N° 1622
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à unifier les délais de dépôt des déclarations fiscales de succession,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Émilie BONNIVARD, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, Mme Sylvie BONNET, M. Pierre CORDIER, Mme Josiane CORNELOUP, Mme Marie-Christine DALLOZ, M. Corentin LE FUR, M. Eric LIÉGEON, M. Éric PAUGET, Mme Christelle PETEX, M. Jean-Pierre TAITE, M. Thibault BAZIN, M. Philippe JUVIN, Mme Virginie DUBY-MULLER,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Si le législateur s’efforce d’asseoir une relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables et de renforcer la sécurité juridique de ces derniers, il apparaît que ce chantier est inabouti en matière successorale.
En l’état des textes, notamment de l’article 641 du code général des impôts, l’ouverture d’une succession entraîne pour les héritiers, donataires et légataires l’obligation de déposer une déclaration de succession et à cette occasion d’acquitter les droits éventuels dus par cette mutation dans les six mois du décès lorsque ce dernier a lieu en métropole, et d’un an dans les autres cas. Pour de nombreuses raisons exposées ci‑après, il est nécessaire que ces délais soient unifiés et passent à un an.
En effet, la différence actuelle de délai repose sur le postulat qu’un décès métropolitain permet une identification plus simple et rapide de la composition du patrimoine à transmettre ainsi que des héritiers et légataires appelés à succéder, afin d’établir les droits de mutation par décès dus par ces derniers.
Ce présupposé de la loi est aujourd’hui en discordance totale avec la réalité et source d’insécurité juridique pour les familles.
De très nombreuses circonstances désormais parfaitement identifiées rendent extrêmement difficile le dépôt des déclarations de succession dans les délais. Au titre de ces obstacles concernés figurent notamment mais non limitativement :
– l’identification des héritiers inconnus ;
– l’interprétation de dispositions testamentaires complexes ;
– l’enchaînement de décès en cascade des ayants droits en cours de règlement d’une même succession ;
– les graves mésententes entre les ayants droits ;
– les difficultés d’évaluation des immeubles ou des titres de sociétés ;
– les lenteurs et l’absence de coopération de la part des établissements bancaires et des compagnies d’assurance pour la communication de certaines informations essentielles (encours des comptes bancaires, primes versées, capital à transmettre et bénéficiaires des contrats d’assurancevie…) ;
– l’absence de liquidité dans l’actif de succession permettant de payer les droits et corrélativement l’impossibilité de céder les immeubles pour dégager ces liquidités (difficulté accentuée avec le ralentissement du marché de l’immobilier).
Ces difficultés très nombreuses sont largement avérées par la pratique notariale et conduisent à des dépassements extrêmement fréquents du délai précité de six mois.
Des outils ont été mis à la disposition des praticiens afin de faciliter les obligations déclaratives de contribuables. En 1971, a été créé le fichier des comptes bancaires (FICOBA - CGI art. 1649 A) et, en 2013, le fichier des Contrats d’assurance Vie et des contrats de capitalisation des contrats d’assurance‑vie (FICOVIE - CGI art. 1649 ter et CGI ann. II art. 370 C). Cependant, l’un et l’autre ne suffisent pas à apporter toutes les informations à l’établissement de la déclaration de succession. Par exemple, la pratique atteste que FICOVIE n’est d’aucun recours s’agissant des contrats d’assurance‑vie non dénoués (aussi bien du fait d’un décès que d’un divorce) que des contrats d’assurance‑vie dénoués du fait du décès du souscripteur.
Des facilités de paiement des droits de succession sont accordées aux contribuables. Elles sont néanmoins insuffisantes et inadaptées. S’agissant du paiement fractionné (CGI art. 396), le contribuable ne peut étaler les droits que sur 3 ans. S’agissant du paiement différé (CGI, art. 397), la mesure ne concerne d’une part que des hypothèses très précises : bien transmis en nue‑propriété, bien grevé d’un droit d’habitation au profit du conjoint survivant, bien donnant lieu à attribution préférentielle, bien réductible pour atteinte à la réserve héréditaire). D’autre part, la moindre cession ou réunion de l’usufruit et de la NP remet en cause.
Surtout, aucune de ces mesures ne remédie au manque de temps pour déposer la déclaration dans les délais. Dépôt et paiement ne rencontrent pas les mêmes difficultés. C’est en effet une chose que d’avoir les moyens de payer, c’en est une autre que de savoir quoi mettre dans la déclaration.
