N° 1536

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à inscrire l’adaptation au changement climatique et la trajectoire de réchauffement de référence dans la loi,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Nicolas BONNET,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » Cette citation, souvent attribuée à Antoine de Saint‑Exupéry, nous rappelle notre double responsabilité envers les générations actuelles et futures : réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour atténuer le dérèglement climatique, et adapter nos territoires à ses impacts actuels et attendus pour limiter les risques et les inégalités qui en découlent.

Force est de constater que l’adaptation ne suscite pas le même intérêt que l’atténuation, à l’échelle nationale comme internationale. Pourtant, le dérèglement climatique n’est plus une menace lointaine mais une réalité bien présente et déjà visible. Début 2025, l’organisation météorologique mondiale a annoncé que l’année 2024 était la première à avoir dépassé le seuil d’un réchauffement de 1,5 degré Celsius au‑dessus du niveau préindustriel[1]. Le respect de ce seuil, engagement phare de l’accord de Paris, est désormais hautement improbable. Si rien n’est fait pour accélérer la lutte contre le réchauffement climatique, la température moyenne mondiale augmentera de l’ordre de 3 degrés Celsius en 2100, c’est-à-dire de 4 degrés Celsius en France hexagonale.

Les effets du dérèglement climatique se font déjà ressentir et continueront de s’intensifier année après année. Selon Météo‑France, une France à +4 degrés Celsius en 2100 connaîtra 10 fois plus de jours de vagues de chaleur et atteindra le seuil des 40 degrés Celsius chaque année. Alors que les pluies intenses renforceront le risque d’inondations, notamment dans le nord du pays, une sécheresse semblable à celle de 2022 sera la normale en été et le risque de feux concernera des régions jusqu’alors épargnées ([2]).

Face à ce constat, s’adapter au dérèglement climatique n’est pas un renoncement mais une responsabilité. La France s’est dotée d’une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique dès 2006, suivie de deux plans nationaux d’adaptation au changement climatique (PNACC) pour les périodes 2011‑2015 (PNACC1) et 2018‑2022 (PNACC2), dont l’objectif est de planifier les actions d’adaptation sur l’ensemble du territoire et de prévenir la mal adaptation. Le PNACC3, initialement prévu pour fin 2023, puis reporté à 2024, a finalement été présenté en mars 2025, après une phase de consultation publique. Il s’appuie notamment sur la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC), qui prévoit trois niveaux de réchauffement en France métropolitaine : +2 degrés Celsius en 2030, +2,7 degrés Celsius en 2050 et +4 degrés Celsius en 2100. Résultat d’un scénario intermédiaire prenant en compte les politiques d’atténuation en place et les engagements actuels des États, la trajectoire sera révisée en fonction des nouvelles données du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Contrairement à la politique d’atténuation du changement climatique, qui dispose d’un cadre juridique contraignant avec notamment la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la politique d’adaptation au changement climatique reste dépourvue d’assise législative. Alors que plusieurs pays ont intégré des dispositions concernant l’adaptation dans leurs lois, à l’image du Royaume‑Uni, de l’Espagne, de l’Allemagne ou encore du Japon, elle demeure étonnamment absente de la loi française ([3]). Le manque de normativité du PNACC ne permettra pas d’encourager les acteurs à analyser leurs vulnérabilités et mettre en place des mesures d’adaptation, ni de définir un cadre commun et cohérent pour l’action publique.

Aujourd’hui, de nombreux référentiels et normes techniques s’appuient encore sur des projections futures trop optimistes, sinon largement obsolètes, qui peuvent conduire à une mal adaptation. Par exemple, la réglementation environnementale RE 2020, en vigueur depuis 2022, intègre un indicateur de confort d’été dans la construction des bâtiments neufs dont le calcul prend la canicule de 2003 comme référence pour un événement climatique moyen en 2050 ([4]). Dans son rapport public annuel 2024 consacré à l’adaptation, la Cour des comptes recommande ainsi de prendre la TRACC comme nouvelle référence ([5]). De même, dans son avis sur le PNACC3, le Haut Conseil pour le climat recommande d’inscrire « le PNACC et la TRACC aux niveaux législatif et réglementaire » ([6]).

