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N° 1817

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

portant abrogation du Code noir,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Max MATHIASIN, M. Olivier SERVA, M. Jean-Pierre BATAILLE, M. Joël BRUNEAU, M. Charles DE COURSON, M. Stéphane LENORMAND, M. Laurent MAZAURY, M. Paul MOLAC, M. Laurent PANIFOUS, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Nicole SANQUER, M. David TAUPIAC, Mme Estelle YOUSSOUFFA, Mme Sophie PANONACLE, M. Steevy GUSTAVE, M. Richard RAMOS, M. François CORMIER-BOULIGEON, M. Jiovanny WILLIAM, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Sophie PANTEL, Mme Dominique VOYNET, Mme Dieynaba DIOP, Mme Océane GODARD, M. Arthur DELAPORTE, M. Olivier BECHT, M. Belkhir BELHADDAD, M. Hervé SAULIGNAC, M. Marcellin NADEAU, M. Nicolas RAY, Mme Valérie ROSSI, Mme Chantal JOURDAN, M. Laurent LHARDIT, M. Hervé BERVILLE, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Philippe BRUN, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Frédéric MAILLOT, Mme Fatiha KELOUA HACHI, Mme Perrine GOULET, M. Jean-Luc FUGIT, M. Olivier FALORNI, Mme Maud PETIT, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Roger VICOT, Mme Louise MOREL, M. Abdelkader LAHMAR, M. François PIQUEMAL, Mme Alma DUFOUR, Mme Marianne MAXIMI, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Joël AVIRAGNET, M. Christophe BEX, M. Jean-Claude RAUX, M. Salvatore CASTIGLIONE, Mme Andrée TAURINYA, M. Emmanuel FERNANDES, M. Matthias TAVEL, M. Michel CASTELLANI, Mme Marie-Pierre RIXAIN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Rodrigo ARENAS, Mme Karine LEBON, M. Denis FÉGNÉ, M. Éric BOTHOREL, M. Davy RIMANE, M. Mickaël BOULOUX, Mme Ayda HADIZADEH, M. Jean-Luc WARSMANN, M. René PILATO, Mme Gabrielle CATHALA, M. Thierry SOTHER, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Maxime LAISNEY, Mme Mathilde HIGNET, Mme Sophie METTE, M. Idir BOUMERTIT, Mme Danièle OBONO, M. Romain DAUBIÉ, M. Olivier FAURE, M. Philippe GOSSELIN, M. Romain ESKENAZI, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. Perceval GAILLARD, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Catherine HERVIEU, M. Frantz GUMBS, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Emmanuel MAUREL, Mme Delphine LINGEMANN, M. Stéphane MAZARS, Mme Farida AMRANI, M. Philippe NAILLET, Mme Julie LAERNOES, M. Mikaele SEO, M. Damien GIRARD, Mme Zahia HAMDANE, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Marc PENA, M. Paul CHRISTOPHLE, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Peio DUFAU, M. Stéphane BUCHOU, Mme Estelle MERCIER, M. Jean-Victor CASTOR, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Claudia ROUAUX, Mme Mélanie THOMIN, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sandrine JOSSO, Mme Josy POUEYTO, M. Jean-Hugues RATENON, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Émeline K/BIDI, M. Pouria AMIRSHAHI,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 13 mai 2025, à l’occasion d’une séance de questions au Gouvernement à l’Assemblée nationale, les députés Max Mathiasin et Olivier Serva, par la voix de Laurent Panifous, président du groupe Liberté, Indépendants, Outre‑mer et Territoires (LIOT), interpellaient le Premier ministre, François Bayrou, demandant l’abrogation du Code noir :

« Oui, la France a déclaré la traite négrière « crime contre l’humanité ». Oui, nous avons une « journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions » : le 10 mai. Oui, nous avons une « journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial » : le 23 mai. Mais, non, la France n’a jamais abrogé le Code noir. »

Il est important de noter que le Code noir est un recueil d’édits royaux promulgués entre 1685 et 1724. Le terme « Code noir » est employé après la promulgation des derniers édits donnant ainsi lieu à une codification. Le premier texte est l’Édit du Roy de mars 1685 « concernant les esclaves nègres des îles françaises de l’Amérique ». Son élaboration est attribuée à Jean‑Baptiste Colbert alors secrétaire d’État à la Marine. Ce travail est parachevé par son fils, Jean‑Baptiste Antoine Colbert, marquis de Seignelay. Il ne concerne que les Antilles françaises où il a été enregistré par le Conseil souverain de ces territoires en 1685, et par celui de Guyane en 1704. En raison de la conquête d’autres territoires, de nouveaux édits royaux ont été élaborés afin d’y encadrer la traite négrière. Ainsi, le roi Louis XV a promulgué l’Édit royal de décembre 1723, enregistré et appliqué par le Conseil souverain des îles Mascareignes comprenant l’île de la Réunion et l’île Maurice. L’Edit de mars 1724, dernier en date, visait quant à lui la Louisiane. Les différents édits étaient enregistrés par les autorités locales et non par le Parlement de Paris, posant ainsi le fondement du droit colonial. Le Code noir est donc un recueil de textes qui a évolué au fil du temps, selon les colonies et selon les éditeurs.

