N° 1606

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à accorder le droit de vote aux élections municipales aux résidents étrangers extra-européens en France,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Soumya BOUROUAHA, M. Édouard BÉNARD, M. Julien BRUGEROLLES, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, M. Nicolas SANSU,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Ouvrir le droit de vote aux étrangers aux élections locales est un enjeu à la fois politique et de citoyenneté.

Cette proposition de loi est le fruit d’une initiative populaire engagée par les habitantes et les habitants de La Courneuve pour faire reconnaitre leur droit à élire leurs élu.es municipaux et leur maire sans distinction de leur nationalité. Parce qu’ils et elles sont déjà engagés au sein de la société, ils démontrent qu’il n’y a pas de légitimité à dissocier la citoyenneté à partir de la nationalité.

Ainsi, dès la Constitution de 1791, la citoyenneté de résidence se distingue de la citoyenneté de nationalité lorsque les rédacteurs inscrivent en son article 3 qu’est Français le citoyen né hors du royaume et qui remplit l’une des conditions prévues, telles que la durée de résidence, l’acquisition d’une propriété ou le mariage.

Depuis l’adoption du traité de Maastricht en 1992, les ressortissants européens résidant en France ont le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales et européennes. Face à cela, les étrangers originaires de pays extérieurs à l’Union européenne demeurent exclus de ce droit, ce qui est perçu comme une véritable injustice au regard de ce qu’ils apportent à notre société.

La proposition d’élargir le droit de vote aux étrangers extra‑communautaires revient régulièrement dans le débat public, tel un serpent de mer, depuis plusieurs décennies. Bien que de nombreux responsables politiques – majoritairement à gauche, mais aussi parfois à droite – s’y soient montrés favorables à différentes périodes, cette mesure est toujours restée au stade de la promesse électorale.

I.  Une promesse électorale jamais tenue…

Le droit de vote des résidents étrangers figurait parmi les propositions du programme commun de la gauche dès les années 1970. Cette promesse, pourtant portée par François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1981, n’a jamais été mise en œuvre au cours de ses deux mandats à l’Élysée.

En 2012, M. François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, a également inscrit cette mesure dans son programme. Bien qu’élu président de la République, cette promesse ne sera jamais mise à l’ordre du jour au Parlement.

Dans une interview au journal Le Monde, le 25 octobre 2005, M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, s’était dit favorable à l’ouverture du droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections municipales. Le président de la République l’avait alors vivement contredit, arguant que la nationalité ne saurait être dissociée de la citoyenneté.

Pourtant, c’est bien Jacques Chirac qui, le 14 octobre 1979, avait pris position en faveur de la participation aux élections municipales des travailleurs immigrés résidant depuis au moins cinq années dans leur commune d’accueil, lors d’un discours devant l’Association des maires des capitales francophones.

Par ailleurs, des communes favorables à cette mesure organisent depuis de nombreuses années des consultations locales incluant les femmes et les hommes de nationalité étrangère résidant sur leur territoire. C’est par exemple le cas à Stains et à La Courneuve, où le corps électoral est élargi lors de scrutins sur des enjeux locaux sans distinction de nationalité. Ces initiatives rencontrent un véritable enthousiasme qu’il est important de souligner.

Enfin, le président Emmanuel Macron ne s’est jamais montré favorable à cette avancée démocratique. Lors d’un déplacement à Évry‑Courcouronnes en 2019, il déclarait préférer favoriser l’accès à la nationalité française plutôt que d’accorder le droit de vote aux étrangers résidant sur le sol français. Cette opposition présidentielle laisse entendre qu’aucune initiative de l’exécutif ne verra le jour sur ce sujet. C’est pourquoi une initiative parlementaire est aujourd’hui plus que nécessaire : la présente proposition de loi constitutionnelle vise ainsi à franchir enfin le pas.

II.  …Qui renforce l’ancrage et la reconnaissance de la citoyenneté des résidents extracommunautaires

Dans un contexte marqué par la montée des idées les plus réactionnaires, les résidents étrangers en France sont régulièrement visés par des propos xénophobes et stigmatisants. Ces discours discriminatoires ont pour objectif de les représenter comme une population extérieure à la communauté nationale, voire hostile, pour justifier qu’ils ne pourraient pas accéder à la citoyenneté locale. Alors que le droit de vote aux élections locales n’est pas remis en cause lorsqu’il concerne les ressortissants européens, il suscite une forte opposition d’une partie de la classe politique conservatrice lorsqu’il s’agit de ressortissants extra‑communautaires.