De plus, cette inadaptation du délai de six mois à la réalité des règlements successoraux est révélée par les statistiques nationales de la Direction Générale 3 des Finances Publiques. Par exemple pour les seuls départements des Hautes Pyrénées, des Landes et des Pyrénées Atlantiques :
Les chiffres parlent d’eux‑mêmes. Seulement 30 % des déclarations sont déposées dans les délais, correspondant le plus souvent à des successions simples, sans dispositions testamentaires ni biens complexes à évaluer ou à déclarer.
En dehors de ces cas, le dépôt est tardif et alors lourdement sanctionné.
Ainsi, en cas de retard ou de défaut de production de la déclaration de succession dans les six mois du décès, les services de l’enregistrement appliquent une majoration de 10 % à partir du premier jour du septième mois suivant le terme du délai légal (donc le 13e mois suivant le décès) :
- soit en l’absence de mise en demeure ;
- soit en cas de dépôt de la déclaration dans les 90 jours suivant la réception d’une mise en demeure (CGI, art. 1728), à partir du premier jour du septième mois.
En cas de dépôt de la déclaration au‑delà des 90 jours suivant la réception d’une mise en demeure, le taux de majoration est porté à 40 % (CGI, 2 de l’art. 1728). Enfin, aux majorations s’ajoute également les intérêts de retard prévus à l’article 1727 du CGI et qui s’appliquent à tout droit dû qui n’a pas été payé dans le délai de six mois après la date du décès. Le taux est de 0,2 % par mois et la base de calcul est constituée par le montant des droits en principal qui n’ont pas été acquittés dans les délais.
Toutes ces sanctions fiscales sont donc à l’origine d’un contentieux, visant à contester les pénalités et intérêts de retard qui engorge toujours plus les tribunaux judiciaires. De fait, la majoration pour dépôt tardif est totalement indépendante du comportement des héritiers et/ou légataires, qu’ils soient quatre diligents ou négligents. La pratique rend compte également de l’inefficacité des recours gracieux et de l’impossibilité d’accéder au Comité du contentieux fiscal pour les pénalités inférieures à 200 000 euros (LPF art. R. 247‑4).
Ces représailles fiscales systématiques font toutefois fi du contexte humain très particulier des familles en deuil.
Pour finir, notons que l’obligation déclarative en cause ne concerne pas que les successions les plus fortement imposées. Tous les contribuables sont tenus de ce dépôt, même en cas d’exonération ou de non‑imposition. Tout contribuable quel que soit son niveau de fortune en cause ou l’importance de sa part héréditaire est concerné par les contraintes que pose le texte en question.
Afin de remédier à cette situation inéquitable qui enserrent les contribuables dans un délai déraisonnablement court, au dépassement sanctionné et source par ricochet d’engagement de la responsabilité civile professionnelle de leurs conseils, l’article unique de la présente proposition propose d’unifier les délais de l’article 641 du CGI. De la sorte, les héritiers, donataires et légataires bénéficieront d’un délai d’un an pour déposer la déclaration de succession quel que soit le lieu du décès de la personne dont elles héritent.
Cette mesure n’induit aucune modification des règles d’assiette et de liquidation des droits, dont les recettes budgétaires ne seront en conséquence pas impactée. La présente proposition n’entraîne ainsi aucun coût pour le Trésor public, à l’exception du seul différé de paiement des premières successions qui seront concernées.
Pour s’assurer de la cohérence des textes et prendre acte de cette modification, les dispositions relatives aux majorations seront ajustées, par une reformulation des articles 641 bis, 642 et 1728 du CGI.
– 1 –
proposition de loi
Article unique
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° L’article 641 est ainsi rédigé :
« Le délai pour l'enregistrement des déclarations que les héritiers, donataires ou légataires ont à souscrire des biens à eux échus ou transmis par décès est d'une année. » ;
2° Au premier alinéa de l’article 641 bis, les mots : « Les délais prévus à l'article 641 sont portés » sont remplacés par les mots : « Le délai prévu à l’article 641 est porté » ;
3° L’article 642 est ainsi rédigé :
« Dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de Mayotte et de la Réunion, le délai pour l'enregistrement des déclarations visées à l'article 641 est d'une année » ;
4° Le 2 de l’article 1728 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « six » est remplacé par le mot : « douze » ;
b) Le second alinéa est supprimé.