N° 1629
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à garantir le bénéfice des prestations familiales et des pensions alimentaires aux enfants confiés à un tiers,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, M. Paul CHRISTOPHE, M. Frédéric VALLETOUX, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Xavier ALBERTINI, M. Henri ALFANDARI, Mme Béatrice BELLAMY, M. Thierry BENOIT, M. Bertrand BOUYX, M. Jean-Michel BRARD, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, Mme Félicie GÉRARD, M. François GERNIGON, M. François JOLIVET, M. Loïc KERVRAN, M. Xavier LACOMBE, M. Thomas LAM, Mme Anne LE HÉNANFF, M. Didier LEMAIRE, M. Jean MOULLIERE, Mme Naïma MOUTCHOU, M. Jérémie PATRIER-LEITUS, M. Xavier ROSEREN, Mme Laetitia SAINT-PAUL, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, Mme Béatrice PIRON, M. Sylvain BERRIOS, M. Pierre HENRIET, Mme Lise MAGNIER, M. Christophe PLASSARD, Mme Isabelle RAUCH, M. Vincent THIÉBAUT,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le placement d’un enfant en dehors du foyer parental, qu’il soit temporaire ou durable, constitue une décision majeure prise dans l’intérêt de sa protection et de son bien‑être. Il est souvent motivé par des situations de danger, de négligence, d’abandon ou d’incapacité parentale à assurer ses besoins fondamentaux. Cette prise en charge peut être assurée par différents acteurs, conformément à l’article 375‑3 du code civil : un membre de la famille proche (grands‑parents, oncles, tantes, etc.), un tiers digne de confiance, un service départemental de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou encore un établissement spécialisé.
La protection de l’enfance constitue une responsabilité fondamentale des départements et représente l’un des piliers de l’action sociale en France. Face à l’augmentation constante du nombre d’enfants placés, il devient urgent d’adapter le cadre législatif et budgétaire afin d’assurer un accompagnement efficace et équitable de ces mineurs vulnérables.
L’incohérence du système actuel de prestations familiales se manifeste de deux manières :
– des allocations détournées de leur objectif premier, qui est de financer les besoins des enfants, mais qui sont souvent perçues par des parents qui n’en ont plus la garde et sans aucun contrôle de leur utilisation ;
– un sous‑financement des structures d’accueil, qui doivent assumer les dépenses de logement, d’éducation, de soins et d’accompagnement psychologique sans bénéficier des ressources financières qui devraient leur revenir.
Selon la Cour des comptes, sur les 380 000 enfants bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance en France, la moitié environ est placée en dehors du domicile familial. Ainsi, si le reversement systématique à l’ASE des principales prestations familiales était appliqué pour tous les enfants placés hors domicile familial, l’augmentation du budget de la protection de l’enfance serait de l’ordre de 500 millions d’euros par an, sans augmenter d’un euro le coût pour l’État.
Une réforme attendue et nécessaire dans l’intérêt de l’enfant.
L’organisation actuelle de fixation et de versement des aides sociales ne permet pas toujours de répondre efficacement à aux besoins réels de l’enfant. Le maintien du versement aux parents ou à l’un d’eux des allocations familiales, de l’allocation de rentrée scolaire et d’une pension alimentaire, même lorsqu’ils n’exercent plus de prise en charge effective, pénalise directement les enfants concernés.
En parallèle, les services départementaux de l’ASE, qui sont chargés de pourvoir aux besoins matériels, éducatifs et psychologiques des mineurs confiés, sont soumis à une pression budgétaire et organisationnelle considérable. 87 % des dépenses de la protection de l’enfance sont consacrées à l’hébergement et à l’accueil, avec un coût moyen annuel de 36 500 euros par enfant. Pourtant, alors que l’ASE prend en charge la quasi‑totalité des frais liés à ces enfants, elle ne bénéficie pas toujours des ressources financières correspondant aux aides sociales qui leur sont destinées.
Une réforme indispensable pour une meilleure efficacité des politiques publiques.
L’Observatoire national de l’action sociale (ODAS) a montré que les dépenses sociales départementales ont atteint 43,6 milliards d’euros en 2023, en hausse de 2,15 milliards d’euros par rapport à l’année précédente. Parmi ces dépenses, la protection de l’enfance connaît une progression inédite, atteignant 9,8 milliards d’euros. Ce secteur représente désormais 42 % de la hausse globale des dépenses sociales des départements. Entre 2021 et 2023, le budget alloué à l’ASE a connu une progression continue de 10 % par an, avec des hausses allant jusqu’à 30 % selon les départements.
