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N° 1716

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.

PROPOSITION DE LOI

portant instauration d’un régime d’ordre public des baux professionnels et diversification de l’offre locative,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Frédéric-Pierre VOS, M. Franck ALLISIO, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Christophe BENTZ, M. Guillaume BIGOT, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Matthieu BLOCH, Mme Manon BOUQUIN, M. Jérôme BUISSON, M. Eddy CASTERMAN, M. Marc CHAVENT, Mme Sandra DELANNOY, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Alexandre DUFOSSET, M. Frédéric FALCON, M. Julien GABARRON, Mme Stéphanie GALZY, M. Jonathan GERY, M. Frank GILETTI, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, M. Julien GUIBERT, M. Michel GUINIOT, Mme Marine HAMELET, M. Sébastien HUMBERT, M. Alexis JOLLY, Mme Sylvie JOSSERAND, M. Robert LE BOURGEOIS, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Nadine LECHON, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, M. Julien LIMONGI, M. René LIORET, M. Alexandre LOUBET, M. Matthieu MARCHIO, M. Patrice MARTIN, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Yaël MÉNACHÉ, M. Pierre MEURIN, M. Maxime MICHELET, M. Éric MICHOUX, M. Thibaut MONNIER, Mme Louise MOREL, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Matthias RENAULT, Mme Catherine RIMBERT, M. Joseph RIVIÈRE, Mme Anne SICARD, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Michaël TAVERNE, M. Thierry TESSON,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans les grandes zones urbaines, les entreprises et les professions libérales indépendantes exercent leur activité soit dans des d’immeubles de bureaux dédiés soit dans des immeubles d’habitation dont une partie est affectée à une activité de bureau.

Ces locaux sont majoritairement occupés en location, dont le loyer constitue une charge fixe déterminante pour la rentabilité et l’emploi. Ils peuvent en théorie conclure un bail professionnel régit par les articles 57 A et 57 B de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986 prévus pour les entreprises ou professions libérales. Mais l’expérience démontre que les baux conclus, souvent par le biais d’intermédiaires, ne sont pas des baux professionnels, mais des baux commerciaux.

La loi offre en effet l’option aux professionnels de conclure un bail commercial, quand bien même ils ne sont pas commerçants (C. Com. Art. L. 145‑2).

Cette option s’explique en partie par la sécurité juridique offerte par le statut des baux commerciaux, bien encadré par le Code de commerce (article L.145‑1 à L145‑60). À l’inverse, le bail professionnel, régi par seulement deux articles de la loi de 1986, apparaît trop succinct et laisse une place excessive à la liberté contractuelle, au détriment de la protection des parties.

Ensuite, les propriétaires voient souvent dans le bail commercial une garantie que le preneur demeurera dans les lieux. Le preneur ne peut résilier avant trois ans et a une obligation de préavis de six mois, sans quoi le bail est renouvelé pour trois ans.

En théorie, ces contraintes sont largement compensées par un droit du preneur au renouvellement du bail, garantissant qu’il ne pourra être congédié avant 9 ans, et moyennant une indemnité d’éviction correspondant à la valeur du fonds, laquelle correspond pour beaucoup à ce que l’emplacement apporte de clientèle.

Mais cette garantie présente peu d’intérêt pour les professions libérales – avocats, médecins, architectes – dont la clientèle est peu valorisée puisqu’avant tout attachée à la personne et non à la situation géographique des lieux loués.

Une situation qui peut mener certains professionnels à des difficultés financières graves lorsque, leurs revenus baissant, ils restent tenus de verser le loyer pendant plusieurs années encore.

Les loyers futurs et l’éventuelle dette locative grevant trop lourdement le bilan du preneur, la procédure collective  voire la liquidation  devient alors le seul moyen de sortir d’une relation contractuelle, qui est en grande partie à l’origine du problème.

Autrement, ce dernier doit négocier avec son bailleur en position de faiblesse et donc à son détriment.

Ainsi, si l’option peut se justifier pour certains types d’activités dans un but de protection, ce n’est pas le cas des locaux affectés à une des activités professionnelles visés par le 7° de l’article L142‑2 du Code de commerce.

En parallèle, la rareté des surfaces disponibles et l’impossibilité pour les bailleurs de récupérer facilement leurs locaux aggravent la crise du marché et maintiennent les loyers élevés.

Ce mélange des régimes crée aussi une insécurité juridique, qu’illustrent les subtilités jurisprudentielles, notamment à propos des droits des non‑commerçants bénéficiant d’un bail commercial (comme l’indemnité d’éviction) ([1]).

Il devient donc crucial de mettre fin à cette fausse option, source de complexité, d’appauvrissement des professionnels et de blocage d’un marché déjà saturé en créant un statut spécifique et équilibré pour les baux professionnels, garantissant une protection minimale pour les deux parties, tout en favorisant la fluidité du marché.

Il en ressortira une plus grande souplesse du marché, le changement de locaux étant plus facile et rapide. De cette meilleure fluidité du marché découlera aussi une plus grande disponibilité des surfaces amenant à une baisse des prix, y compris dans les zones tendues.

L’investissement et l’emploi en seront favorisés, renforçant la santé financière du tissu économique des professions libérales et des petites entreprises.

Par ailleurs, l’installation de bureaux, à condition qu’elle n’entraîne pas la disparition des habitations, contribue à donner vie aux centres‑villes. Elle permet aux employés de vivre près de leur travail et apporte aux commerces, en particulier de bouche, une plus vaste clientèle, limitant de ce fait l’étalement urbain.

Parallèlement, la demande locative d’habitation est de plus en plus forte et la fluidification du marché de bureau doit donc se faire en accord avec une politique de diversification du logement.

