N° 1633

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer l’encadrement des structures d’accueil de l’aide sociale à l’enfance,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sophie PANTEL, M. Joël AVIRAGNET, Mme Céline HERVIEU, Mme Chantal JOURDAN, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX,

députées et député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La protection de l’enfance constitue l’un des piliers fondamentaux de notre contrat social. Elle repose sur un principe simple mais absolu : garantir à chaque enfant, particulièrement lorsqu’il est en danger ou privé de la protection de ses parents, un environnement stable, protecteur et respectueux de ses droits fondamentaux.

Au cœur de ce dispositif, les assistants familiaux, Maisons d’enfants à caractère social (MECS) et les lieux de vie et d’accueil (LVA) jouent un rôle décisif. L’accueil de ces jeunes prend des formes différentes, mobilisées au bénéfice d’enfants ayant vécu des ruptures multiples, des violences, ou souffrant de troubles du comportement.

En 2022, 310 577 mineurs étaient suivis au titre de la protection de l’enfance en France (ONPE). Ce chiffre a été multiplié par 1,4 entre 1998 et 2022. Parmi eux, 55 % ont été accueillis en dehors de leur milieu de vie habituel. À ce titre, 24 % des enfants suivis, soit 74 700 enfants, étaient accueillis au sein de familles d’accueil, encadrées par environ 38 000 assistants familiaux agréés (DREES, 2023). Ces professionnels accueillent à leur domicile, souvent pour de longues durées, des enfants confiés par l’aide sociale à l’enfance (ASE), sur décision administrative ou judiciaire.

Néanmoins, l’accueil auprès d’assistants familiaux ne constitue plus aujourd’hui la forme principale d’accueil hors du milieu familial. L’accueil en établissement constitue désormais la réponse majoritaire pour l’accueil des mineurs, représentant 41 % des mineurs confiés à l’ASE. Parmi ces établissements, les LVA jouent un rôle grandissant, offrant environ 2 700 places en 2017.

Les lieux de vie et d’accueil – structures plus informelles, mais autorisées par les départements – accueillent des groupes restreints de jeunes, généralement dans un cadre rural ou semi‑collectif. Ces structures sont agréées par les Conseils départementaux et font intervenir des personnels de lieux de vie, appelés « permanents de lieux de vie » qui participent à des projets associatifs, familiaux ou indépendants.

Apparus en France à la fin des années 1960, ces établissements se sont développés en réaction aux limites des institutions traditionnelles, en privilégiant une approche moins institutionnalisée. À ce titre, ils font partie intégrante de l’action sociale et de la protection de l’enfance en France.

Ces structures bénéficient d’une plus grande flexibilité de leur statut, qui constitue sous formes juridiques diverses (associations, sociétés à responsabilité limitée, sociétés par actions simplifiées, travailleurs indépendants) des modalités d’accueil tout aussi diverses (cadre familial, en studios autonomes, formes semi‑collectives etc.).

Cependant, cette flexibilité statutaire rend plus complexe leur encadrement, aujourd’hui insuffisant. Dans son rapport d’enquête du 1er avril 2025, la Commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance signalait ainsi que les lieux de vie et d’accueil se multiplient sous des statuts juridiques hétérogènes, parfois proches d’organismes lucratifs. Moins réglementés que les structures relevant des établissements ou services médico‑sociaux (ESMS), le secteur fait de plus en plus appel à des intérimaires et s’implantent dans des zones rurales isolées, rendant les contrôles plus difficiles. Or, ces mêmes structures prennent en charge un nombre croissant d’enfants particulièrement aux profils vulnérables et complexes. Toutes ces caractéristiques justifient selon elle une attention particulière lors de leur contrôle.

Plusieurs défaillances structurelles sont ainsi aujourd’hui identifiées par les départements suite à plusieurs inspections, notamment de juridictions financières et observateurs du secteur. La commission d’enquête remarque notamment un certain nombre de problématiques relatives au suivi et au contrôle des individus impliqués dans l’aide sociale à l’enfance.

