N° 1752

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à désengorger l’accès au permis de conduire pour les jeunes dans les départements en tension,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Mélanie THOMIN,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’accès au permis de conduire traverse depuis quelques années une crise profonde, caractérisée par une pénurie inquiétante de places à l’examen. Cette situation, marquée par des délais d’attente interminables, engendre de lourdes conséquences pour les jeunes et compromet leur insertion professionnelle, éducative et sociale.

Voici la liste des départements où les délais d’attente pour se voir attribuer une place d’examen sont supérieurs à trois mois : Ain, Aube, Bouches‑du‑Rhône, Charente, Cher, Doubs, Finistère, Gers, Indre‑et‑Loire, Lot‑et‑Garonne, Maine‑et‑Loire, Mayenne, Morbihan, Nièvre, Hautes‑Pyrénées, Sarthe, Deux‑Sèvres, Tarn, Vienne, Vosges, Hauts‑de‑Seine, Martinique (source : Ornikar, juin 2025).

Cette pénurie s’explique notamment par le manque d’inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière (IPCSR), dont les effectifs sont insuffisants pour répondre à la demande croissante. Par exemple, dans le Finistère, en 2024, seulement treize IPCSR sont en poste (source : DDTM du Finistère). Leur répartition inégale dans le territoire accentue les déséquilibres, limitant le nombre de créneaux disponibles pour l’examen pratique, en particulier dans les zones rurales et périurbaines, où les effectifs d’IPCSR sont faibles.

Cette tension est d’autant plus criante dans un contexte où le nombre de candidats à l’examen ne cesse de croître. Cet afflux de candidats peut s’expliquer par une double conjoncture : d’une part, l’arrivée à l’âge du permis des générations nombreuses nées au début des années 2000 et d’autre part, une évolution législative récente abaissant l’âge d’accès au permis de conduire à 17 ans.

Le permis de conduire représente pourtant un tremplin essentiel vers l’autonomie des jeunes, en particulier dans les territoires ruraux et périurbains. Son obtention peut d’ailleurs représenter un critère déterminant pour l’accès à l’emploi ou à la formation en apprentissage. À ce titre, 38 % des jeunes ruraux en recherche d’emploi déclarent avoir déjà renoncé à un entretien professionnel en raison de difficultés de transport, contre seulement 19 % des jeunes urbains (source : Institut Terram, 2024), soulignant l’ampleur des inégalités territoriales en matière de mobilité. Cette réalité est d’autant plus préoccupante que 69 % des jeunes ruraux dépendent de la voiture quotidiennement, contre 31 % des urbains (source : Institut Terram, 2024). 53 % des jeunes ruraux déclarent être mal desservis par le réseau de bus, contre seulement 14 % chez les jeunes urbains. Même estimation pour le train, avec 62 % des jeunes ruraux qui estiment être mal desservis, contre 24 % des jeunes urbains (source : institut Terram, 2024).

La difficulté d’accès aux transports en commun augmente la pression chez les jeunes pour passer le permis en zone rurale. Dans le Finistère, une étudiante résidant dans la communauté de communes des Monts d’Arrée, s’est résignée à abandonner sa formation en BTS, située à plusieurs dizaines de kilomètres de son domicile. Faute d’accès à une place au permis, et sans solution alternative de transport, elle dépendait chaque matin et chaque soir de son père pour aller et venir entre son lieu de formation et son domicile. En situation de dépendance, elle a fini par renoncer à ses études, en suppliant d’obtenir une place au permis et ainsi retrouver une autonomie dans sa vie de jeune.

Par ailleurs, face au manque de créneaux pour l’examen du permis de conduire, l’équilibre économique d’un certain nombre d’auto‑écoles est durablement fragilisé. Dans les cas les plus critiques, certains établissements vont jusqu’à cesser leur activité, sous la pression continue de familles inquiètes de ne pas obtenir de créneau pour le passage du permis. C’est notamment le cas d’un gérant d’auto‑école à Ploudaniel, dans le Finistère, qui a renoncé à son activité en octobre 2024. Les auto‑écoles sont prises en étau, entre l’administration qui ne peut satisfaire la demande, et les élèves qui ont besoin de leur permis pour se déplacer au quotidien.

