N° 1720

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.

PROPOSITION DE LOI

portant diverses mesures visant à favoriser l’écoute professionnelle,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane VIRY, M. Dominique POTIER,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

D’octobre 2023 à mars 2024, à l’initiative de Madame Astrid Panosyan‑Bouvet, trois députés issus de trois partis politiques différents, ont créé « Travail en Commun ! » un groupe de réflexion transpartisan sur les grandes mutations du monde du travail. Ils ont auditionné, avec la quarantaine de députés de ce groupe de réflexion, une vingtaine d’interlocuteurs de tous horizons : chercheurs, chefs d’entreprise, syndicalistes, responsables de ressources humaines, avocats en droit du travail, etc.

Cette proposition de loi est aujourd’hui cosignée par deux des trois députés à l’origine du groupe de travail « Travail en Commun ! », le troisième membre, Madame Astrid Panosyan Bouvet, ayant été nommée ministre du travail avant son dépôt. Si elle ne peut plus être cosignataire en raison de ses nouvelles fonctions, Madame Panosyan Bouvet a joué un rôle clé dans l’élaboration de ce texte. Par ce dépôt, nous affirmons notre volonté de prolonger et de faire vivre cette initiative législative, qui demeure plus que jamais d’actualité face aux profondes transformations du monde du travail.

Loin du cliché récurrent de l’« épidémie de flemme », ces différentes auditions ont rappelé tout d’abord la centralité du travail dans la vie de chacun, qu’il soit salarié, fonctionnaire ou indépendant. Elles ont montré combien le travail, dans sa dimension subjective intime et collective, contribue à l’estime de soi et au lien social, qu’il est critique pour offrir à chacun la possibilité de construire une vie décente et de se projeter dans un avenir meilleur qu’aujourd’hui et à quel point ce n’est malheureusement pas toujours le cas aujourd’hui. Ces auditions ont également souligné qu’une meilleure compréhension du monde du travail actuel implique nécessairement une réflexion sur les profonds impacts des transformations climatiques et technologiques sur l’outil productif, les nouveaux métiers et compétences requises ou l’évolution des environnements de travail.

En dépit de la diversité des intervenants, un « fil rouge » s’est nettement dégagé : celui du besoin d’écoute et de dialogue au sein de l’entreprise. Il rejoint les conclusions des Assises du Travail sur la « Reconsidération du travail » et le rapport des garants de ces Assises, Sophie Thiéry et Jean‑Dominique Senard, ainsi que les conclusions des différentes études du Centre de recherches politiques de Sciences Po:

– Les travailleurs sont demandeurs de sens et de cohérence entre leur activité, le fruit de leur travail et l’impact plus large de leur entreprise. Ils sont aussi demandeurs d’une autonomie accrue dans leur travail, de responsabilisation et de reconnaissance de leur expertise dans une culture managériale française encore marquée par la verticalité et le contrôle – à l’inverse des pays nordiques, anglo‑saxons ou de tradition de compromis social‑démocrate dans lesquels le taux de syndicalisation est significativement plus haut qu’en France ;

– Les directions d’entreprise, si elles valorisent la fluidité portée par la simplification des instances sociales apportées par les ordonnances de 2017, font aussi état d’un dialogue de proximité moins en prise avec les réalités de terrain, dans un contexte où les sujets relatifs aux conditions de travail, aux questions de santé et de sécurité mais aussi d’engagement des salariés restent toujours présents. Au sein des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, la représentation des salariés est souvent limitée et le dialogue social, quand il a lieu, se fait principalement à l’échelle de la branche, éloignée des réalités quotidiennes des travailleurs. Dans les grandes entreprises, malgré une structure de dialogue social plus formalisée par une présence accrue des organisations syndicales et une fonction des Ressources Humaines plus développées, les échanges manquent parfois de fluidité et d’efficacité. Par ailleurs, malgré les avancées de la loi Pacte de 2019, la France reste encore derrière près de la moitié des pays de l’Union européenne en termes de place accordée aux salariés dans les organes de d’administration et de surveillance des entreprises. La contribution des employés aux décisions stratégiques de l’entreprise reste ainsi souvent marginale.

Cette proposition de loi transpartisane vise donc à renforcer l’écoute professionnelle et le dialogue social à la fois « par le haut » et « par le bas » au sein des entreprises :

– En abaissant le seuil qui rend obligatoire la présence d’administrateurs salariés au sein des conseils d’administration et des conseils de surveillance des entreprises pour les rendre plus convergents avec les pratiques européennes et les mettre en cohérence avec les seuils imposés par la loi Copé‑Zimmerman et s’appuyer sur les critères des ETI ;

– En rendant obligatoire, la participation de ces mêmes administrateurs salariés aux comités qui contribuent à l’activité des conseils d’administration et de surveillance et notamment, conformément aux bonnes pratiques recommandées par le code « AFEP‑MEDEF »([1]), au comité de rémunération ;

– En introduisant, d’après les recommandations des Assises du Travail, le principe d’écoute du salarié et en renforçant le droit d’expression directe et collective afin de favoriser le dialogue social en proximité des situations de travail.