L’un des principaux arguments des opposants au droit de vote des résidents étrangers a pourtant été balayé dans les pays où ce droit est instauré depuis de longues années. Ainsi, Mme Catherine Wihtol de Wenden écrit dans la revue Migrations Société parue en 2013 que : « Les travaux effectués dans les pays qui ont mis en œuvre la citoyenneté des étrangers au niveau local montrent, avec l’exemple belge, mais aussi néerlandais, danois ou suédois, que la crainte d’un vote dit “communautaire” ne s’est vérifiée nulle part, pas plus que l’éventuelle pression des pays d’origine sur le droit de vote de leurs ressortissants » ([1]).

Loin des discours réactionnaires, les résidents étrangers s’intègrent et contribuent à créer des richesses en France. Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) publiée en 2023 : « en 2021, 70 % des immigrés de 15 à 64 ans sont actifs, c’est‑à‑dire en emploi ou au chômage, contre 74 % des personnes sans ascendance migratoire directe et 67 % des descendants d’immigrés » ([2]).

À travers leurs activités professionnelles, ils et elles cotisent et participent à la solidarité nationale à travers l’assurance chômage, la sécurité sociale, à notre régime des retraites etc.

Par ailleurs, il est essentiel de rappeler que ces femmes et ces hommes, qui participent à la vie économique de notre pays, sont nombreux à s’engager dans les mouvements associatifs, syndicaux, collectifs et citoyens des villes où ils et elles résident. Certaines et certains sont délégués des parents d’élèves ; d’autres - parfois les mêmes - participent aux réunions publiques de concertation organisées par la municipalité ou d’autres collectivités locales sur des projets d’aménagement urbain ou de vivre‑ensemble.

À titre d’exemple, ce sont 48 % des habitantes et des habitants de La Courneuve qui ne peuvent pas élire leurs représentants au Conseil municipal, ni leur maire.

Ne faudrait‑il pas alors repenser la citoyenneté en la dissociant de la nationalité ? Les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle en sont convaincus.

D’une part, parce que ce principe prévaut déjà pour les résidents européens en France qui ont le droit de vote aux élections locales et peuvent être éligibles. Il devient alors compliqué de justifier pourquoi les étrangers qui résident en France depuis plusieurs années sont privés de ce droit.

D’autre part, car le droit de vote est considéré comme un attribut essentiel de la citoyenneté et de l’incorporation dans la communauté politique d’un pays. Il s’agit donc de renforcer la place de ces femmes et de ces hommes dans la société française et particulièrement dans la cité. Alors qu’ils et elles sont considérés comme des « objets » politiques à travers les discours réactionnaires, il s’agit de leur permettre de s’affirmer en tant que « sujets » politiques et de leur ouvrir le droit à faire entendre leur voix, à faire valoir leurs aspirations.

Tandis qu’une partie de la classe politique ne cesse de pointer du doigt une soi‑disant absence d’intégration dans notre pays, les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle veulent au contraire réaffirmer qu’accorder le droit de vote aux résidents étrangers en France est au contraire vecteur d’intégration.

La France ne peut rester à l’arrière garde de l’Europe où 14 pays, dont l’Irlande, la Belgique, les Pays‑Bas, l’Espagne, la Suède ou la Hongrie, ont progressivement autorisé le droit de vote voire d’éligibilité, aux élections locales aux étrangers et étrangères hors Union européenne, après une durée de résidence qui oscille entre 2 et 8 ans.

En outre, cette proposition de loi constitutionnelle a pour objectif de mettre fin à une discrimination fondée sur une distinction entre les nationalités qui n’a aucune légitimité.

 


– 1 –

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Après l’article 72‑1 de la Constitution, il est inséré un article 72‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. 7211. – Le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »

Article 2

À la première phrase de l’article 88‑3 de la Constitution, le mot : « seuls » est supprimé.

 

 


([1])  WIHTOL DE WENDEN, Catherine, « Droits politiques des étrangers non communautaires : les cheminements de l’accès des étrangers à la citoyenneté locale », Migrations Société, 2013, n°146, p.69-78

([2])  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793266?sommaire=6793391