En parallèle, les résultats à l’examen se dégradent, en témoignent les chiffres récents : le taux de réussite national à l’épreuve pratique a reculé, passant de 58,4 % en 2021 à 55,9 % en 2023 (source : Ediser). Cette baisse, bien que partielle, a un effet mécanique sur la fluidité du système et renforce ainsi la pression sur les candidats et les auto‑écoles. En effet, avec un taux de réussite moyen de 56,80 %, chaque candidat mobilise en moyenne 1,4 créneau d’examen avant d’obtenir son permis. Concrètement, une auto‑école qui forme 100 élèves par an a besoin de 140 places d’examen, soit 40 de plus que dans un système où tous réussiraient du premier coup (source : Ediser). 

Dans le Finistère, le délai médian pour obtenir un créneau d’examen pratique, entre décembre 2021 et décembre 2022, était de 48 jours, contre 59 jours au niveau national. Entre décembre 2023 et décembre 2024, ce délai atteint 95 jours dans le département, alors qu’il est de 74 jours à l’échelle nationale (source : DDTM du Finistère).

Dès lors, les difficultés s’accroissent lorsqu’un candidat échoue à sa première tentative. Les délais pour obtenir une nouvelle date d’examen peuvent atteindre plusieurs mois. Par exemple, dans le Finistère, le délai moyen entre deux tentatives s’élève à 120 jours : bien au‑dessus de la moyenne nationale (99 jours) et régionale (95 jours).

Chaque année, ces délais pénalisent des centaines de milliers de jeunes. Ils accentuent les inégalités territoriales : entre les zones rurales, périurbaines et les centres urbains.

Ces constats posés, ils appellent une réponse structurelle de la part des pouvoirs publics.

La présente proposition de loi vise à répondre à la pénurie de places d’examen et d’IPCSR, qui freine la capacité des jeunes et des demandeurs d’emploi à se déplacer et à être autonomes. Ne reposant ni sur une réforme coûteuse, ni sur une profonde refonte du cadre réglementaire en vigueur, cette proposition de loi s’appuie sur des leviers disponibles, mais insuffisamment mobilisés. Son objectif est de fluidifier l’accès à l’examen, tout en maintenant un haut niveau d’exigence dans la formation et le passage d’examen.

Elle s’articule autour de trois articles :

Aujourd’hui, seules les auto‑écoles labellisées sont dans l’obligation de réaliser un bilan intermédiaire à leurs élèves. Cette évaluation à mi‑parcours permet de faire un point d’étape sur les progrès réalisés, les axes d’amélioration, et de mieux accompagner les élèves dans leur apprentissage de la conduite. L’objet de l’article 1er est de généraliser ce bilan pratique à l’ensemble des auto‑écoles. Il sera réalisé selon une grille d’évaluation nationale harmonisée, calquée sur celle utilisée lors de l’épreuve pratique du permis de conduire. Bien que certaines auto‑écoles mettent déjà en place cette évaluation, les candidats sont en droit de demander une place à l’examen pratique après avoir effectué vingt heures de conduite, même s’ils ne sont pas suffisamment préparés. Le résultat de cette évaluation intermédiaire ouvre, selon le barème fixé, l’accès prioritaire à une date d’examen.

Cette mesure permettra de mieux préparer les candidats, en évitant les passages prématurés et de réduire le taux d’échec au permis de conduire. Elle contribuera à augmenter le taux de réussite de 10 %, afin de rééquilibrer le système.

Afin de fluidifier l’accès au permis de conduire, l’article 2 propose de renforcer les effectifs habilités à faire passer l’épreuve, sans pour autant compromettre l’impartialité et la qualité de l’évaluation. Ainsi, les enseignants de la conduite et de la sécurité routière (justifiant de cinq ans d’expérience) seront autorisés à faire passer l’examen pratique du permis de conduire, dans le cadre d’un deuxième passage du permis et uniquement dans les départements où le délai médian entre deux présentations est supérieur à quarante‑cinq jours. Pour ce faire, ils devront suivre une formation les habilitant à exercer la fonction d’examinateur et devront intervenir dans un centre d’examen conventionné. Les conditions de formation, d’impartialité et d’éligibilité seront définies par décret.

