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N° 1741
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à établir une taxe sur l’utilisation des jets privés,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Mickaël BOULOUX, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Laurent BAUMEL, M. Karim BENBRAHIM, M. Philippe BRUN, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Guillaume GAROT, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Valérie ROSSI, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Fabrice ROUSSEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Incendies, canicules, sécheresses, inondations, fonte des glaces, disparitions d'espèces animales et végétales : les conséquences du dérèglement climatique s’accélèrent et, paradoxalement, alors que la population est incitée à réduire son empreinte carbone, le recours aux jets privés, particulièrement polluants pour l'environnement, ne cesse de se développer.
Ce constat est largement partagé par le milieu scientifique et la revue « Communications Earth & Environment », qui est affiliée au magazine « Nature » ([1]), a publié le 7 novembre 2024 une étude qui relève que les émissions de CO2 des jets privés – avec 18,7 millions de vols recensés entre 2019 et 2023 – ont bondi de 46 % en seulement cinq ans. L’étude explique cette augmentation à la fois par le nombre de ces engins en circulation sur la même période (+28 %) et par les distances parcourues (+ 54 %). Cependant, sur la question des distances, « Communications Earth & Environment » a relevé que près de la moitié des jets avaient parcouru en 2023 des distances inférieures à 500 kilomètres, c’est-à-dire l’équivalent d’un Paris-Lyon. Pire, toujours selon cette revue, 5 % des jets avaient été utilisés pour des vols très courts de moins de 50 km, autrement dit pour des distances inférieures à celles entre Paris et les limites de l’Île-de-France. L’un des auteurs de l’études soulignait ainsi que « beaucoup de jets semblent utilisés comme taxi ».
De surcroit, en croisant les données de la plateforme ADS-B Exchange – qui enregistre les signaux envoyés une fois par minute par les transpondeurs de chaque avion – avec la consommation de carburant propre à chaque modèle d’avion pour déterminer les émissions de CO2, les auteurs de l’étude ont mis en avant le fait que les trajets ne se limitaient pas aux vols d’affaires. Ainsi, une partie de ces vols est utilisée pour les loisirs, en particulier durant les week-ends et la période estivale, notamment à destination de Nice ou d’Ibiza. L’étude a notamment faire ressortir que, fin 2022, les jets privés se sont rendus en masse au Qatar durant la coupe du monde de football (1 850 jets) et qu’ils ont également massivement été utilisés en 2023 pour se rendre au festival de Cannes (640) ou au Super Bowl (200).
Les résultats de l’étude de « Communications Earth & Environment » corroborent ceux d’un précédent rapport de « Greenpeace Central and Eastern Europ » sorti en mars 2023 ([2]), qui faisait alors ressortir une augmentation de 64 % du nombre de vols de jets privés entre 2021 et 2022 au niveau européen. Selon Greenpeace, les émissions de CO2 par les jets privés durant cette période d’un an avaient plus que doublé, dépassant les émissions annuelles moyennes de CO2 de 550 000 habitants de l’Union européenne.
Par ailleurs, le rapport de Greenpeace relevait que, sur les 572 806 vols qui avaient eu lieu en 2022, 55 % avaient été effectués pour des déplacements courts ou très courts, inférieurs à 750 km et qui auraient pu être facilement réalisés en train. Greenpeace montrait en outre que la France était numéro 1 des pays au sein de l’UE en émissions de CO2 générées par des jets privés : « Quatre villes françaises sont dans le top 4 des 10 trajets européens les plus empruntés par les jets privés : Paris-Londres, Nice-Londres, Paris-Genève et Paris-Nice. Entre 2021 et 2022, le nombre de vols en jet privé au départ de la France a augmenté de 55 % et les émissions générées ont augmenté de 93 %. En 2022, la France est le pays comptant le plus de vols en jet privé dans l’UE et a généré 11 % des émissions des jets privés en Europe. Ces 84 885 vols ont émis 383 100 tonnes de CO2, soit les émissions annuelles moyennes de 85 133 résidents français. »
Afin de remédier à cette inflation de l’utilisation des jets privés qui engendre une explosion des émissions de CO2, les auteurs de l’étude publiée le 7 novembre 2024 dans la revue « Communications Earth & Environment » appellent à réguler le secteur des jets privés par l’établissement d’une taxe sur le CO2 « correspondant au coût social des émissions, soit au moins 600 euros par tonne ».
La présente proposition de loi vise en conséquence à désinciter l'usage des jets privés via l’instauration d’une taxation sur leur utilisation en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre dès lors que ces appareils traversent l'espace aérien français, qu'ils soient immatriculés en France ou non et qu'ils se posent en France ou non. Le tarif initial de la taxe prend en considération le montant de la taxe carbone et a vocation à évoluer en fonction des objectifs climatiques et des trajectoires de réduction d’émissions de CO2 de la France prévus par l’Accord de Paris.
Le dispositif de la proposition de loi s’appuie sur des technologies qui existent déjà depuis des années, notamment pour l’identification et le suivi des trajectoires des appareils qui survolent notre espace aérien. L’identification permet en effet de déterminer en temps réel le type d’avion dont il est question, ses caractéristiques quant à sa capacité, sa motorisation, sa source d’énergie et sa puissance, ainsi que son immatriculation et donc son propriétaire. Tous ces éléments rendent possible et aisé le calcul et le recouvrement de la taxe basée sur ces émissions.
Sont exclus du dispositif : les avions de ligne, les avions de plaisance individuels de type monoplaces ou biplaces et les avions concourant aux services publics.
Si la taxation des jets privés est avant tout à visée écologique, il s’agit également d’une question de justice fiscale et sociale. Comment faire accepter en effet aux Françaises et aux Français la sobriété nécessaire dans le cadre de la transition énergétique, pendant qu'en parallèle une vie d'efforts d'un Français moyen peut être effacée par un trajet en jet privé d'un multimilliardaire ?