Toutefois, le Code noir n’est pas qu’un simple recueil historique. C’est le symbole marquant d’un crime, la pierre angulaire d’un système fondé sur l’avilissement et le commerce d’êtres humains. À une époque où le servage était interdit dans le Royaume de France, le Code noir a institutionnalisé la déshumanisation et l’asservissement d’hommes, de femmes et d’enfants en les réduisant au statut de bien meuble. Ainsi, l’article 44 de l’Edit de mars 1685 définit le statut juridique des esclaves : « Déclarons les esclaves être meubles […] ».

Sous ce cadre juridique, une économie florissante s’est développée, fondée sur l’exploitation des esclaves au profit des maîtres, des négriers, des gouverneurs et du royaume de France lui‑même. Avec l’instauration du Code noir, les logiques de propriété et de déshumanisation prévalent. Cette déshumanisation sert de justification aux sévices et châtiments corporels encadrés par l’article 42 de l’Edit de mars 1685 : « Pourront pareillement les maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mérité, les faire enchaîner et les faire battre de verges ou de cordes […] » Et pour l’esclave qui ose s’échapper de cette condition, le nègre marron, l’article 38 de ce même édit dispose : « L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. »

L’esclave ne pourra acquérir la personnalité juridique qu’en cas d’affranchissement rendu possible par son arrivée en métropole ou par le mariage à un homme libre, selon l’article 9 : « Les hommes libres qui auront eu un ou plusieurs enfants de leur concubinage avec des esclaves, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, seront chacun condamnés en une amende de 2 000 livres de sucre, et, s’ils sont les maîtres de l’esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons, outre l’amende, qu’ils soient privés de l’esclave et des enfants et qu’elle et eux soient adjugés à l’hôpital, sans jamais pouvoir être affranchis. N’entendons toutefois le présent article avoir lieu lorsque l’homme libre qui n’était point marié à une autre personne durant son concubinage avec son esclave, épousera dans les formes observées par l’Église ladite esclave, qui sera affranchie par ce moyen et les enfants rendus libres et légitimes. »

Le Code noir établit d’autres restrictions à l’encontre des esclaves, comme l’impossibilité, instaurée par l’article 28, de détenir un bien : « Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres ; et tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libéralité d’autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs pères et mères, leurs parents et tous autres y puissent rien prétendre par successions, dispositions entre vifs ou à cause de mort ; lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef. »

Les atermoiements de l’État pour reconnaître pleinement ce passé douloureux alimentent un climat de défiance et la construction de revendications au sein des populations ultramarines. Les structures socioéconomiques et culturelles de nos sociétés post‑esclavagistes sont conditionnées par ce passé.

Cette démarche ne cherche pas uniquement à « se souvenir », mais à restituer le passé comme réponse au présent. Elle réinscrit la mémoire dans une logique de Justice.

Les auteurs de la proposition de loi ont voulu, durant le mois de mai, « mois des mémoires », rappeler à tous l’existence du Code noir, une norme coloniale laissée dans l’angle mort du droit. Le poids mémoriel de cette période, renforcé par les mobilisations, leur a permis de relayer une revendication jusque‑là perçue comme marginale : l’abrogation du Code noir qui, bien qu’inappliqué, demeure en vigueur.

Car contrairement à une idée reçue, le Code noir n’a jamais été abrogé, ni lors de la première abolition de l’esclavage du 4 février 1794, ni lors de la seconde du 27 avril 1848 : la pratique est tombée en désuétude mais pas les textes qui l’instituaient.

Cette « anomalie historique », selon les propres termes du Premier ministre lors de sa réponse à la question au Gouvernement précitée, appelle à la réconciliation entre la France hexagonale et ses anciennes colonies.

La reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, consacrée par la loi Taubira du 21 mai 2001, a constitué une étape fondamentale ; mais sans l’abrogation du Code noir, le processus historique demeure incomplet.

L’abrogation du Code noir apparait donc comme un acte de Justice pour rétablir dans leur dignité ces hommes, ces femmes et ces enfants qui ont été arrachés à leur terre d’Afrique, déportés dans les colonies françaises et mis en esclavage.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

 

Aussi, l’article 1er est une disposition d’ordre général, visant à abroger le « Code noir » ou « Édit du Roy » réglementant les conditions de vie et le statut des esclaves des colonies françaises de l’époque, ainsi que toutes les dispositions, avec leurs différentes variantes, versions ou éditions, en lien avec ce texte royal de mars 1685.

L’article 2 vise à demander au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement permettant de lister tous les textes issus du droit colonial, pris entre la première édition du Code noir en 1685 et la départementalisation en 1946, en précisant celles en vigueur dans les territoires d’Outre‑mer à la date d’abrogation prévue à l’article 1er de la présente loi. Ce rapport analyse, notamment, les conséquences contemporaines de l’application de l’ensemble des dispositions dans la structuration et le développement socioéconomique, culturel et environnemental de ces territoires.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le Code noir ou Édit du Roy sur les esclaves des îles de l’Amérique de mars 1685 et l’ensemble des dispositions de toute nature qui en découlent, en constituent le prolongement ou en assurent l’application, sont abrogés.

Article 2

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport dressant la liste des dispositions issues du droit colonial depuis 1685 jusqu’à 1946, en précisant celles en vigueur dans les territoires d’Outre‑mer à la date d’abrogation prévue à l’article 1er de la présente loi. Ce rapport analyse, notamment, les conséquences contemporaines de l’application de l’ensemble des dispositions dans la structuration et le développement économique, social, culturel et environnemental de ces territoires.