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N° 1793
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à garantir l’information et la protection effective des victimes de violences sexuelles lors de la libération de leur agresseur,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Laure MILLER, Mme Virginie DUBY-MULLER, Mme Christelle PETEX, M. David AMIEL, M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, M. Antoine ARMAND, M. Gabriel ATTAL, M. Thibault BAZIN, M. Olivier BECHT, Mme Anne BERGANTZ, M. Hervé BERVILLE, Mme Sylvie BONNET, M. Éric BOTHOREL, M. Ian BOUCARD, M. Florent BOUDIÉ, Mme Maud BREGEON, M. Anthony BROSSE, Mme Danielle BRULEBOIS, M. Joël BRUNEAU, M. Stéphane BUCHOU, Mme Françoise BUFFET, Mme Céline CALVEZ, Mme Colette CAPDEVIELLE, Mme Eléonore CAROIT, M. Michel CASTELLANI, M. Vincent CAURE, M. Lionel CAUSSE, M. Thomas CAZENAVE, M. Jean-René CAZENEUVE, M. Pierre CAZENEUVE, M. Yannick CHENEVARD, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, M. François CORMIER-BOULIGEON, Mme Josiane CORNELOUP, M. Romain DAUBIÉ, Mme Julie DELPECH, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Sylvie DEZARNAUD, M. Benjamin DIRX, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Olivier FALORNI, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Nicolas FORISSIER, M. Moerani FRÉBAULT, M. Jean-Luc FUGIT, Mme Camille GALLIARD-MINIER, M. Thomas GASSILLOUD, Mme Anne GENETET, Mme Félicie GÉRARD, Mme Olga GIVERNET, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Perrine GOULET, Mme Olivia GRÉGOIRE, Mme Justine GRUET, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Catherine HERVIEU, Mme Emmanuelle HOFFMAN, M. Sébastien HUYGHE, M. Jean-Michel JACQUES, Mme Sandrine JOSSO, M. Guillaume KASBARIAN, Mme Brigitte KLINKERT, M. Daniel LABARONNE, Mme Amélia LAKRAFI, M. Thomas LAM, M. Michel LAUZZANA, Mme Sandrine LE FEUR, M. Didier LE GAC, Mme Constance LE GRIP, Mme Annaïg LE MEUR, Mme Christine LE NABOUR, Mme Nicole LE PEIH, Mme Marie LEBEC, M. Vincent LEDOUX, M. Mathieu LEFÈVRE, M. Roland LESCURE, Mme Pauline LEVASSEUR, M. Eric LIÉGEON, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Brigitte LISO, Mme Lise MAGNIER, M. Sylvain MAILLARD, M. Bastien MARCHIVE, M. Christophe MARION, Mme Sandra MARSAUD, Mme Alexandra MARTIN, M. Éric MARTINEAU, M. Denis MASSÉGLIA, M. Stéphane MAZARS, M. Laurent MAZAURY, Mme Graziella MELCHIOR, M. Ludovic MENDES, M. Nicolas METZDORF, M. Paul MIDY, Mme Joséphine MISSOFFE, M. Paul MOLAC, M. Karl OLIVE, Mme Sophie PANONACLE, Mme Maud PETIT, M. Christophe PLASSARD, M. Alexandre PORTIER, Mme Natalia POUZYREFF, M. Richard RAMOS, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Franck RIESTER, Mme Véronique RIOTTON, Mme Stéphanie RIST, Mme Marie-Pierre RIXAIN, M. Charles RODWELL, Mme Anne-Sophie RONCERET, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Marie-Ange ROUSSELOT, M. Jean-François ROUSSET, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Mikaele SEO, M. Freddy SERTIN, M. Charles SITZENSTUHL, M. Bertrand SORRE, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Liliana TANGUY, M. Jean TERLIER, Mme Prisca THEVENOT, M. Stéphane TRAVERT, Mme Annie VIDAL, Mme Corinne VIGNON, M. Stéphane VIRY, M. Lionel VUIBERT, M. Éric WOERTH, Mme Caroline YADAN,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 30 mars 2025, à Thyez (Haute‑Savoie), Yanis, un adolescent de 17 ans, mettait fin à ses jours. Il venait d’apprendre, par son père – lui‑même informé de manière informelle par une connaissance – que l’homme qui l’avait agressé sexuellement, déjà condamné à deux reprises pour des faits similaires, avait été remis en liberté. Ni Yanis ni ses proches n’avaient été informés officiellement de cette libération. Ils ignoraient s’il portait un bracelet électronique, s’il faisait l’objet d’interdictions de contact ou de paraître, ou s’il bénéficiait d’un simple aménagement de peine sans aucun contrôle. Yanis a découvert que cet homme multirécidiviste résidait à moins de trois kilomètres de son domicile. Une proximité insoutenable, à laquelle s’est ajoutée l’angoisse d’un silence institutionnel total. La peur de croiser à nouveau son agresseur, de revivre le traumatisme initial, mais aussi la crainte que d’autres puissent être à leur tour victimes, ont ravivé chez lui un effondrement psychologique insurmontable. Pour Yanis, comme pour tant d’autres victimes, la remise en liberté de l’agresseur a été vécue comme une deuxième violence, institutionnelle : celle de l’oubli et de l’abandon.
