– 1 –
N° 1750
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE LOI
autorisant à titre expérimental l’utilisation des surplus électriques pour le minage de cryptoactifs,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, M. Alexandre ALLEGRET-PILOT, Mme Brigitte BARÈGES, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Christophe BENTZ, M. Théo BERNHARDT, M. Bruno BILDE, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, Mme Pascale BORDES, Mme Manon BOUQUIN, M. Jorys BOVET, M. Jérôme BUISSON, M. Sébastien CHENU, Mme Caroline COLOMBIER, Mme Sandra DELANNOY, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, M. Alexandre DUFOSSET, M. Gaëtan DUSSAUSAYE, M. Aurélien DUTREMBLE, M. Auguste EVRARD, M. Frédéric FALCON, M. Marc DE FLEURIAN, M. Emmanuel FOUQUART, M. Julien GABARRON, Mme Stéphanie GALZY, M. Jonathan GERY, M. Frank GILETTI, M. Christian GIRARD, M. Antoine GOLLIOT, M. José GONZALEZ, Mme Géraldine GRANGIER, Mme Monique GRISETI, M. Michel GUINIOT, Mme Marine HAMELET, M. Sébastien HUMBERT, M. Pascal JENFT, M. Alexis JOLLY, Mme Tiffany JONCOUR, Mme Hélène LAPORTE, Mme Laure LAVALETTE, M. Robert LE BOURGEOIS, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Nadine LECHON, M. Bartolomé LENOIR, M. Hervé DE LÉPINAU, M. René LIORET, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. David MAGNIER, M. Pascal MARKOWSKY, M. Patrice MARTIN, Mme Michèle MARTINEZ, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Yaël MÉNACHÉ, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Pierre MEURIN, M. Maxime MICHELET, M. Serge MULLER, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, M. Julien RANCOULE, Mme Catherine RIMBERT, M. Joseph RIVIÈRE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Béatrice ROULLAUD, M. Emeric SALMON, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Thierry TESSON, M. Romain TONUSSI, M. Vincent TRÉBUCHET, M. Antoine VILLEDIEU, M. Frédéric-Pierre VOS, M. Frédéric WEBER,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La France dispose d’un parc de production électrique largement décarboné, avec près de 70 % de son électricité issue du nucléaire, lui offrant une capacité de production stable, prévisible et abondante. L’essor anarchique des énergies intermittentes (ENRi) depuis 25 ans, éolien et solaire en tête, a fait peser une pression croissante sur cet équilibre historique.
Aujourd’hui, la part significative des ENRi dans notre mix électrique entraîne des déséquilibres récurrents sur le réseau, et notamment des épisodes de surproduction qui contraignent les producteurs d’électricité à vendre à perte, faute de moyens de stockage. Ces excédents non valorisés constituent une inacceptable perte économique et énergétique.
Ce phénomène est aggravé par l’obligation légale faite aux centrales nucléaires de moduler fortement leur puissance lorsque les ENRi produisent en quantité suffisante. Cette pratique, comme cela a été mentionné dans le rapport 2024 de l’Inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection (IGSNR), est fortement suspectée d’entraîner une usure prématurée des réacteurs, avec de potentielles conséquences majeures sur notre souveraineté énergétique et sur le coût d’entretien du parc nucléaire.
Il est donc impératif de mettre un terme à cette logique absurde en termes scientifiques et économiques, et de valoriser nos surplus d’électricité afin de stabiliser le réseau tout en préservant notre parc nucléaire.
Pour cela, une solution a déjà fait ses preuves à l’étranger : l’utilisation des excédents d’électricité pour miner des cryptomonnaies, en particulier le Bitcoin. Concrètement, cela consiste en l’installation de sites informatiques abritant un grand nombre de processeurs spécialisés (Application‑Specific Integrated Circuits – ASICs) qui contribuent, par le minage, à sécuriser les transactions du réseau Bitcoin. Ils reçoivent pour cela, en contrepartie, une rémunération en bitcoins nouvellement créés. Cette activité, intrinsèquement énergivore, présente des avantages uniques en termes de stabilisation du réseau électrique.
En effet, elle est hautement flexible, activable à la demande, localisable à proximité des sites de production, sans impact sur la continuité de l’approvisionnement. Les dispositifs de minage peuvent être interrompus ou relancés en quelques secondes selon la quantité d’électricité disponible sur le réseau. Cette alternance d’arrêts et relances ne crée aucune rupture de service pour les consommateurs finaux : c’est une charge d’ajustement pure, pilotable en temps réel. En somme, le minage de bitcoins est un usage innovant, capable de convertir un problème (des surplus non utilisés) en opportunité économique.
Le développement de cette activité en France permettrait de maintenir nos centrales nucléaires à puissance constante tout en générant des revenus significatifs. Selon l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan), y dédier ne serait‑ce qu’un gigawatt de puissance représenterait 100 à 150 millions de dollars de recettes annuelles. Cette manne pourrait contribuer à couvrir les coûts fixes du parc nucléaire actuel et à financer les investissements dans nos futures centrales. C’est donc un levier de réduction des taxes massives pesant aujourd’hui sur l’électricité française, qui constituent un frein majeur à l’indispensable réindustrialisation de notre pays.