Enfin, l’abaissement de l’âge minimum pour passer le permis B à dix‑sept ans (en vigueur depuis le 1er janvier 2024) a sensiblement complexifié l’accès au permis de conduire en raison d’une augmentation significative du nombre de candidats. Si cette mesure répondait à une intention légitime de favoriser l’autonomie des jeunes, elle a entraîné une hausse brutale de la demande, accentuant la pression sur un système déjà fortement sous tension. Dans ces circonstances, l’article 3 entend prioriser l’accès à l’examen pratique pour les jeunes remplissant l’un des trois critères suivants :

– La signature d’un contrat de travail, d’apprentissage, d’alternance ou la présentation d’une promesse d’embauche, lorsque ces engagements nécessitent l’usage d’un véhicule personnel motorisé.

– L’inscription dans un parcours d’insertion ou de recherche active d’emploi attesté par un accompagnement réalisé par France Travail, une mission locale, ou n’importe quel organisme d’insertion professionnelle habilité.

– L’inscription dans une formation de l’enseignement supérieur.

 


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proposition de loi

Article 1er

Après l’article L. 221‑1 A du code de la route, il est inséré un article L. 221‑1 B ainsi rédigé :

« Art. L. 2211 B. – Tout élève inscrit dans un établissement d’enseignement de la conduite et de la sécurité routière doit obligatoirement se soumettre, à l’issue de quinze heures de conduite effective, à une évaluation intermédiaire.

« Cette évaluation pratique a pour objet d’apprécier le niveau de maîtrise des compétences requises en vue du passage de l’examen du permis de conduire, selon une grille d’évaluation nationale harmonisée, calquée sur celle utilisée lors de l’épreuve pratique du permis de conduire.

« L’évaluation intermédiaire est réalisée dans l’établissement d’enseignement de la conduite et de la sécurité routière dans lequel est inscrit l’élève, que cet établissement soit labélisé ou non.

« Cette évaluation s’effectue sous la supervision d’un enseignant de la conduite et de la sécurité routière.

« Son résultat ouvre, selon le barème fixé, l’accès prioritaire à une date d’examen à l’épreuve pratique du permis de conduire. »

Article 2

Après l’article L. 221‑5 du code de la route, il est inséré un article L. 221‑5‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 22151.  L’autorité administrative peut recourir à des enseignants de la conduite et de la sécurité routière comme examinateurs autorisés à faire passer l’épreuve pratique du permis de conduire des véhicules du groupe léger dans le cadre d’une deuxième présentation de l’épreuve par les candidats.

« Cette hypothèse du recours à des enseignants de la conduite et de la sécurité routière en lieu et place des inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière ne peut être réalisée que dans les départements où le délai médian entre deux présentations d’un même candidat à l’épreuve pratique du permis de conduire des véhicules du groupe léger est supérieur à quarante‑cinq jours.

« La deuxième présentation à l’épreuve pratique de l’examen du permis de conduire, en cas d’échec à la première, est organisée au sein d’un centre d’examen agréé, sous réserve que les conditions suivantes soient réunies :

« 1° L’enseignant de la conduite et de la sécurité routière justifie d’au moins cinq années d’expérience ;

« 2° L’enseignant de la conduite et de la sécurité routière a suivi une formation complémentaire obligatoire ;

« 3° L’évaluation pratique ne peut être réalisée par un enseignant appartenant à l’établissement dans lequel le candidat a été formé. Un système d’affectation croisée est mis en place.

« Les conditions de formation, d’impartialité et d’éligibilité que remplissent les enseignants de la conduite et de la sécurité routière, ainsi que les modalités d’affectation croisée et les règles de contrôle et de sanction applicables, sont définies par décret. »

Article 3

Après l’article L. 221‑1 B du code de la route, il est inséré un article L. 221‑1 C ainsi rédigé :

« Art. L. 2211 C.  Afin de favoriser la formation, l’insertion professionnelle et la vie sociale des jeunes évoluant dans des territoires reculés et dans lesquels l’offre de transports en commun est insuffisante, l’accès aux épreuves du permis de conduire est prioritaire pour les candidats remplissant un ou plusieurs de ces critères :

« 1° La signature d’un contrat de travail, d’apprentissage, d’alternance ou la présentation d’une promesse d’embauche, lorsque ces engagements nécessitent l’usage d’un véhicule personnel motorisé ;

« 2° L’inscription dans un parcours d’insertion ou de recherche active d’emploi attesté par un accompagnement réalisé par France Travail, une mission locale, ou n’importe quel organisme d’insertion professionnelle habilité ;

« 3° L’inscription dans une formation de l’enseignement supérieur. »

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.