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N° 1797
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à améliorer la gestion des eaux pluviales aux fins d’adaptation au réchauffement climatique,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. René PILATO, M. Gabriel AMARD, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La gestion des eaux pluviales se retrouve au fondement non seulement de la gestion quantitative de l’eau, car leur infiltration dans les sols reconstitue les nappes phréatiques, mais également au fondement de la résilience face aux aléas climatiques. Ceux‑ci, accélérés par le réchauffement, se manifestent par des épisodes de sécheresse et de pluie intense comme les inondations dramatiques survenues en Espagne les 29 et 30 octobre 2024 occasionnant 224 victimes.
De l’aveu même du chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, une fois la normalité rétablie à Valence, il conviendra d’opérer une « transformation du territoire pour l’adapter à l’urgence climatique ». De nouveaux aménagements seront nécessaires pour s’adapter ; l’artificialisation des sols étant en grande partie responsable. Désurbanisation des zones les plus exposées, perméabilisation des sols sont prévus.
Le modèle traditionnel de gestion de l’eau via le « tout‑tuyau » (qui consiste à évacuer l’eau le plus loin et le plus vite possible hors de la ville) montre ses méfaits alors même que les zones urbanisées ne cessent de s’étendre.
Avec l’imperméabilisation croissante des villes, les eaux de pluie ne s’infiltrent plus là où elles tombent. Elles sont captées, souvent avec les eaux usées, et rejoignent les stations d’épuration. En temps de pluie, le fonctionnement des réseaux d’assainissement et des stations d’épuration sont perturbés par les variations brutales de débits. Ils débordent de plus en plus souvent en polluant le milieu naturel.
Cela représente, par exemple, pour le bassin Loire‑Bretagne, 10 % d’eaux usées domestiques rejetées sans traitement dans les rivières du fait de l’arrivée des eaux pluviales dans les réseaux d’assainissement.
Améliorer la stratégie de gestion des eaux pluviales vise la limitation des volumes d’eaux de pluie rejetées dans les réseaux unitaires mais aussi deux autres objectifs : en cas de pluies d’orages, limiter les risques d’inondation soudaines, source de dégâts, en tamponnant les eaux sur la parcelle et, lors de pluies courantes, la recréation du cycle naturel de l’eau à la parcelle.
Le principe est de modifier le moins possible le cycle de l’eau en infiltrant l’eau au plus près de son point de chute.
L’objectif de la gestion intégrée des eaux pluviales est certes la diminution du risque d’inondation urbaine, mais également la dépollution des eaux de ruissellement, la recharge des nappes phréatiques, la réalisation d’économies d’eau potable par la récupération de l’eau de pluie, et aussi l’amélioration du cadre de vie par la renaturation, la préservation de la biodiversité, la lutte contre les ilots de chaleur en ville…
Elle recouvre plusieurs techniques participant à l’aménagement des villes et à l’adaptation au changement climatique : pavement perméable, puits d’infiltration en dessous de jardins de pluie, noues, tranchées drainantes au bord des trottoirs ou des routes, des cuves aériennes ou enterrées permettant la récupération à l’heure d’une ressource en eau qui s’amenuise.
Les articles de cette proposition de loi reprennent les recommandations du rapport sur la gestion de l’eau pour les activités économiques présenté en juin 2023, avec pour rapporteurs les députés René Pilato et Patrice Perrot, considérant la lutte contre l’artificialisation des sols, leur désimperméabilisation, la végétalisation des villes et le périmètre des bassins‑versants comme des axes centraux des politiques publiques de la gestion de l’eau. Des marges d’amélioration concernant la gestion des eaux pluviales dans les documents d’urbanisme sont ciblées ainsi que l’incorporation de leur gestion intégrée dans l’élaboration des constructions neuves et les programmes d’aménagement du territoire.
Par ailleurs, conformément aux préconisations de la Cour des comptes[1] : les commissions locales de l’eau devraient être "consultées systématiquement" sur les principaux documents d’aménagement, les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), les schémas de cohérence territoriale (Scot) et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi). La Cour des Comptes rappelle que l’échelle des sous‑bassins doit être renforcée.