Cette préoccupation écologique et de justice sociale a été en particulier soulevée par l’OCDE, dont la France est un des vingt membres fondateurs, et qui a adopté le 31 janvier 1991 une Recommandation relative à l'utilisation de l'instrument économique pour protéger l'environnement dans le cas de problèmes d'environnement et de ressources naturelles ([3]). Selon cette Recommandation, les instruments économiques utilisés à l'encontre des émetteurs de polluants peuvent prendre la forme de redevances ou de taxes d'émissions et doivent s'inscrire dans le cadre de la lutte contre la pollution atmosphérique ([4]). Si cette Recommandation – émise par le Conseil, organe décisionnel de l'organisation – n'a pas de portée juridique obligatoire, il n'en demeure pas moins qu'il est attendu qu'elle soit mise en œuvre pas les États membres.
L’instauration d’une taxation sur l’utilisation des jets privés permettra à la France d’investir dans le verdissement de notre économie et dans la recherche pour permettre d’accélérer la nécessaire sortie des énergies fossiles. En outre, cette taxe incitera à l’innovation aéronautique.
Enfin, l’objectif visé par la présente proposition de loi est de renforcer la prise de conscience de la nécessité pour chacune et chacun de réduire son empreinte carbone. Alors que l’ensemble des Françaises et des Français doit respecter les Zones à Faibles Émissions (ZFE) afin de lutter contre la pollution émise par le trafic routier, il importe que les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre soient également mis à contribution.
De même, alors que les exploitants d’avions commerciaux sont appelés à diminuer la fréquence de leurs vols, que le président directeur général des aéroports de Paris, déclare, lui-même, que les Françaises et les Français seront appelés à moins prendre l’avion, l’effort collectif à mettre en place pour respecter nos objectifs de neutralité carbone ne peut plus épargner le monde de l’aviation privée. Celui-ci doit donc se soumettre aux mêmes exigences que le reste de la population ou a minima contribuer à décarboner le reste du réseau de transports, ce que cette taxe vise à instaurer. En ce sens, cette proposition de loi permet de lever, pour les jets privés, le moratoire sur la taxe carbone décidé à la fin de l’année 2018.
L’article unique instaure ainsi une taxe sur l’utilisation des jets privés en fonction des émissions de dioxyde de carbone. Au vu des règles de recevabilité financière, s’il n’est pas possible d’affecter la taxe visée par la présente proposition de loi, il serait souhaitable que son produit, qui sera versé dans le budget général de l’État, serve à soutenir les organismes et les politiques concourant au soutien de la transition écologique.
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proposition de loi
Article unique
Le paragraphe 1 de la sous‑section 3 de la section 2 du chapitre II du titre II du livre IV du code des impositions sur les biens et services est ainsi modifié :
1° L’article L. 422‑20 est complété par un 5° ainsi rédigé :
« 5° Le tarif de la taxe sur les jets privés déterminé dans les conditions prévues à l’article L. 422‑24‑1. » ;
2° Il est ajouté un article L. 422‑24‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 422‑24‑1. – La circulation d’aéronefs privés pouvant transporter moins de vingt‑cinq passagers et dont le poids à vide est inférieur à trente tonnes, à l’exception des aéronefs individuels de plaisance avec un poids maximum au décollage inférieur à deux tonnes, est soumise à une taxe assise sur le volume d’émissions de dioxyde de carbone lors du survol de l’espace aérien national et des espaces aériens placés sous juridiction française. Le tarif de la taxe est initialement fixé à 100 euros par tonne émise. Il est révisé annuellement par décret en fonction de la variation de l’indice moyen annuel des prix à la consommation hors tabac et des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique.
« Sont exonérés les vols exécutés par des aéronefs d’État et militaires, affectés à un service public, ainsi que ceux effectués par des aéronefs affectés à une mission de service public, de recherche, de sauvetage, de sécurité civile, de lutte contre les incendies, sanitaire, médicale, d’instruction, d’essai ou effectués par des aéronefs individuels de plaisance ayant un poids maximum au décollage de deux tonnes dans le cadre des activités d’un aéroclub. »
([1]) Gössling S., Humpe A. & Leitão J.C., « Private aviation is making a growing contribution to climate change ». Commun Earth Environ 5, 666 (2024). https ://doi.org/10.1038/s43247‑024‑01775‑z
([2]) https ://www.greenpeace.fr/espace‑presse/nouveau‑rapport‑les‑vols‑en‑jet‑prive‑atteignent‑des‑niveau
x‑record‑en‑france‑et‑en‑europe/
([3]) OCDE, Recommandation du Conseil relative à l’utilisation des instruments économiques dans les politiques de l’environnement, OECD/LEGAL/0258 : https ://legalinstruments.oecd.org/public/doc/41/41.fr.pdf
([4]) Point 35 de l’annexe de la Recommandation de l’OCDE du 31 janvier 1991 : « 35. La production et l’utilisation de l’énergie étant l’une des principales causes de pollution de l’atmosphère, les facteurs d’environnement devraient être pris en compte dans la tarification des prix de l’énergie ; pour ce faire, on peut appliquer des redevances ou taxes sur produit, en particulier des redevances sur les combustibles sous forme de surtaxe ou de modulation des droits d’accise sur les combustibles fossiles. Les redevances ou taxes sur produit peuvent servir de variable de substitution aux redevances ou taxes d’émission, par exemple lorsque la pollution est diffuse et lorsque ses sources sont nombreuses ou petites (mobiles). Compte tenu de la tradition bien établie de taxer les sources mobiles, surtout dans le secteur des transports, cette pratique devrait être adaptée aux objectifs de protection de l’environnement. »