N° 1556

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer la prise en charge de la santé des femmes tout au long de leur vie,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Prisca THEVENOT, Mme Céline CALVEZ, M. Romain DAUBIÉ, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Olivier FALORNI, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Moerani FRÉBAULT, M. Jean-Luc FUGIT, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Emmanuelle HOFFMAN, M. Jean-Michel JACQUES, M. Vincent JEANBRUN, Mme Sandrine JOSSO, Mme Sandrine LE FEUR, Mme Constance LE GRIP, M. Vincent LEDOUX, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Sandra MARSAUD, Mme Sophie PANONACLE, Mme Natalia POUZYREFF, Mme Isabelle RAUCH, Mme Véronique RIOTTON, Mme Stéphanie RIST, Mme Anne-Sophie RONCERET, M. Charles SITZENSTUHL, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Liliana TANGUY, M. Vincent THIÉBAUT, Mme Annie VIDAL, Mme Corinne VIGNON,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Bien que les femmes représentent 52 % de la population française, elles sont souvent ignorées ou sousestimées dans les parcours de santé alors même qu’elles ont des besoins spécifiques.

En effet, si les femmes vivent plus longtemps, leur parcours de santé reste marqué par des inégalités, des retards de diagnostic et des préjugés tenaces. Ce paradoxe soulève une question essentielle : quels sont les freins qui empêchent les femmes d’accéder à des parcours de soins adaptés et de bénéficier d’un suivi de santé à la hauteur de leurs besoins ?

Trop souvent, elles passent sous silence ou ignorent leurs symptômes, négligeant ainsi les soins préventifs et provoquant des retards de diagnostics.

En effet, un constat est aujourd’hui unanimement partagé : les femmes s’inquiètent en premiers lieux pour la santé de leurs proches, mettant leur propre santé au second plan. Ainsi, consulter un médecin dès les premiers symptômes ou intégrer des actions de prévention devient secondaire. Cette dynamique contribue à un cercle vicieux : des consultations tardives, des diagnostics posés à des stades avancés et des traitements plus lourds ; tout cela pouvant entraîner des pertes de chance dans le parcours de traitement.

Trop souvent, les pathologies féminines sont victimes de tabou, de méconnaissance et donc de sousdiagnostic.

Le manque de prise en charge précoce nest pas le seul problème. Les pathologies spécifiques aux femmes, ou celles qui les touchent différemment des hommes, restent encore largement méconnues ou minimisées.

L’exemple de l’infarctus du myocarde illustre parfaitement cette situation. Bien qu’il soit la première cause de mortalité chez les femmes en France, 200 femmes meurent chaque jour de maladies cardiovasculaires, cette maladie reste associée dans l’imaginaire collectif aux hommes. Résultat : 80 % des femmes ne connaissent pas les symptômes spécifiques de l’infarctus féminin, et seules 42 % consultent un cardiologue pour des problèmes cardiaques.

C’est pourquoi il est primordial de mieux faire connaitre, mieux expliquées, mieux prendre en compte les différences biologiques dès l’adolescence, lorsque celle‑ci commencent à s’expriment. Or, la méconnaissance du corps reste massive. Un sondage Ifop réalisé en 2023 pour la Fédération française de cardiologie révélait que 1 jeune femme sur 2 âgée de 18 à 25 ans pense encore, à tort, que les maladies cardiovasculaires concernent principalement les hommes.

Autre exemple : les souffrances psychologiques des femmes sont souvent minimisées ou imputées à des « fragilités émotionnelles », ce qui retarde l’accès à des soins adaptés. Par exemple, les femmes sont en plus grand nombre touchées que les hommes par la dépression et l’anxiété. Prises en considération trop tardivement, les complications peuvent être graves : elles sont plus souvent hospitalisées pour des cas de dépressions lourdes.

La question de la parité dans les essais cliniques doit également être posée.

Ces constats, ne doivent pas faire oublier les avancées significatives de ces dernières années.

Comme l’a souligné avec justesse le Président de la République : « Ce n’est pas un problème de femmes, c’est un problème de société. ».

– La stratégie nationale contre l’endométriose, lancée en 2022, a permis de structurer des filières de soins dans 15 régions, facilitant ainsi l’accès au diagnostic.

– La prise en compte de la ménopause, notamment par la présentation d’un rapport parlementaire, a permis de lever le tabou autour de la fin de l’activité ovarienne.

– Parallèlement, la gratuité des moyens de contraception pour les moins de 26 ans, ainsi que la mise en place d’un arrêt de travail sans délai de carence en cas de fausse couche, sont autant de mesures qui renforcent l’autonomie des femmes en matière de santé.

Si ces avancées sont à saluer, le chemin est encore long et il nous faut transformer les constats en actions concrètes

Avec cette proposition de loi, nous proposons d’y répondre en espérant que cela pourra s’inscrire dans un plan national plus global autour de la santé des jeunes filles et des femmes.

Il est urgent de penser la santé des femmes comme un tout, de l’adolescence à la séniorité. Cela implique des politiques publiques structurées, des campagnes de prévention ambitieuses, un accès facilité aux soins.