L’avis des animateurs de 85 SAGE (schémas d’aménagement et de gestion de l’eau), recueillis lors de leur évaluation nationale publiée le 20 décembre 2021 rejoint cette recommandation notamment sur l’intérêt qu’auraient les commissions locales de l’eau (CLE) à bénéficier du statut de personnalité publique associée (PPA) pour l’élaboration et la révision des documents d’urbanisme. Une très nette majorité de participants (près de 84 %) estime que la CLE gagnerait à acquérir ce statut en permettant en particulier :
– Une meilleure prise en compte des enjeux de l’eau dans la planification territoriale, dès l’amont, et donc une meilleure cohérence entre politiques publiques ;
– Une diffusion des connaissances acquises sur le territoire dans le cadre du SAGE (auprès des élus du territoire et des services de l’État – services instructeurs en charge de l’urbanisme) ;
– Une meilleure pédagogie et une stratégie préventive plutôt que curative permettant de veiller à la mise en compatibilité avec les objectifs du SAGE ;
– L’établissement d’un document guide de transposition du SAGE dans les documents d’urbanisme, éventuellement adapté en sous‑secteurs ;
– De permettre à la CLE de saisir la justice pour faire valoir le respect des règles du SAGE, augmentant fortement leur autorité,
– Une officialisation d’une pratique déjà existante sur plusieurs territoires.
En l’absence actuelle de ce statut, la CLE ne dispose pas de moyens propres et elle est dépendante de la collectivité porteuse du SAGE, avec à la clef le risque de la voir en quelque sorte « phagocytée » par cette collectivité.
L’adaptation des règles d’urbanisme à la gestion des eaux pluviales constitue une solution fondée sur la nature et celles‑ci doivent être les premières solutions recherchées pour répondre aux tensions sur l’offre de la ressource en eau comme le souligne le rapport du Sénat sur l’Avenir de l’eau publié en novembre 2022.
Dans une publication de 2018, le Cerema a également démontré, sur la base d’un travail de recherche et d’analyse documentaire, l’intérêt de l’utilisation de l’eau de pluie dans la maîtrise du ruissellement urbain.
La récupération d’eau de pluie est également un outil pour adapter le bâti au changement climatique par la stabilisation du phénomène de retrait‑gonflement des sols argileux (RGA).
Enfin, la loi de décentralisation du 27 janvier 2014 a confié la compétence de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) aux intercommunalités (métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération, communautés de communes).
Or, ces deux enjeux dont l’un a trait à l’aménagement, sont la plupart du temps appréhendés comme étant de deux « mondes » éloignés au sein des collectivités et par les élus (assumés souvent par des élus différents). L’évaluation nationale des SAGE, citée plus haut, souligne que le territoire hydrographique et la gestion intégrée de bassin versant se trouvent bousculés en scindant le grand cycle de l’eau en deux sans cohérence : la GEMAPI et surtout le coûteux volet PI aux EPCI à fonds propres et le reste aux syndicats de bassins.
La cohérence territoriale du bassin‑versant pour mener une gestion intégrée de la ressource et permettre ainsi de garantir un équilibre entre les milieux et les usages a pourtant été fortement accompagnée depuis 1992 et demeure incontestée.
Les auteurs du rapport poursuivent en ces termes : « Le grand cycle de l’eau, déjà complexe à aborder en matière de gestion intégrée, a été fragmenté par un approche juridique déstructurante pour les structures opérationnelles de bassins. De plus, chaque territoire administratif oriente de fait ses fonds sur son territoire, comment garantir une gestion équilibrée efficace dans ce contexte ? L’échelle administrative s’avère être un pilier fragilisant probablement l’efficacité future des SAGE. »
M. Mourlon, directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, lors d’un colloque sur l’eau au Conseil d’État le 13 novembre 2024, interroge également les limites du périmètre de la GEMAPI, en précisant que de nombreux projets des Agences recoupent également la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations par l’entretien des cours d’eau par exemple et rappelle la pertinence de gérer l’amont‑aval des bassins versants.
Par ailleurs, dans un communiqué du 4 avril, l’Association des maires de France (AMF) alerte sur leurs difficultés à assumer cette mission du fait notamment de la pression budgétaire sur les collectivités, du manque d’ingénierie et demande à revoir le dispositif GEMAPI notamment par un mode de gouvernance associant pleinement l’État.
Ainsi ce transfert de compétence aux intercommunalités n’apparaît pas approprié alors que l’ingénierie est déjà présente au sein des Agences de l’eau.