Au‑delà des normes et référentiels techniques, l’actualisation progressive des documents de planification des collectivités territoriales au regard de la TRACC est indispensable. Aujourd’hui, ces documents reposent sur le passé plutôt que sur le futur. Par exemple, les plans de prévention des risques d’inondation se réfèrent pour la plupart à l’évènement centennal historique du territoire plutôt qu’à des événements probables à l’horizon 2050. La référence à la TRACC comme hypothèse de travail partagée dans les documents d’aménagement et d’urbanisme (Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), Plan climat air énergie territorial (PCAET), plan local d’urbanisme (PLU), etc.) permettrait de mieux évaluer les vulnérabilités des territoires et de les adapter efficacement. Bien sûr, les collectivités auront besoin d’accompagnement et de moyens humains à la hauteur des enjeux.

En matière d’adaptation, le coût de l’inaction a déjà dépassé celui de l’action. En l’absence de « réflexe adaptation », de nombreux investissements publics, estimés à plus de 50 milliards d’euros en 2022, n’intègrent pas de réflexion sur l’adaptation au changement climatique alors qu’ils seront directement concernés par ses conséquences ([7]). Une référence commune doit être inscrite dans la loi afin de ne plus dépenser un euro sans prendre en compte l’adaptation.

Cette proposition de loi a pour objectif principal de poser une première pierre vers la définition d’une politique nationale d’adaptation au changement climatique ambitieuse et une meilleure intégration des enjeux d’adaptation dans les objectifs, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques.

L’article unique inscrit l’adaptation au changement climatique dans les principes généraux du code de l’environnement, au même titre que l’atténuation ou la préservation de la biodiversité, et la reconnaît comme priorité nationale. Il précise également l’adoption par décret de la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique, et en fait la référence commune pour les politiques publiques en faveur de l’adaptation, l’élaboration des plans et programmes et l’évaluation environnementale.

 

 

 


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proposition de loi

Article unique

Le titre Ier du livre Ier du code de l’environnement est complété par un article L. 110‑8 ainsi rédigé :

« Art. L. 1108. – L’adaptation au changement climatique est la démarche d’ajustement des systèmes humains et naturels au climat actuel et attendu ainsi qu’à ses conséquences.

« L’adaptation au changement climatique est reconnue priorité nationale.

« La trajectoire de réchauffement de référence d’adaptation au changement climatique est définie par décret. Elle précise notamment les niveaux de réchauffement climatique attendus sur l’ensemble du territoire métropolitain et des territoires d’outre‑mer. Elle est révisée au plus tous les cinq ans après avis publié du Haut conseil pour le climat.

« Tiennent compte de la trajectoire de réchauffement de référence d’adaptation au changement climatique :

« 1° Les politiques publiques et les mesures mises en œuvre par l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements en faveur de l’adaptation au changement climatique ;

« 2° L’analyse de vulnérabilité préalable à l’élaboration des plans et programmes ;

« 3° L’évaluation environnementale des projets, des plans et programmes et des documents d’urbanisme.

« Un décret fixe les modalités d’application du présent article. »

 

 


([1])  Organisation Météorologique Mondiale, L’OMM confirme que 2024 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec une température supérieure d’environ 1,55 °C aux valeurs préindustrielles, 10 janvier 2025.

([2])  Météo-France, A quel climat s'adapter en France selon la TRACC ? - 2e partie, 2025.

([3])  IGEDD, Mission de Parangonnage sur les politiques d’adaptation au changement climatique, décembre 2022.

([4])  Guillaume Dolques, Normes et adaptation au changement climatique : le cas de la RE2020, I4CE, janvier 2025.

([5])  Cour des Comptes, Rapport public annuel 2024 : L’adaptation des logements au changement climatique.

([6])  Haut Conseil pour le climat, Avis sur le plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC 3), mars 2025.

([7])  Vivian Dépoues & Guillaume Dolques, Au moins 50 milliards d’euros par an d’investissements publics à adapter, I4CE, septembre 2022.