Mais alors que les dépenses de protection de l’enfance explosent, dans la majorité des cas, les prestations familiales ne sont pas versées aux services de l’ASE ou aux familles d’accueil, les privant des ressources nécessaires pour répondre aux besoins des mineurs placés.
Pourtant, l’article L. 521‑2 du code de la sécurité sociale prévoit que les allocations familiales puissent être versées aux services de l’ASE lorsqu’un enfant leur est confié par décision judiciaire. Cependant, ce même article laisse au juge la possibilité de maintenir ces allocations au bénéfice des parents, sous réserve qu’ils continuent de participer à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant, ou en vue de faciliter un éventuel retour au foyer familial.
Dans la pratique, cette possibilité de maintien des allocations aux parents est la règle et non l’exception : dans plus de 80 % des cas, les allocations restent versées aux parents, alors même que la majorité des enfants placés l’ont été en raison d’une carence parentale grave et que ces parents n’assument plus aucune charge réelle à leur égard. Cette situation est d’autant plus aberrante que les services sociaux et les structures d’accueil, qui portent la responsabilité entière de ces mineurs, ne perçoivent pas les aides qui leur permettraient de financer leur accompagnement.
Une allocation de rentrée scolaire qui ne remplit pas son rôle pour les enfants placés.
La loi du 14 mars 2016 a introduit une réforme confiant la gestion de l’allocation de rentrée scolaire (ARS) à la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant placé (après information par le département à 17 ans).
Ce mécanisme, qui vise à constituer une épargne au bénéfice du mineur, détourne ces fonds publics de leur objectif initial et ne répond pas aux besoins immédiats des enfants en matière de scolarité. Pendant ce temps, les départements et les familles d’accueil assument seuls ces dépenses, sans bénéficier de l’aide pourtant prévue à cet effet.
Ce fonctionnement est d’autant plus inefficace qu’en 2024, le taux de restitution n’est que de 44 %, notamment par manque de partage d’information entre la Caisse des dépôts et consignations et les départements. Ce système est par ailleurs particulièrement injuste puisqu’il ne donne lieu à un pécule à 18 ans que pour les enfants dont le foyer est éligible à l’ARS.
La réforme proposée prévoit donc que l’ARS soit versée directement à la personne ou à l’institution qui prend en charge l’enfant (ASE, famille d’accueil, membre de la famille désigné par le juge), afin qu’elle puisse être utilisée au moment où elle est nécessaire.
Cette réforme n’exclut en rien la possibilité d’instaurer un pécule versé à 18 ans, destiné à soutenir les jeunes dans le financement de leurs études et leur entrée dans la vie active.
Une clarification nécessaire du régime des pensions alimentaires.
Enfin, si la loi prévoit que la pension alimentaire est versée, selon le cas, par l’un des parents à l’autre, ou à la personne à laquelle l’enfant a été confié, le versement de la pension alimentaire n’est pas systématiquement remis en question lors du placement de l’enfant. Dans certains cas, elle continue d’être perçue par le parent, même lorsque celui‑ci n’assume plus la garde effective de l’enfant.
Cette lacune crée des situations absurdes où la contribution financière du parent censé subvenir aux besoins de l’enfant ne bénéficie ni aux familles d’accueil, ni aux structures qui assurent son accompagnement. La proposition de loi prévoit donc que le juge reconsidère, lors du placement de l’enfant, les conditions de montant et de versement de la pension alimentaire.
Ainsi, la présente proposition de loi vise à réaffirmer un principe simple et de bon sens : les aides sociales destinées aux enfants doivent être perçues par ceux qui assument réellement leur prise en charge.
Cette réforme, attendue par les départements, est une réforme de bon sens car elle vise à garantir une allocation plus juste et plus efficace des ressources publiques. Elle mettra fin à des situations d’iniquité, renforcera la responsabilité des parents, et assurera que les aides profitent véritablement aux enfants qu’elles sont censées protéger.