Ainsi, l’article 1er vise à instaurer un examen de santé obligatoire pour tous les jeunes adolescents entre leur douzième et leur seizième anniversaire.

Le virage préventif voulu par le Président de la République et qui a permis des avancées majeures doit aussi pouvoir pleinement concerner les jeunes filles et les femmes. Or, encore aujourd’hui, la prévention pour les parcours de santé féminin n’existe pas car trop concentré sur la maternité. En France, de nombreuses pathologies féminines ne sont identifiées qu’à travers le prisme de la maternité. Lorsquune femme exprime un désir denfant, elle est alors soumise à un bilan de fertilité. Cest souvent à ce moment‑là que des troubles, tels que lendométriose ou dautres syndromes des ovaires polykystiques (SOPK) sont diagnostiqués. Par cette consultation, les jeunes filles pourront ainsi être plus tôt accompagnées et diagnostiquées si besoin. Cette consultation représentera aussi un intérêt pour les jeunes garçons qui ont besoin aussi de réponse face à leurs corps qui évoluent rapidement sur une période que nous savons tous parfois compliquée.

Ce bilan de santé prend la forme d’une consultation longue réalisé par un médecin traitant, un gynécologue ou une sage‑femme. Cette consultation longue fera notamment l’objet d’action de prévention et d’information avec la possibilité d’évoquer librement les questions qu’ils peuvent se poser comme sur les menstruations, la contraception, la vie affective et sexuelle, la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) mais aussi sur les bonnes pratiques de soins et de suivi à avoir, sur la nécessité d’avoir un médecin traitant, et plus globalement de prendre soin de sa santé physique et mentale. La lutte contre le tabagisme et les addictions pourra également être abordée.

Une fois l’adolescence passée, les inégalités de santé peuvent aussi impacter la vie personnelle et professionnelle et donc les conditions de travail des femmes en France. L’endométriose par exemple, encore peu prise en compte dans l’aménagement du travail, peut aller jusqu’à éloigner certaines patientes de l’emploi. Face à des douleurs soudaines, fortes et invalidantes. À ces difficultés s’ajoutent des obstacles économiques et administratifs : les femmes représentent 64 % des personnes qui reportent ou renoncent à des soins, soit près de 9,5 millions de femmes chaque année. Frais de soins, complexité administrative, délais d’attente constituent autant de freins à leur prise en charge effective. Par ailleurs, un certain nombre de maladies féminines invalidantes ne remplissent pas les critères actuels pour être inscrites sur la liste des affections de longue durée (ALD), alors même quelles peuvent avoir des effets incapacitants durables. Cest pourquoi larticle 2 du texte propose de renforcer la reconnaissance des pathologies féminines invalidantes en facilitant la prise en charge des soins, traitements et examens qui leur sont liés comme des ALD. Il sagit de reconnaître non seulement leur impact médical, mais aussi leurs conséquences concrètes sur la vie personnelle et professionnelle des femmes.

Autre sujet qu’il convient de regarder précisément : l’accompagnement une fois le diagnostic posé. De nombreuses femmes atteintes d’endométriose ont un suivi régulier réalisé par une sage‑femme ou un infirmier en pratique avancée, ainsi il est cohérent d’autoriser ces professionnels à constater les incapacités de travail. L’article 3 autorise les sages femmes et les infirmiers en pratique avancée à constater l’incapacité de travail lors d’une atteinte de la maladie de l’endométriose.

L’article 4 intègre la nécessité d’adapter la médecine du travail aux besoins spécifiques des travailleurs et donc d’accorder une attention particulière à la santé des femmes pour appréhender et répondre à leurs enjeux de santé féminine dans le cadre de leur emploi.

L’article 5 vise à instaurer un programme national de dépistage systématique des maladies cardiovasculaires notamment chez les femmes, en ciblant trois périodes déterminantes : jeune adulte, âge moyen et séniorité. Il propose également des moyens spécifiques pour garantir l’accessibilité dans les déserts médicaux. C’est une mesure de santé publique nécessaire, fondée sur les recommandations scientifiques et adaptée aux enjeux d’égalité réelle en santé.

L’article 6 prévoit la remise au Parlement d’un rapport sur la sous‑représentation des femmes dans les essais cliniques, alors même que les différences biologiques, hormonales et physiologiques entre les sexes sont susceptibles d’influer de manière significative sur l’efficacité et les effets indésirables des traitements.

Cette inégalité structurelle dans la recherche biomédicale engendre des conséquences directes sur la qualité des soins, la sécurité des prescriptions, ainsi que sur l’adaptation des stratégies de prévention et des protocoles thérapeutiques aux spécificités féminines.

Si des avancées ont été enregistrées, notamment avec l’introduction d’obligations d’inclusion des femmes dans certains essais, ces mécanismes demeurent trop partiels, insuffisamment contraignants et rarement contrôlés. Il apparaît dès lors nécessaire d’objectiver l’état actuel de la recherche clinique en France au regard de l’exigence de parité, afin d’identifier les leviers pertinents pour assurer une représentation équilibrée et scientifiquement rigoureuse des femmes dans les protocoles.