En outre, en offrant un débouché aux surplus, le minage réduit les cycles de modulation des réacteurs nucléaires. Cela permet non seulement de préserver l’intégrité des réacteurs en limitant les contraintes physiques auxquelles ils sont exposés, mais aussi de maximiser le taux d’utilisation de nos centrales et donc, leur rentabilité.
Le déploiement de centres de minage constitue par ailleurs une opportunité de reconversion industrielle et d’aménagement du territoire. Les infrastructures existantes, aujourd’hui sous‑utilisées ou fermées, pourraient accueillir ces nouvelles infrastructures. À l’étranger, certaines anciennes usines ou centrales désaffectées ont déjà été transformées en fermes de minage fonctionnant à partir d’électricité décarbonée.
Un autre avantage du minage de bitcoins est la production de chaleur, généralement considérée comme un déchet, qui peut être valorisée. Les ordinateurs de minage dégagent en effet une chaleur considérable, que l’on peut capter via des échangeurs thermiques pour chauffer des bâtiments, des serres agricoles ou alimenter des procédés industriels. À l’étranger, plusieurs projets‑pilotes exploitent déjà cette chaleur : en Finlande, la société Marathon déploie une ferme de minage de 2 MW dont la chaleur sera recyclée pour alimenter le chauffage urbain d’une ville de 11 000 foyers ([1]). Au Canada et en Scandinavie, certaines installations analogues chauffent des immeubles entiers ([2]) ou des bâtiments aquacoles ([3]), améliorant l’efficacité énergétique globale du mix de ces pays.
Il importe également de noter que la France ne serait pas isolée en Europe dans cette démarche. L’Islande, la Norvège ou la Suède accueillent des fermes de minage alimentées par leurs surplus hydroélectriques. Ailleurs, des gouvernements commencent à intégrer le minage dans leur stratégie énergétique nationale : la Biélorussie a ordonné l’étude de solutions de minage pour absorber ses surcapacités électriques ([4]) et le Pakistan vient d’allouer 2 000 MW à des projets de minage et de data centers afin de soutenir son réseau et d’attirer des investissements technologiques ([5]). L’État du Texas a quant à lui interconnecté une partie de ses centres de minage de bitcoins avec le gestionnaire de réseau ERCOT, permettant aux mineurs de s’effacer en quelques minutes lors des pics de demande estivaux, en échange d’une rémunération.
Ces exemples étrangers démontrent que le recours au minage comme outil d’équilibrage et de stockage virtuel de l’énergie s’inscrit dans une tendance mondiale de fond, désormais parfaitement éprouvée sur le plan technique. La France, forte de son parc nucléaire, doit exploiter cette opportunité majeure.
En conséquence, la présente proposition de loi prévoit une expérimentation de cinq ans, visant à lancer et à évaluer l’utilisation des excédents d’électricité nationale, en pratique les excédents de la production nucléaire d’EDF, pour miner du Bitcoin.
Cette loi propose de réserver le bénéfice de cette expérimentation à des entreprises françaises, puis européennes, dans une logique de souveraineté. En effet, notre parc nucléaire est un actif stratégique, financé par les contribuables français et aujourd’hui intégralement détenu par l’État, via EDF. Dans ce contexte, il est légitime que les excédents d’électricité produits profitent en priorité à des activités industrielles implantées dans notre pays. De plus, aujourd’hui, la majeure partie du réseau Bitcoin est concentrée hors de France, notamment en Amérique du Nord, en Asie et en Europe du Nord. En développant une filière française de minage grâce à son mix électrique pilotable et décarboné, la France pourrait s’imposer comme un acteur majeur dans l’écosystème des cryptoactifs. Un décret en Conseil d’État fixera les conditions précises de mise en œuvre de l’expérimentation, afin d’en garantir le bon déroulement et la sécurité
– 1 –
proposition de loi
Article unique
I. – À titre expérimental, pour une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, les producteurs d’électricité peuvent utiliser ou mettre à disposition leur production excédentaire pour des activités de minage de cryptoactifs dans le but de contribuer à la stabilité du réseau électrique, à la valorisation des surplus de production, et à la réduction des cycles de modulation des centrales nucléaires.
II. – Le producteur d’électricité, lorsqu’il met à disposition sa production excédentaire, le fait à destination d’entreprises dont le siège statutaire, l’administration centrale et le principal établissement sont établis sur le territoire national, et subsidiairement au sein d’un État membre de l’Union européenne.
III. – Cette expérimentation peut inclure des dispositifs de récupération de chaleur et s’inscrire dans la reconversion de sites industriels existants.
IV. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités de mise en œuvre et les critères d’éligibilité des projets.
V. – Un rapport d’évaluation est remis au Parlement dans un délai de six mois suivant la fin de l’expérimentation, examinant notamment l’intérêt d’une pérennisation du dispositif.
([2]) Tech: chauffer son logement grâce à la chaleur des machines informatiques