Accompagné depuis 2022 par l’Association Carl, Yanis avait lui‑même manifesté une certaine inquiétude à l’idée que son agresseur puisse sortir un jour sans que personne ne l’en informe. Son histoire révèle un dysfonctionnement grave et systémique de notre justice pénale : les victimes, surtout lorsqu’elles sont mineures, sont exclues de la chaîne d’information dès le prononcé de la peine, alors que leur vulnérabilité perdure.
Cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans la continuité de la préconisation n° 58 de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), qui recommande de « veiller à ce que les victimes soient informées de la libération de leur agresseur ». Il s’agit ici de traduire cette recommandation en mesure législative concrète, fidèle à l’esprit du rapport final de la CIIVISE publié en novembre 2023.
Un défaut d’encadrement juridique manifeste
À ce jour, l’article 707 du code de procédure pénale ne prévoit qu’une possibilité d’information, à l’initiative de la victime : « Au cours de l’exécution de la peine, la victime a le droit (…) d’être informée, si elle le souhaite, de la fin de l’exécution d’une peine privative de liberté, dans les cas et conditions prévus au présent code (…) ». Il ne s’agit donc ni d’une obligation systématique, ni d’un devoir de l’institution judiciaire.
L’article 10‑2 du même code, qui détaille les droits reconnus à la victime tout au long de la procédure pénale, ne prévoit quant à lui aucune mesure relative à l’information sur la libération de l’agresseur.
La Cour européenne des droits de l’homme impose aux États une obligation positive de protection des victimes, en particulier dans les cas de récidive prévisible. Dans le cas de Yanis, l’agresseur encourait jusqu’à 14 ans d’emprisonnement pour agression sexuelle aggravée sur mineur, en état de récidive légale. Il n’a effectué que 28 mois de détention. Non seulement cette libération est restée inexpliquée, mais aucune mesure de protection n’a été notifiée à la victime.
Un enjeu de sécurité publique et de prévention du suicide des victimes
Cette affaire dramatique démontre la nécessité de mettre en place des mesures législatives à la hauteur de l’enjeu de santé publique qu’elle symbolise. Il s’agit d’assurer la continuité de la protection juridique et psychologique des victimes, comme c’est déjà le cas pour les victimes de violences conjugales depuis le décret du 24 décembre 2021.
Chaque remise en liberté d’un auteur de violence, surtout sexuelle, doit déclencher un mécanisme automatique d’information, de contrôle et de mise à l’abri de la victime, de surcroît lorsqu’elle est mineure.
La présente proposition de loi se structure en deux volets. Le volet principal vise à instaurer l’obligation d’information et de protection des victimes via des interdictions systématiques de contact quelle que soit leur nature. À cela s’ajoute un article qui vise à garantir la bonne application de ces mesures et le suivi des victimes, via la création d’un organisme national.
L’article 1er de la présente proposition de loi prévoit de rendre systématique l’information de la victime de toute décision de mise en liberté de l’auteur des faits, quel que soit le moment auquel elle intervient, ainsi que des modalités de cette libération et des éventuelles interdictions ou obligations prononcées.
L’article 2 vise quant à lui à garantir que l’information aux victimes intervienne avant toute communication publique sur cette libération. Il prévoit également le droit à la victime de présenter des observations, et les dispositions nécessaires à la bonne information des victimes. Cet article vise finalement à garantir la protection des victimes en cas de remise en liberté de leur agresseur, en empêchant tout rapport et contact entre eux.
L’article 3 prévoit la création d’un guichet unique national de suivi des victimes, placé sous l’autorité de la Délégation interministérielle à l’aide aux victimes. Ce guichet permettra le suivi et la bonne application des mesures dictées par les deux articles précédents, et permettra d’orienter les victimes vers les structures de soin et de suivi adaptées.