Par cette demande de rapport, le législateur réaffirme que la santé des femmes ne saurait être reléguée au rang de variable d’ajustement dans un modèle médical historiquement centré sur le référentiel masculin. Elle appelle au contraire une recherche spécifique, exigeante et équitable, au service d’une médecine plus juste et plus efficace pour toutes et tous.

Enfin, l’article 7 est relatif aux gages financiers vient compléter cette proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Après l’article L. 2132‑2‑1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2132‑2‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2132211. – I. – Entre leur douzième et leur seizième anniversaire, les assurés doivent obligatoirement bénéficier d’une consultation d’information et de prévention réalisée par un médecin généraliste, un gynécologue ou une sage‑femme. Cette consultation longue aborde notamment la santé psychologique de l’adolescent, les questions liées à la puberté avec une attention particulière sur les menstruations et la contraception, la vie affective et sexuelle et les addictions. Cette obligation est réputée remplie lorsque le professionnel de santé atteste sur le carnet de santé mentionné à l’article L. 21321 de la réalisation des examens dispensés.

« II. – La consultation mentionnée au I ainsi que, le cas échéant, les soins consécutifs sont pris en charge dans les conditions prévues à l’article L. 162‑1‑12‑1‑B du code de la sécurité sociale. »

II. – Après l’article L. 162‑1‑12‑1 A du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 162‑1‑12‑1‑B ainsi rédigé :

« Art. L. 1621121 B. – La consultation d’information et de prévention prévue à l’article L. 2132‑2‑2 du code de la santé publique est prise en charge en totalité par les régimes obligatoires de l’assurance maladie et maternité. Les bénéficiaires de cette consultation sont dispensés de l’avance des frais. »

Article 2

Après le titre IV du livre Ier du code de la santé publique, il est inséré un titre IV bis ainsi rédigé :

« Titre IV bis

« Dispositions relatives À la prise en charge
des pathologies fÉminines invalidantes

« Art. L 1145. – Les pathologies féminines entraînant une incapacité significative dans la vie personnelle ou professionnelle ouvrent droit à la prise en charge des soins, traitements et examens qui leur sont liés dans les conditions prévues au 4° de l’article L. 322‑3 du code de la sécurité sociale. »

Article 3

I. – L’article L. 4151‑1 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les sages‑femmes peuvent constater l’incapacité mentionnée à l’article L. 321‑1 du code de la sécurité sociale lorsque celle‑ci est liée aux symptômes d’une endométriose diagnostiquée. »

II. – À l’article L. 321‑1 du code de la sécurité sociale, après le mot : « professionnelle ; » sont insérés les mots : « lorsque celle‑ci est liée aux symptômes d’une endométriose diagnostiquée, l’incapacité peut également être constatée par un infirmier exerçant en pratique avancée ; ».

Article 4

Le premier alinéa du I de l’article L. 4624‑1 du code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce suivi est adapté aux besoins de chaque travailleur et prend notamment en compte les besoins de santé spécifiques des femmes. »

Article 5

Après l’article L. 1411‑6‑2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1411‑6‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1411621. – Un programme national de dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire est mis en place aux tranches d’âge suivantes :

« 1° Entre 18 et 25 ans révolus ;

« 2° Entre 45 et 50 ans révolus ;

« 3° Entre 60 et 65 ans révolus ;

« 4° Entre de 70 et 75 ans révolus.

« Ce dépistage est réalisé par un professionnel de santé, dans le cadre des programmes de santé mentionnés à l’article L. 1411‑6, et peut être effectué par le biais de consultations en cabinet, en centre de santé, en maison de santé pluridisciplinaire ou dans une unité mobile de prévention. Ce dépistage est réalisé en tenant compte des différences de symptômes présentés par les hommes et les femmes 

« Dans les zones sous‑dotées en offre de soins, les agences régionales de santé mettent en place, en lien avec les collectivités territoriales, des dispositifs mobiles ou de téléconsultation garantissant l’accès effectif au dépistage. »

Article 6

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant la parité et l’équité dans les essais cliniques en France, notamment en ce qui concerne la participation des femmes.

Ce rapport dresse un état des lieux des pratiques actuelles en matière de représentation des sexes dans les essais cliniques, en identifiant les éventuelles inégalités ou sous‑représentations, tant en phase préclinique qu’en phase clinique. Il analyse les conséquences de ces déséquilibres sur la qualité et la sécurité des traitements proposés aux femmes.

Il formule des recommandations en vue d’assurer une meilleure prise en compte des spécificités biologiques et physiologiques des femmes dans la recherche biomédicale, de garantir la parité dans la constitution des panels de patients et d’améliorer l’analyse différenciée des effets des traitements selon le sexe.

Ce rapport examine enfin les leviers réglementaires, financiers et scientifiques susceptibles de favoriser une recherche plus inclusive et plus représentative, notamment par une révision des critères d’inclusion, des obligations de transparence, et des dispositifs de suivi par les autorités sanitaires.

Article 7

I. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.