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N° 1543
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à modifier le régime de responsabilité applicable en matière de fêtes traditionnelles camarguaises,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Charles ALLONCLE, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Nicolas MEIZONNET, M. Éric CIOTTI, M. Alexandre ALLEGRET-PILOT, Mme Bénédicte AUZANOT, Mme Brigitte BARÈGES, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Matthieu BLOCH, M. Anthony BOULOGNE, Mme Manon BOUQUIN, M. Jérôme BUISSON, M. Eddy CASTERMAN, M. Bernard CHAIX, M. Marc CHAVENT, M. Sébastien CHENU, Mme Christelle D’INTORNI, M. Jocelyn DESSIGNY, M. Nicolas DRAGON, M. Olivier FAYSSAT, Mme Stéphanie GALZY, M. Jonathan GERY, M. Antoine GOLLIOT, M. Jordan GUITTON, M. Bartolomé LENOIR, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. David MAGNIER, Mme Hanane MANSOURI, M. Pascal MARKOWSKY, Mme Michèle MARTINEZ, M. Pierre MEURIN, M. Maxime MICHELET, M. Éric MICHOUX, M. Thibaut MONNIER, M. Serge MULLER, M. Kévin PFEFFER, M. Julien RANCOULE, Mme Sophie RICOURT VAGINAY, Mme Catherine RIMBERT, Mme Sophie-Laurence ROY, M. Alexandre SABATOU, M. Emeric SALMON, Mme Anne SICARD, M. Michaël TAVERNE, M. Thierry TESSON, M. Vincent TRÉBUCHET, M. Gérault VERNY,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Chaque année, plus de 2 500 événements taurins animent nos villages du Sud de la France, offrant un spectacle unique de tradition et de passion. Parmi eux, la Course camarguaise se distingue comme un véritable sport d’adresse : dans les arènes, les raseteurs rivalisent d’agilité pour attraper cocardes et ficelles sur les cornes des taureaux de race Camargue, dans une chorégraphie haletante. Cette expérience se prolonge au‑delà des arènes. Avant et après la course, les « abrivados » et « bandidos » font vibrer les rues : les gardians, cavaliers emblématiques de la Camargue, guident avec habileté les taureaux à travers les villages, de la manade aux arènes, puis en sens inverse, dans un défilé populaire qui incarne l’âme de nos traditions.
Expressions de traditions populaires profondément ancrées et attirant un public toujours plus nombreux, ces manifestations représentent également, au‑delà de leur valeur culturelle inestimable, une économie à part entière et une source d’emploi considérable. Les fêtes votives – ces journées estivales dédiées à l’art de la bouvine – génèrent chaque année près de 400 millions d’euros de chiffre d’affaires grâce aux retombées touristiques.
Au cours de ces fêtes traditionnelles, des espèces animales emblématiques sont mises à l’honneur : le taureau et le cheval de race Camargue. L’élevage de ces animaux est assuré par des manades qui, depuis des générations, témoignent d’un profond respect envers ces derniers, perpétuant une tradition de symbiose entre l’homme et l’animal, façonnant les paysages d’un territoire qui parvient encore à préserver son identité en résistant à la bétonisation à marche forcée. On compte en effet 18 000 taureaux de race Camargue au total, pour 25 000 hectares de terres agricoles, répartis entre quatre départements : les Bouches‑du‑Rhône, le Gard, l’Hérault et le Vaucluse.
Pourtant, malgré leur popularité croissante, ces manades, comme les festivités taurines, sont aujourd’hui menacées, et ce à très court terme. Ainsi, l’assureur historique d’une grande partie des manadiers a récemment annoncé son désengagement pour fin 2025, contraignant de nombreuses manades à envisager la cessation prochaine de leurs activités.
La plupart des assureurs refusent en effet de proposer des contrats d’assurance aux manadiers, jugés non rentables, quand bien même ces contrats sont déjà trop onéreux pour les manadiers – les primes d’assurances ont déjà été multipliées par six ces dernières années, remettant en cause la soutenabilité économique d’un métier autant que d’une filière.