L’article 4 permet de gager financièrement la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Chapitre Ier
Renforcer la protection effective des victimes
Article 1er
Après l’article 10‑2 du code de procédure pénale, il est inséré un article 10‑2‑1 ainsi rédigé :
« Art. 10‑2‑1. – Les victimes d’une infraction visée à l’article 706‑47 sont informées, dès lors que la personne mise en examen ou condamnée a été placée en détention, de toute remise en liberté, quel que soit le moment où celle‑ci intervient, ainsi que des éventuelles interdictions ou obligations prononcées à l’encontre de la personne mise en examen ou condamnée. Le cas échéant, cette information est adressée à la partie civile ou aux ayants‑droits de la victime. »
Article 2
I. – La section 4 du chapitre II du titre Ier du livre V du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
a) Au début de l’avant‑dernier alinéa de l’article 712‑16‑1, sont ajoutés les mots : « Sans préjudice des dispositions de l’article 712‑16‑2‑1, » ;
b) Après le même article 712‑16‑1, il est inséré un article 712‑16‑1‑2 ainsi rédigé :
« Art. 712‑16‑1‑2. – Lorsque la personne a été condamnée pour l’une des infractions visées à l’article 706‑47, les dispositions ci‑dessous sont applicables :
« 1° Le juge de l’application des peines ou le service pénitentiaire d’insertion et de probation informe la victime ou la partie civile, directement ou par l’intermédiaire de son avocat, de toute décision entraînant la cessation provisoire ou définitive de l’incarcération, ou de la libération de la personne lorsque celle‑ci intervient à la date d’échéance de la peine.
« Cette information intervient avant toute communication publique sur ce sujet.
« Les juridictions de l’application des peines informent la victime ou la partie civile, directement ou par l’intermédiaire de son avocat, qu’elle peut présenter ses observations par écrit dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette information.
« Par dérogation, les dispositions des trois alinéas précédents ne s’appliquent pas lorsque la victime ou la partie civile a fait connaître au préalable son souhait de ne pas être avisée des modalités d’exécution de la peine ;
« 2° Sauf décision contraire spécialement motivée, les juridictions de l’application des peines assortissent toute décision entraînant la cessation provisoire ou définitive de l’incarcération :
« – d’une interdiction d’entrer en relation avec la victime ou la partie civile ainsi qu’avec ses ayants droit, pour une durée qui ne peut excéder le total des réductions de peine dont la personne a bénéficié ;
« – d’une interdiction de paraître à proximité du domicile actuel de la victime ou de la partie civile et, le cas échant, de son lieu de travail et des lieux dans lesquels les faits se sont produits, pour une durée qui ne peut excéder le total des réductions de peine dont la personne a bénéficié ;
« d’une interdiction de résider à proximité du domicile de la victime ou de la partie civile ;
« La juridiction adresse à la victime un avis l’informant de cette interdiction. Si la victime est partie civile, cet avis est également adressé à son avocat.
« Cet avis précise aussi la possibilité d’informer le juge d’application des peines ou, à défaut, le procureur de la République en cas de violation des interdictions prononcées, et les conséquences susceptibles d’en résulter pour le condamné. » ;
c) Le deuxième et le dernier alinéas de l’article 712‑16‑2 sont supprimés.
II. – Les modalités de mise en œuvre des dispositions prévues au I du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État.
Chapitre II
Garantir la prise en charge et le suivi des victimes
Article 3
I. – Il est institué un guichet unique national de suivi des victimes, placé sous l’autorité de la délégation interministérielle à l’aide aux victimes.
II. – Ce guichet est chargé :
1° De veiller à la mise en œuvre et au suivi :
– des interdictions judiciaires prononcées dans l’intérêt des victimes ;
– de l’information des victimes concernant les remises en liberté des personnes mises en cause ou condamnées.
2° D’orienter les victimes vers les structures compétentes en matière de soins médicaux, de soutien psychologique, d’accompagnement social et d’aide juridique.
Le guichet unique centralise l’ensemble des informations nécessaires au suivi des victimes et assure la liaison entre les magistrats, les services de police et de gendarmerie, les services sociaux et médico sociaux, ainsi que les associations d’aide aux victimes.
III. – Les conditions de création de ce guichet unique national de suivi des victimes sont fixées par décret.
Article 4
La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.