Elle permettra de rapprocher la réalité de l’intention de l’article 8 du Préambule de la Constitution de 1946 qui stipule déjà que « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

Les lois Auroux de 1982 instituent un « droit d’expression du salarié directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail » (article L. 2281‑1 du code du travail). L’expression est directe car chaque salarié peut s’exprimer directement sans passer par le canal des représentants du personnel et ce quelle que soit sa place dans l’entreprise et, collective car chacun peut s’exprimer en tant que membre d’une unité élémentaire de travail et pas de manière individuelle. Alors que ce droit existe depuis plus de 40 ans, qu’il constitue un thème de négociation du dialogue social, il est peu exercé par les salariés au sein des entreprises, et ce notamment en raison du manque de clarification quant à sa périodicité et au rôle joué par les représentants syndicaux dans ses modalités d’exercice. Aussi l’article 1er vise à ajouter, parmi les modalités d’exercice du droit d’expression définies dans le cadre de la négociation portant sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie et des conditions de travail, la périodicité et l’association des représentants syndicaux à l’exercice de ce droit.

L’article 2 instaure le principe d’écoute du salarié comme 10e principe parmi les principes généraux de prévention que doit respecter l’employeur, reprenant en ce sens l’une des recommandations du rapport Thiéry‑Senard, tout en précisant que le principe d’écoute est une déclinaison du droit d’expression.

Les articles 3 et 4 prévoient l’abaissement du seuil qui rend obligatoire la présence d’administrateurs salariés au sein des conseils d’administration et des conseils de surveillance des entreprises pour les rendre plus convergents avec les pratiques européennes et les mettre en cohérence avec les seuils imposés par la loi Copé‑Zimmerman et les critères définissant les entreprises de taille intermédiaire.

Enfin, l’article 5 instaure l’obligation de présence des administrateurs salariés dans les comités d’administration et de surveillance lorsqu’ils existent et notamment dans celui en charge des rémunérations.

 

 


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proposition de loi

Article 1er

À l’article L. 2281‑5 du code du travail, après le mot : « expression », sont insérés les mots : « parmi lesquelles la périodicité et la manière dont les représentants syndicaux y sont associés ».

Article 2

L’article L. 4121‑2 du code du travail est complété par un 10° ainsi rédigé :

« 10° Écouter les salariés, notamment dans le cadre de leur droit à l’expression directe et collective défini à l’article L. 2281‑1, sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales. »

Article 3

La sous‑section 1 de la section 2 du chapitre V du titre II du livre II du code de commerce est ainsi modifiée :

1° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 225‑23, les mots : « de deux exercices consécutifs au moins mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger » sont remplacés par les mots : « un nombre moyen d’au moins deux cent cinquante salariés permanents ou présentant un montant net de chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros ou un total de bilan de plus de 43 millions d’euros » ;

2° Au premier alinéa du II de l’article L. 225‑27‑1 , les mots : « de deux exercices consécutifs, au moins mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger » sont remplacés par les mots : « un nombre moyen d’au moins deux cent cinquante salariés permanents ou présentant un montant net de chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros ou un total de bilan de plus de 43 millions d’euros ».

Article 4

La sous‑section 2 de la section 2 du chapitre V du titre II du livre II du code de commerce est ainsi modifiée :

1° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 225‑71, les mots : « de deux exercices consécutifs au moins mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger » sont remplacés par les mots : « un nombre moyen d’au moins deux cent cinquante salariés permanents ou présentant un montant net de chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros ou un total de bilan de plus de 43 millions d’euros » ;

2° Au premier alinéa du I de l’article L. 225‑79‑2 , les mots : « de deux exercices consécutifs, au moins mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger » sont remplacés par les mots : « un nombre moyen d’au moins deux cent cinquante salariés permanents ou présentant un montant net de chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros ou un total de bilan de plus de 43 millions d’euros ».

Article 5

La section 2 du chapitre V du titre II du livre II du code de commerce est ainsi modifiée :

1° La sous‑section 1 est complétée par un article L. 225‑56‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 225561.  Le conseil d’administration peut décider la création de comités chargés d’étudier les questions que lui‑même ou son président soumet, pour avis, à leur examen. Il fixe la composition et les attributions des comités qui exercent leur activité sous sa responsabilité. Les administrateurs représentant les salariés doivent en faire partie en fonction de leurs appétences et de leurs compétences. Au moins un administrateur représentant les salariés doit être membre du comité en charge des rémunérations. » ;

2° La sous‑section 2 est complétée par un article L. 225‑93‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 225931. – Le comité de surveillance peut décider la création en son sein de commissions dont il fixe la composition et les attributions et qui exercent leur activité sous sa responsabilité, sans que ces attributions puissent avoir pour objet de déléguer à une commission les pouvoirs qui sont attribués au conseil de surveillance lui‑même par la loi ou les statuts ni pour effet de réduire ou de limiter les pouvoirs du directoire. Les administrateurs représentant les salariés doivent en faire partie en fonction de leurs appétences et de leurs compétences. Au moins un administrateur représentant les salariés doit être membre du comité en charge des rémunérations. »

 

 


([1]) Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, AFEP-MEDEF, janvier 2020, article 18.1.