L’article premier réforme le régime des allocations familiales en prévoyant que, lorsqu’un enfant est confié à un autre membre de la famille, à un tiers digne de confiance, ou à un service tel que le service départemental de l’aide sociale à l’enfance, les allocations familiales continuent d’être évaluées en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés. La part des allocations familiales dues à la famille pour cet enfant est versée à ce tiers afin de répondre à ses besoins matériels.
Toutefois, l’article prévoit que le juge pourra toujours décider, sur saisine du président du conseil départemental, de maintenir le versement des allocations à la famille, non plus lorsque celle‑ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant, mais seulement lorsqu’il est établi que le tiers auprès duquel l’enfant a été confié n’assure pas exclusivement la charge matérielle de l’enfant.
L’article 2 supprime le dispositif selon lequel l’allocation de rentrée scolaire pour un enfant placé est versée à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation. Cette allocation étant explicitement destinée à assurer les dépenses de scolarité des enfants, l’article propose à la place le versement de l’allocation de rentrée scolaire directement aux familles d’accueil ou aux structures responsables, afin qu’elle soit immédiatement mobilisable au bénéfice du bien‑être et de la scolarité de l’enfant.
L’article 3 précise le régime des pensions alimentaires en prévoyant d’une part que le juge instaure le versement d’une pension alimentaire à la personne auprès de laquelle l’enfant est confié, et d’autre part que les conditions de versement et de fixation d’une pension alimentaire existante sont réévaluées dans le cas du placement d’un enfant. Cette logique est également appliquée à l’allocation de soutien familial.
L’article 4 prévoit, de la même manière, que lorsque le revenu de solidarité active fait l’objet d’une majoration due à la présence au sein du foyer d’un ou plusieurs enfants, et qu’un ou plusieurs enfants sont confiés chez un tier, la part correspondant à ce ou ces enfants est directement versée à ce tiers.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Le quatrième alinéa de l’article L. 521‑2 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° La première phrase est ainsi modifiée :
a) Les mots : « service d’aide sociale à l’enfance » sont remplacés par les mots : « tiers visé au 2°, 3° ou 5° de l’article 375‑3 du code civil » ;
b) À la fin, les mots : « au service de l’aide sociale à l’enfance » sont supprimés ;
2° À la fin de la deuxième phrase, le mot : « service » est remplacé par le mot : « tiers » ;
3° La dernière phrase est ainsi modifiée :
a) Les mots « d’office ou » sont supprimés ;
b) À la fin, les mots : « lorsque celle‑ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer » sont remplacés par les mots : « dès lors qu’il est établi que le tiers auprès duquel l’enfant a été confié n’assure pas exclusivement la charge matérielle de l’enfant » ;
3° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Le mois durant lequel le placement est levé est dû à la famille afin de préparer le retour de l’enfant au foyer. »
Article 2
L’article L. 543‑3 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) À la fin de la première phrase, les mots : « à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation » sont remplacés par les mots : « au tiers auprès duquel l’enfant a été confié » ;
b) La seconde phrase est supprimée ;
2° Le dernier alinéa est supprimé.
Article 3
I. – Le I de l’article 373‑2‑2 du code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « À la suite d’une mesure prise en application des articles 375‑3 et 375‑5 ou de l’article L. 323‑1 du code de la justice pénale des mineurs, le juge prévoit le versement d’une pension alimentaire à la personne à laquelle l’enfant a été confié. »
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« À la suite d’une mesure prise en application des articles 375‑3 et 375‑5 ou de l’article L. 323‑1 du code de la justice pénale des mineurs, les modalités et les garanties de cette pension alimentaire sont réévaluées par l’un des titres mentionnés aux 1° à 6° afin de garantir que son versement se fait à la personne à laquelle l’enfant a été confié. »
II. – Le premier alinéa de l’article L. 523‑2 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : « À la suite d’une mesure prise en application des articles 375‑3 et 375‑5 ou de l’article L. 323‑1 du code de la justice pénale des mineurs, l’allocation de soutien familial est versée à la personne à laquelle l’enfant a été confié. »
Article 4
Après l’article L. 262‑19 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 262‑19‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 262‑19‑1. – La part de la majoration du revenu de solidarité due à la famille pour un enfant qui a fait l’objet d’une mesure prise en application des articles 375‑3 et 375‑5 ou de l’article L. 323‑1 du code de la justice pénale des mineurs est versée à la personne à laquelle l’enfant a été confié. »