N° 1706
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE LOI
instituant un mécanisme de saisie des avoirs souverains étrangers gelés en réponse aux violations du droit international,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Laurent MAZAURY, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Thierry SOTHER, Mme Constance LE GRIP, M. Laurent PANIFOUS, M. Joël BRUNEAU, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Michel CASTELLANI, M. Jean-Didier BERGER, M. Paul MOLAC, M. Frédéric PETIT, Mme Anne-Sophie RONCERET, M. Stéphane VIRY, Mme Estelle YOUSSOUFFA, M. Jean-Pierre BATAILLE, M. Harold HUWART, M. Stéphane LENORMAND,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans un contexte géopolitique instable où les violations du droit international deviennent courantes, il est nécessaire de pouvoir trouver de nouveaux leviers de financement ou de négociation afin d’aider et d’accompagner les pays agressés dans leur reconstruction.
La présente proposition de loi entend donc modifier le code monétaire et financier afin d’ouvrir la possibilité d’utiliser les actifs qui sont gelés en France. Ces sommes, parfois considérables, pourraient être d’un grand soutien pour les pays agressés, à la fois pour leur reconstruction, les réparations nécessaires et l’indemnisation essentielle des victimes, mais également un élément supplémentaire qui pourrait être employé dans le cadre de leurs négociations avec les pays agresseurs.
Différentes demandes ont déjà été formulées sur le sujet dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Dans une lettre ouverte publiée en mars dernier, 140 Prix Nobel, toutes disciplines confondues, demandaient aux gouvernements détenteurs d’actifs gelés « de débloquer ces fonds de la Banque centrale de Russie pour financer la reconstruction de l’Ukraine et l’indemnisation des victimes de la guerre afin que le pays puisse être rapidement reconstruit après la conclusion d’un accord de paix. »
L’Assemblée nationale s’est prononcée sur ce sujet lors du vote de la proposition de résolution européenne appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine le 12 mars dernier, laquelle « exhorte l’Union européenne et ses États membres à procéder sans délai à la saisie des avoirs russes gelés et immobilisés ainsi qu’à l’affectation intégrale des intérêts qu’ils génèrent, afin de financer le soutien militaire à l’Ukraine dans sa résistance ainsi que sa reconstruction et d’assurer la sécurité du continent face aux menaces extérieures. ([1]) »
Le Parlement européen, le 12 mars dernier également, a, par une résolution adoptée en session plénière, réaffirmé « sa ferme conviction que la Russie doit payer pour les dommages considérables qu’elle a causés en Ukraine et demande donc la confiscation des avoirs souverains russes immobilisés au titre des sanctions de l’Union pour soutenir la défense et la reconstruction de l’Ukraine. ([2]) »
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a votée en 2024 la résolution 2556, qui « considère que la saisie et la réaffectation des avoirs de l’État russe, actuellement gelés par les États membres et non membres du Conseil de l’Europe, constitueraient des contre‑mesures légales en vertu du droit international à l’égard de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, qui constitue une violation manifeste d’une obligation erga omnes. » Par ailleurs, l’Assemblée parlementaire se félicite que certains États, comme les États‑Unis, aient déjà adopté une législation en ce sens, et « demande instamment aux États membres et à tout autre État d’adopter des mesures similaires au niveau national ([3]) ».
En effet, depuis 2024, le président des États‑Unis dispose de la possibilité de saisir les actifs russes et de les transférer à un fonds de soutien à l’Ukraine ([4]). Les États‑Unis avaient par ailleurs déjà utilisé des actifs gelés contre l’Iran et l’Afghanistan. La loi canadienne prévoit que par décret ([5]), le gouverneur en conseil peut faire saisir ou bloquer tout bien qui se trouve au Canada et qui appartient à un État étranger et qui serait responsable d’un des faits exposés dans la loi, l’un des faits étant une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales.
En Europe, l’Estonie a également voté en 2023 une loi ([6]) la dotant d’un mécanisme lui permettant de confisquer les avoirs gelés.
La loi américaine est justifiée par le principe des contre‑mesures. Elle indique qu’en vertu du droit international, un pays responsable d’un fait internationalement illicite est tenu de réparer le préjudice causé si celui‑ci ne peut être réparé par restitution. Aussi, elle explique que la Fédération de Russie a la responsabilité d’indemniser l’Ukraine et, en raison de cette grave violation du droit international, tous les États sont légalement habilités à prendre des contre‑mesures proportionnées et visant à inciter la Fédération de Russie à se conformer à ses obligations internationales, y compris des contre‑mesures suspendant les obligations internationales ordinaires envers la Fédération de Russie, afin de contribuer à faire respecter l’obligation de la Fédération de Russie d’indemniser l’Ukraine.
En effet, plus généralement, le statut de la Cour internationale de justice précise, par son article 38, que la Cour applique « la coutume comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit ». Aussi, la coutume internationale a été rassemblée dans un document appelé « La responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite » ([7]), document adopté par la Commission du droit international des Nations unies en 2001, puis soumis à l’Assemblée générale des Nations unies qui l’a annexé à sa résolution adoptée le 12 décembre 2001 ([8]).