Pourtant le législateur a œuvré depuis plusieurs années à renforcer ce contrôle. Depuis la loi du 7 février 2022 dite « loi Taquet », des garanties renforcées existent concernant la vérification des antécédents judiciaires des professionnels intervenant auprès de mineurs. L’article L.133‑6 du code de l’action sociale et des familles prévoit notamment une interdiction d’exercice automatique en cas d’inscription au FIJAIS (fichier des auteurs d’infractions sexuelles). L’article L. 421‑3 du code de l’action social et des familles impose également la vérification des conditions d’accueil garantissant la sécurité, la santé et l’épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans lors de la procédure d’agrément des assistants familiaux et maternels.

Néanmoins, ces dispositions demeurent insuffisantes et ne prennent pas en compte toutes les défaillances. Les contrôles sont hétérogènes et ces vérifications ne permettent pas de détecter les professionnels sanctionnés administrativement sans condamnation pénale, ni ceux relevant d’infractions non inscrites au FIJAIS. La réforme proposée vise donc à compléter ce dispositif.

La commission d’enquête souligne également qu’il n’existe actuellement aucun outil national permettant de suivre les décisions d’agrément, de suspension ou de retrait concernant les assistants familiaux et les gestionnaires de lieux de vie. Ainsi, un professionnel suspendu pour maltraitance, négligence ou manquements graves peut solliciter un nouvel agrément dans un autre département, sans que les services compétents soient informés de ses antécédents

De plus, des rapports de l’Inspection générale des affaires sociales et de la Cour des comptes ont relevé des anomalies comptables, une opacité sur l’usage des fonds, voire des cas de gestion familiale ou associative dépourvue de toute séparation entre ressources personnelles et budgets liés à l’activité d’accueil.

Ce défaut de traçabilité inter‑départementale nuit gravement à la prévention des situations à risque et à l’uniformité de l’évaluation des candidatures. Il génère en outre une insécurité juridique pour les présidents de départements, à qui revient pourtant la responsabilité pleine et entière, y compris au pénal, du choix des professionnels accueillant les enfants confiés.

Ainsi, l’article 1er vise à élargir le fichier national, prévu à l’article 30 de la loi Taquet pour les assistants familiaux, aux gestionnaires des lieux de vie et d’accueil. Celui‑ci recensera les signalements des conseils départementaux en leur qualité d’autorité délivrant un agrément, ainsi que les manquements graves relatifs aux enfants et à la bonne gestion des lieux de vie et d’accueil.

L’article 2 prévoit également une obligation de certification annuelle des comptes par un expert‑comptable permettant d’assurer un minimum de contrôle de l’usage des fonds publics, sans alourdir excessivement la charge administrative des petites structures. L’article prévoit de surcroît la nomination d’un commissaire aux comptes pour tout lieu de vie et d’accueil.

L’article 3 entend préciser le nombre minimal d’équivalent temps plein qualifié de présence effective pour les permanents de lieux de vie et renvoie au pouvoir réglementaire pour les établir.

La loi impose un agrément et une autorisation pour accueillir des enfants dans le cadre de structures non‑institutionnelles, mais ne fixe aucune règle imposant un minimum de formation et de qualifications pour le taux d’encadrement. En effet, l’article 1er du décret n° 2004‑1444 du 23 décembre 2004 définit le taux d’encadrement minimal des LVA, mais ne précise pas le nombre minimal d’équivalent temps plein qualifié présent. Certains lieux de vie accueillent des enfants avec des profils très lourds sans que leurs encadrants ne soient diplômés dans le champ social, éducatif ou psychologique.

Ces failles peuvent créer un risque pour la sécurité des enfants accueillis, une perte de confiance des professionnels et un déficit de pilotage par les pouvoirs publics. Les mesures proposées dans ce texte visent à y répondre par des ajustements ciblés et juridiquement fondés.

Pour finir, l’article 4 assure la stabilité financière de la présente proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 421‑7‑1 du code de l’action sociale et des familles est ainsi rédigé :

« I. – Le groupement d’intérêt public mentionné à l’article L. 147‑14 gère une base nationale de données à caractère personnel dénommé “fichier national de l’accueil social”, ayant pour finalité de permettre aux services compétents chargés de l’agrément, du renouvellement, du suivi ou du retrait d’agrément des assistants familiaux et gestionnaires de lieux de vie et d’accueil dès lors qu’ils accueillent ou hébergent des mineurs d’accéder à des éléments d’information pertinents relatifs à la qualité de l’accueil proposé par ces professionnels.