Cette situation s’explique par la hausse constante des indemnisations dont doivent s’acquitter les manadiers et leurs assureurs, en raison de la popularité des manifestations bouvines qui ont été multipliées par quatre en cinquante ans. Or, ces indemnisations concernent pour l’essentiel des spectateurs imprudents ayant outrepassé les consignes de sécurité lors d’ « abrivados », de « bandidos », ou d’ « encierros » : selon le cadre légal actuel, quand bien même un spectateur franchit délibérément les barrières de sécurité et cherche à se confronter au taureau, c’est le manadier qui est responsable en cas d’accident.
Cette responsabilité des manadiers provient directement du régime de responsabilité inscrit à l’article 1243 du code civil : « Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé (…) ». La loi prévoit ainsi que les manadiers soient juridiquement responsables de tous les accidents causés par leurs animaux.
La présente proposition de loi vise donc à adapter la législation aux spécificités culturelles locales en introduisant une dérogation au régime de responsabilité actuel : elle transfère cette responsabilité civile aux spectateurs qui enfreignent les règles de sécurité établies et communiquées au préalable – par exemple en franchissant les barrières. Ces spectateurs seraient ainsi responsables de leur imprudence, tandis que les spectateurs respectant les règles de sécurité seraient toujours indemnisés en cas d’accident. Ce texte permettrait de rétablir un régime de responsabilité favorable à la viabilité de contrats d’assurance à des prix raisonnables, au bénéfice mutuel des manadiers et des assureurs. Cette évolution légale est par ailleurs attendue par l’ensemble des acteurs locaux et fait l’objet localement d’un consensus transpartisan.
Pour éviter tout effet de bord, cette proposition de loi s’inscrit dans le cadre strictement restreint des manifestations culturelles et sportives qui se déroulent dans le cadre d’une tradition locale ininterrompue, reprenant la rédaction du code pénal ayant trait à la bouvine.
L’article unique vise à exonérer la responsabilité des organisateurs (les communes, les clubs taurins, les comités des fêtes et les associations) et des détenteurs d’animaux (les manadiers) lorsque le spectateur a enfreint les règles de sécurité formalisées et communiquées par ces derniers. Il introduit une dérogation aux articles 1242 (responsabilité du fait des choses) et 1243 (responsabilité du fait des animaux) du code civil.
Il introduit un plafonnement des indemnités à verser par les organisateurs comme par les détenteurs d’animaux, lorsqu’ils doivent en verser. Ce plafonnement veille à maintenir une juste proportionnalité entre le droit des victimes et la soutenabilité économique des garanties d’assurances applicables aux organisateurs et détenteurs d’animaux.
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proposition de loi
Article unique
Après l’article L. 321‑3‑1 du code du sport, sont insérés des articles L. 321‑3‑2 et L. 321‑3‑3 ainsi rédigés :
« Art. L. 321‑3‑2. – Lors de manifestations sportives ou culturelles et traditionnelles impliquant des animaux et s’inscrivant dans une tradition locale ininterrompue au sens de l’article 521‑1 du code pénal, les organisateurs ainsi que les détenteurs des animaux participant à la manifestation ne peuvent être tenus pour responsables, sur le fondement des articles 1242 ou 1243 du code civil, des dommages corporels causés à un spectateur par le fait de ces animaux, lorsqu’il est établi que ce dernier a enfreint les règles de sécurité mises en place.
« Cette exonération s’applique à la condition que les règles de sécurité aient été :
« 1° Préétablies, formalisées, et mises en place par l’organisateur ;
« 2° Portées de manière claire à la connaissance du public, par affichage visible sur les lieux de la manifestation et par tout autre moyen approprié, avant et pendant celle‑ci.
« Dans ce cas, la responsabilité du spectateur peut être engagée sur le fondement de l’article 1241 du code civil. »
« Art. L. 321‑3‑3. – Lorsqu’un dommage est causé à un spectateur à l’occasion d’une manifestation mentionnée à l’article L. 321‑3‑2, et que ce dommage ne résulte pas d’une infraction aux règles de sécurité imputables à ce dernier, l’indemnisation susceptible d’être mise à la charge du gardien de l’animal en application de l’article 1243 du code civil est plafonnée par décret en Conseil d’État.
« Ce décret détermine les plafonds applicables en tenant compte :
« 1° De la nature et du niveau de risque inhérents à l’activité considérée ;
« 2° De la mise en place de règles de sécurité adéquates par les organisateurs ;
« 3° De la nécessité d’assurer la soutenabilité économique des garanties d’assurance pour les organisateurs et les détenteurs d’animaux, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des victimes. »