La présente proposition de loi poursuit donc un double objectif.

D’abord, elle tend à renforcer la sécurité juridique et la cohérence du droit en mettant fin à l’application du statut des baux commerciaux à des situations auxquelles il n’a pas vocation à s’appliquer et en imposant une protection minimale du preneur dans le cadre des baux professionnels.

Ensuite, elle favorise la création de logements dans les centres‑villes par les propriétaires de locaux de bureaux dans les immeubles conçus pour l’habitation.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre V du titre IV du livre Ier du code de commerce est ainsi modifié :

1° Le 7° du I de l’article L. 145‑2 est abrogé ;

2° L’article L. 145‑8 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Si, au renouvellement du bail, le local ne remplit plus les conditions mentionnées aux articles L. 145‑1 et L. 145‑2, le bail renouvelé est requalifié, en fonction de l’usage du local, de bail d’habitation ou de bail professionnel. Il n’est plus soumis aux dispositions du présent chapitre. »

Article 2

La loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière est ainsi modifiée :

1° Le titre Ier est complété par un chapitre IX ainsi rédigé :

« Chapitre IX

« Statut du bail professionnel

« Art. 611. – I. – Les dispositions du présent chapitre s’appliquent aux contrats de location par lesquels un bailleur donne à bail un local affecté à un usage exclusivement professionnel ou dont la moitié au moins de la surface, hors dépendances et annexes, est affectée à une activité professionnelle.

« II. – Le preneur a l’obligation d’informer le bailleur de tout changement d’usage du local. Si, en cours de bail, la part de la surface affectée à l’activité professionnelle devient inférieure à la moitié de la surface louée, le bail est résolu de plein droit à l’issue d’une durée qui ne peut dépasser six mois à compter de la date de ce changement.

« III. – Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public.

« Art. 612. – Le bail professionnel est conclu pour une durée de trois ans. Il peut être tacitement reconduit si le contrat le stipule.

« Le cas échéant, les modalités de renouvellement et d’indexation du bail sont déterminées par le contrat.

« Le loyer ne peut être indexé avant le premier renouvellement du bail.

« Art. 613. – I. – 1° Le bailleur ne peut donner congé au cours du bail si celui‑ci n’a jamais été renouvelé ou tacitement reconduit. Après renouvellement ou tacite reconduction, il ne peut donner congé que pour un motif légitime et en respectant un délai de préavis d’un an.

« 2° Le preneur peut donner congé en respectant un délai de préavis de six mois.

« 3° Dans les cas mentionnés au 1° et au 2°, le congé doit être donné par acte extrajudiciaire.

« II. – En cas de risque avéré pour la sécurité des personnes lié à un défaut d’entretien dont la responsabilité incombe au bailleur, celui‑ci est tenu de réaliser les travaux nécessaires et de reloger le preneur jusqu’à la fin des travaux.

« À défaut, il lui verse une indemnité réparant le trouble subi, à dire d’expert si aucun accord n’est trouvé entre les parties.

« Art. 614. – L’état des lieux est établi par un commissaire de justice, sur l’initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire.

« Art. 615. – Si le preneur n’est pas intégralement à jour de ses obligations de paiement du loyer pendant deux mois consécutifs, le bail est résolu de plein droit un mois après un commandement de payer resté infructueux.

« Lorsqu’un délai de grâce est accordé par le juge par application de l’article L412‑3 du code des procédures civiles d’exécution, la résolution de plein droit est acquise dès le premier défaut de paiement intégral du loyer courant ou des échéances de la dette locative fixée par le jugement.

« Art. 616. – Le preneur n’est tenu que des charges mentionnées à l’article 605 du code civil et des charges de copropriété récupérables.

« Les dépenses exposées par le preneur pour l’amélioration du bien ne lui sont remboursables que si elles ont reçu l’accord du bailleur.

« Art. 617. – Lorsqu’une action est intentée au fond relativement aux présentes dispositions, il est statué selon la procédure accélérée au fond prévue au premier alinéa de l’article 839 du code de procédure civile. »

2° Les articles 57 A et 57 B sont abrogés.

Article 3

I. – L’article 140 de la loi n° 2018‑1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique n’est pas applicable aux baux d’habitation conclus, renouvelés ou tacitement reconduits au cours d’une période de six ans après la fin d’un bail commercial ou d’un bail professionnel ayant le même local pour objet.

II. – Les articles 159 et 160 de la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ne sont pas applicables aux baux d’habitation conclus, renouvelés ou tacitement reconduits au cours d’une période de six ans après la fin d’un bail commercial ou d’un bail professionnel ayant le même local pour objet.

Article 4

Après l’article 61‑7 de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière, il est inséré un article 61‑8 ainsi rédigé :

« Art. 618. – Aucun bail professionnel ne peut être conclu ni renouvelé dans un immeuble collectif situé dans une zone mentionnée à l’article 18 de la loi n° 89‑492 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et situé sous le régime de la monopropriété si trente pour cent au moins de la surface des locaux de l’immeuble ne sont affectés à un usage d’habitation au sens de l’article L. 631‑7 du code de la construction et de l’habitation, dans la mesure où cet usage est compatible avec la destination du bâtiment ».

 

 


([1]) Concernant le droit au renouvellement et donc à l’indemnité d’éviction, par exemple, les juges exigent l’expression d’une volonté claire des parties (Civ. 3e, 18 janv. 2005, n° 03-19.473), mais cette volonté peut être tacite (Civ. 3e, 10 juill. 2007, n° 05-21.268), ce qui laisse une part pour le moins large à l’interprétation.