« II. – Il contient les données suivantes :

« 1° Les données d’identification suivantes :

« – l’identité de l’assistant familial et du gestionnaire de vie (nom, prénom, date de naissance, domicile, sexe) ;

« – les coordonnées professionnelles (adresse d’exercice, numéro d’agrément) ;

« – l’historique des agréments obtenus, suspendus ou retirés, incluant les dates et les autorités décisionnaires ;

« 2° Des données relatives aux manquements :

« – tout manquement constaté par les autorités compétentes relatif à la prise en charge de personnes mineures ;

« – tout manquement constaté par les autorités compétentes relatif à la gestion financière et administrative des lieux de vie et d’accueil ;

« – les condamnations pénales définitives pour des crimes ou délits portant atteinte à l’intégrité physique, psychique ou morale d’autrui ;

« – les condamnations pénales définitives pour des infractions en lien avec une mauvaise gestion ou une mise en danger de personnes accueillies dans le cadre de l’exercice professionnel, notamment en matière de sécurité, de santé ou de protection de l’enfance ;

« III. – Toute mention de manquement ne peut être intégrée au traitement sans une procédure contradictoire permettant à l’assistant maternel ou le permanent responsable des lieux de vie et d’accueil d’en être informé, d’accéder aux éléments retenus et de faire valoir ses observations. Le traitement ne peut être rendu visible aux destinataires qu’après cette étape.

« IV. – Les données sont conservées pour une durée maximale de quinze années à compter de la fin de l’activité professionnelle.

« V. – Les destinataires de ces données sont, dans la stricte mesure de leurs attributions et selon des modalités sécurisées :

« – les agents des services de protection maternelle et infantile au sens de l’article L. 2112‑1 du code de la santé publique ;

« – le président du conseil départemental et les agents des conseils départementaux chargés des décisions relatives aux agréments ;

« – toute autre autorité de contrôle ou d’inspection en matière de protection de l’enfance.

« VI. – Les personnes concernées disposent d’un droit d’accès, de rectification et de limitation des données les concernant, dans les conditions prévues par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) et la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Le droit d’opposition prévu à l’article 21 du règlement (UE) 2016/679 ne s’applique pas au présent traitement.

« VII. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés précise les modalités d’application du présent article, notamment :

« – les conditions d’habilitation et d’accès des agents autorisés ;

« – les modalités d’exercice des droits des personnes concernées. ».

Article 2

Après l’article L. 313‑13‑3 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 313‑13‑4 ainsi rédigé :

« Art. L. 313134. – I. – Tout lieu de vie et d’accueil qu’il soit un établissement et service social ou médico‑social au sens du I de l’article L. 312‑1 du code de l’action sociale et des familles ou non, quel que soit son statut juridique, est tenu de faire appel à un expert‑comptable inscrit au tableau de l’Ordre pour la tenue, le contrôle et la certification annuelle de ses comptes. 

« II. – L’expert‑comptable a pour mission :

« – d’assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l’établissement au regard des normes comptables en vigueur ;

« – d’alerter, le cas échéant, le conseil départemental en cas d’anomalie grave ou de gestion susceptible de compromettre la pérennité financière de la structure.

« III. – Le non‑respect de cette obligation expose la structure à :

« – une suspension ou un retrait d’autorisation d’exercice ;

« – une exclusion temporaire ou définitive de tout financement public ou subvention ;

« – des sanctions administratives ou pénales prévues par les textes en vigueur.

« IV. – Chaque lieu de vie et d’accueil, indépendamment de son statut juridique et de la nature de ses revenus, a l’obligation de nommer un commissaire aux comptes. »

Article 3

L’article L. 312‑1 du code de l’action sociale et des familles est complété par un VIII ainsi rédigé :

« VIII. – Les lieux de vie et d’accueil qui accueillent ou hébergent des mineurs respectent une présence minimum de professionnels diplômés des formations du travail social. Le nombre d’équivalent temps plein, leur effectif et leur profession sont fixés par décret en Conseil d’État. ».

Article 4

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services

III. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.