L’article 22 de ce document indique donc que « L’illicéité du fait d’un État non conforme à l’une de ses obligations internationales à l’égard d’un autre État est exclue si, et dans la mesure où, ce fait constitue une contre‑mesure prise à l’encontre de cet autre État conformément au chapitre II de la troisième partie. » Les différentes modalités concernant les contre‑mesures sont décrites dans les articles 49 à 53. Par ailleurs, l’article 31 de ce document indique que » l’État responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite », et que « le préjudice comprend tout dommage, tant matériel que moral, résultant du fait internationalement illicite de l’État. »
Cette proposition de loi se base donc sur le principe des contre‑mesures.
Si cette proposition de loi se fonde sur les différentes demandes exprimées dans le cas particulier de la guerre en Ukraine, elle n’a pas pour objectif de ne toucher qu’aux actifs gelés de la Russie. Aussi, elle se veut plus large et ouvrir la possibilité d’utiliser les actifs gelés de tous les pays qui auraient des actifs gelés en vertu de décisions prises à cet effet, et violeraient gravement le droit international, notamment en employant la force, en violation de la Charte des Nations Unies.
Aujourd’hui, l’article 153‑1 du code monétaire et financier prévoit que les biens de toute nature, notamment les avoirs de réserves de change, que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l’État ou des États étrangers dont elles relèvent ne peuvent être saisis.
L’article unique de la présente proposition de loi vise à déroger à cette règle quand il s’agit de biens gelés (à l’exception de ceux affectés à l’usage officiel de missions diplomatiques ou consulaires reconnues par la France). Elle donne la possibilité au Gouvernement de saisir ces biens par décret en Conseil des ministres. La mise en œuvre de cette saisie devra être réalisée en vertu d’une ordonnance d’une juridiction compétente, qui devra vérifier que certaines conditions sont réunies. Pour être saisis, il est prévu que les biens doivent être gelés, et que l’État ou l’entité dont relève la banque centrale ou les autorités monétaires étrangères visées ait commis une violation grave des règles du droit international, notamment l’emploi de la force au sens du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations unies. Cette violation grave doit être reconnue par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Afin de recueillir les biens saisis, la présente proposition de loi prévoit la création d’un fonds spécifique, géré par l’ Agence française de développement (AFD), qui permettra d’isoler ces recettes exceptionnelles et non fiscales du budget général de l’État en les consacrant intégralement au financement d’actions de reconstruction, de réparation ou d’indemnisation. Il offre ainsi une sécurité juridique, une traçabilité budgétaire renforcée et un cadre conforme aux principes de solidarité internationale qui sous‑tendent cette initiative.
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proposition de loi
Article unique
I. – Le chapitre III du titre V du livre Ier du code monétaire et financier est complété par un article L. 153‑2 ainsi rédigé :
« Art. L. 153‑2. – Par dérogation à l’article L.153‑1, la saisie des biens, à l’exception de ceux affectés à l’usage officiel de missions diplomatiques ou consulaires reconnues par la France, peut être décidée par décret en Conseil des ministres.
« La saisie ne peut être mise en œuvre qu’en vertu d’une ordonnance rendue par une juridiction désignée à cet effet par décret en Conseil d’État et saisie par l’autorité administrative compétente lorsque les conditions suivantes sont réunies :
« 1° Les biens sont gelés en application d’au moins un de ces fondements :
« a) Une résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies ;
« b) Un règlement ou une décision de l’Union européenne pris, notamment, en application des articles 75 ou 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
« c) Une sanction nationale prise par la France en exécution d’un engagement international souscrit par la France ;
« d) Une mesure de gel prise par la France en réaction à une agression armée, à un conflit armé ou à une atteinte grave à sa sécurité nationale imputable à l’État ou l’entité concerné.
« 2° L’État ou l’entité dont relève la banque centrale ou les autorités monétaires étrangères a commis une violation grave des règles du droit international relatives aux conflits armés, aux droits de l’homme ou à la protection des populations civiles, notamment l’emploi de la force au sens du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, et reconnue comme telle par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies. »
II. – Un fonds géré par l’Agence française de développement reçoit les produits issus des saisies autorisées en application du présent article. Ce fonds finance des actions de reconstruction, de réparation ou d’indemnisation des victimes des violations mentionnées au 2° du I du présent article.
III. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.
([1]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17t0070_texte-adopte-seance
([6]) https://www.riigikogu.ee/wpcms/wp-content/uploads/2024/05/Rahvusvahelise-sanktsiooni-seaduse-muutmine-p-46.pdf
([7]) « Du gel à la confiscation des avoirs de la Fédération de Russie – Regard des institutions européennes et proposition de contre-mesure fondée sur le droit international coutumier », Martine Jodeau, Revue de l’Union Européenne n°677, 2024, pages 209-214.