, tente de fuir vers la Suisse pour se soustraire à l’incorporation de force dans les armées allemandes. Des gardes‑frontières les interceptent et des échanges de tirs éclatent, sous lesquels trois alsaciens périssent. Un seul d’entre eux parvient à s’enfuir et passera en Suisse, les 14 autres sont arrêtés et seront fusillés entre le 17 et le 24 février 1943 au camp de concentration de Natzweiler‑Struthof près de Strasbourg. En parallèle, toutes les familles des fusillés sont emprisonnées au camp de Vorbruck‑Schirmeck, avant d’être déportées en Allemagne comme travailleurs forcés.
Voilà dans quelles conditions se déroulait l’incorporation de force. De force ! Pas de gré ! Oui, c’est malgré elles et malgré eux que 145 000 ressortissantes et ressortissants d’Alsace et de Moselle furent enrôlés par le 3e Reich. Oui, en cas de refus ou de fuite, ce sont les familles, enfants compris, qui étaient expropriés, incarcérées dans des camps voire déportés.
Lors de la commémoration des 80 ans de la Libération de Strasbourg, le samedi 23 novembre 2024, le président de la République, Emmanuel Macron, a déclaré au sujet des Malgré‑nous qu’il « nous faut reconnaitre les souffrances qu’ils subirent », et plus largement, « les souffrances de l’Alsace‑Moselle, cette annexion de fait, unique sur notre territoire ». Il a confirmé que « ces enfants d’Alsace et de Moselle furent capturés, habillés d’un uniforme qu’ils détestaient, au service d’une cause qui les faisaient esclaves, instruments d’un crime qui les tuaient aussi, menacés de représailles s’ils tentaient de fuir », ajoutant que leur « tragédie doit être nommée, reconnue, et enseignée car elle est celle de la Nation ».
Le dimanche 2 février 2025, lors de son déplacement à Colmar pour les 80 ans de la libération de la ville, M. Emmanuel Macron a également annoncé la création prochaine aux Invalides d’une plaque en hommage aux Malgré‑nous d’Alsace‑Moselle. En octobre 2023, suite à une initiative de la ministre chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, Patricia Miralles, sollicitant les suggestions mémorielles des parlementaires des trois départements concernés par l’incorporation de force, le député Emmanuel Fernandes avait adressé un courrier transpartisan à ces mêmes parlementaires, puis avait écrit à Patricia Miralles, pour proposer notamment la création d’un monument à Paris en hommage aux Malgré‑nous et aux Malgré‑elles.
La reconnaissance de la tragédie de l’incorporation de force dans les armées allemandes et les structures nazies en Alsace et en Moselle durant la Seconde guerre mondiale ne saurait être pleine et entière que si leurs orphelins, dont les parents ont été victimes d’actes de barbarie, obtiennent réparation en reconnaissance des souffrances endurées, comme le prévoit le décret 2004‑751 du 27 juillet 2004, dont cette proposition de loi vise donc à étendre la portée aux orphelins de Malgré‑nous. Cette tragédie est en effet celle de la Nation entière. La commémoration de la capitulation allemande est l’occasion, pour l’Alsace et la Moselle, pour le pays entier, de refermer cette plaie, ouverte depuis 80 ans.
Tel est le sens de cette proposition de loi.
Dans son article 1er, celle‑ci entend reconnaître que les incorporés de force d’Alsace‑Moselle ont été victimes d’actes de barbarie durant la Seconde guerre mondiale. Au‑delà de l’important aspect mémoriel de cette reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins des Malgré‑nous et Malgré‑elles, cet article permet aux personnes orphelines des incorporés de force de prétendre à une mesure de réparation équivalente à celle instituée par le décret du 27 juillet 2004 précité.
L’article 2 prévoit la création d’un fonds permettant de financer l’indemnisation des personnes orphelines d’incorporés de force considérés comme victimes de la barbarie nazie.
L’article 3, enfin, entend donner des gages financiers, nécessaires au financement des dispositions prévues au sein de la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
La Nation reconnaît que les Malgré‑nous et Malgré‑elles d’Alsace‑Moselle, incorporés de force durant la seconde guerre mondiale dans les armées de l’Allemagne ou de ses alliés ou dans le service allemand du travail tels que définis à l’article L. 111‑2 du code des pensions militaires d’invalidités et des victimes de la guerre, ont été victimes d’actes de barbarie.
Article 2
Il est institué un fonds visant à verser une aide financière aux personnes orphelines d’incorporés de force tels que définis à l’article 1er, en reconnaissance des souffrances endurées. Ce fonds s’adresse aux personnes orphelines dont l’un des parents a trouvé la mort au front, en internement ou en déportation, ou a été exécuté, ou a été porté disparu, et ce à la suite de son incorporation de force dans les armées de l’Allemagne ou de ses alliés, ou dans le service national du travail ou dans le service auxiliaire de guerre pour les femmes.
Un décret fixe les modalités d’application du présent article. Il précise les conditions dans lesquelles sont accordées et calculées les aides.
Article 3
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.