L’article 1er prévoie que toute nouvelle autorisation d’urbanisme ne peut pas avoir pour conséquence une accélération du ruissellement de l’eau de pluie et renforce les prescriptions relatives à la gestion parcellaire des eaux pluviales dans les documents d’urbanisme aux constructions neuves et aux opérations de renouvellement. Un décret définira les modalités pour renforcer la formation des acteurs de la construction.
L’article 3 demande un rapport sur l’état des lieux des ruissellements existants et sur les moyens de les limiter pour renforcer la planification en matière d’aménagement du territoire conformément à la proposition n° 23 du rapport sur la gestion de l’eau pour les activités économiques. A noter qu’un tel rapport a été intégré dans le plan d’urgence pour Mayotte afin de prévenir les conséquences de catastrophes climatiques telles que Chido.
L’article 4 octroie le statut de personnalité juridique associé aux commissions locales de l’eau afin de renforcer l’échelle des sous‑bassins conformément aux recommandations de la Cour des comptes. Afin que les préconisations des CLE soient pleinement prises en compte dans l’aménagement du territoire, ce même article intègre les professionnels de l’urbanisme dans celui des représentants d’usagers et les services en charge de l’urbanisme dans le Collège des représentants de l’État).
L’article 5 ouvre la possibilité de transférer l’entièreté de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations aux Agences de l’eau. Celles‑ci ont déjà des programmes dans ce sens et cette compétence GEMAPI scinde une fois de plus des compétences entre plusieurs acteurs et complexifie la structuration ainsi que la gouvernance alors que la pertinence du périmètre du bassin versant, avec une solidarité amont‑aval, a été rappelée par des associations d’élus et des responsables des Agences de l’eau.
L’article 6 transfère la taxe GEMAPI aux agences de l’eau dans le cas d’un transfert de cette compétence.
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proposition de loi
Article 1er
Après la première phrase du premier alinéa de l’article L. 111‑16 du code de l’urbanisme, sont insérées trois phrases ainsi rédigées : « Le permis de construire ou d’aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable ne peut avoir pour conséquence une accélération du ruissellement de l’eau de pluie. Ce permis ou cette décision prévoit des aménagements permettant une gestion parcellaire des eaux pluviales. Un décret définit les modalités pour renforcer la formation des acteurs de la construction. »
Article 2
Le I de l’article L. 211‑1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au 1°, après le mot : « inondations », sont insérés les mots : « , notamment par le biais de relevés annuels de ruissellement, » ;
2° Le 4° est complété par les mots : « , notamment par la gestion intégrée des eaux pluviales ».
Article 3
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les moyens de limiter le ruissellement des eaux pluviales, afin de renforcer la planification en matière d’aménagement du territoire.
Article 4
L’article L. 212‑4 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa du I est complété une phrase ainsi rédigée : « Elle est dotée de la personnalité juridique. » ;
2° Le II est ainsi modifié :
a) Au 2°, après le mot : « fonciers », sont insérés les mots : « des professionnels de l’urbanisme, » ;
b) Au 3°, après le mot : « État », sont insérés les mots : « dont ceux responsables des services de l’urbanisme ».
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 213‑8‑1 du code de l’environnement, après le mot : « crues », sont insérés les mots : « , la prévention contre les inondations, l’animation et la concertation dans les domaines de la prévention du risque d’inondation sur les communes ayant fait le choix de ne pas exercer cette compétence ».
Article 6
L’article 1530 bis du code général des impôts est ainsi rédigé :
« II. – Le produit voté de la taxe est au plus égal au montant annuel prévisionnel des charges de fonctionnement et d’investissement résultant de l’exercice de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, telle qu’elle est définie au premier alinéa de l’article L. 211‑7 du code de l’environnement.
« Le produit de cette imposition est exclusivement affecté au financement des charges de fonctionnement et d’investissement, y compris celles constituées par le coût de renouvellement des installations ainsi que par le remboursement des annuités des emprunts, résultant de l’exercice de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, telle qu’elle est définie au I bis du même article L. 211‑7.
« III. – Le produit de la taxe prévue au I est réparti entre toutes les personnes physiques ou morales assujetties aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, à la taxe sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale et à la cotisation foncière des entreprises, proportionnellement aux recettes que chacune de ces taxes a procurées l’année précédente. »
Article 7
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.