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N° 1834

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

portant définanciarisation de la dette publique,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Hadrien CLOUET, Mme Mathilde PANOT, Mme Aurélie TROUVÉ, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il aura multiplié les efforts continus et serviles pour contenter l’oligarchie : Bayrou tombera quand même. Pointe avancée de la pression des possédants, les créanciers privés, qui acquièrent des obligations du trésor françaises comme toute autre marchandise. Soucieux de la rentabilité de ces obligations, ils exercent une pression constante sur les politiques publiques par le biais de la menace.

C’est donc au nom de la dette, de sa charge et de son volume, que François Bayrou a annoncé un plan de purge sociale sans précédent, visant à extorquer 44 milliards d’euros aux travailleurs, aux retraités, aux allocataires et aux contribuables – soit 650 euros par tête.

Pourtant, la situation est matériellement sous contrôle. La dette publique française est demandée sur les marchés. La charge d’intérêts est plus faible que dans les années 1990. Mieux encore, on a gagné de l’argent en termes réels durant l’année 2024 par l’endettement public, puisque le différentiel entre inflation et taux d’intérêt nominal est positif.

En réalité, la tentative de panique morale sur la dette française obéit à un double objectif. Le premier vise à justifier abstraitement des projets que la macronie dissimule dans ses cartons depuis 2017 : gel des salaires, destruction de pans entiers des services publics, réduction des pensions de retraites, « déprotection » sociale, liquidation des arrêts maladie… Le Gouvernement prétend que la dette serait causée par cet ensemble de dépenses. Rien n’est plus faux, dette et déficit proviennent de décalages entre les recettes et les dépenses sans objet particulier. La situation est uniquement causée par les baisses annuelles des prélèvements obligatoires de 62 milliards depuis 2017.

 Le second objectif, de classe, vise à garantir la rente que représente la dette publique française pour les prêteurs. Car depuis 2017, la macronie s’efforce délibérément d’augmenter le revenu des créanciers. Bruno Le Maire avait ainsi ressuscité les obligations du Trésor indexées sur l’inflation… en pleine crise inflationniste. Bilan, une hausse de 414 % des frais de ces bons du trésor par rapport aux anticipations initiales ! Ainsi, 11 % des obligations négociables d’État ont représenté 32 % des remboursements. Il s’agit d’une politique délibérée visant à « attirer les investisseurs » - dit de façon moins pudique pour enrichir une minorité !

Mais que fait notre dette publique sur les marchés, au lieu de demeurer sous contrôle démocratique et populaire ? Elle participe d’un grand commerce du crédit d’État, aux deux sens du terme, qui justifie des menaces perpétuelles et une alliance entre l’exécutif et les créanciers contre les intérêts populaires. Ce commerce a plus d’un siècle d’ancienneté, mais n’occupe la place prééminente qui lui est dévolue aujourd’hui que depuis quarante ans. Les agences de notation évaluent, par des méthodes et des diagnostics qui leur sont propres, la solvabilité et la crédibilité des émissions de dette de la majorité des États qui recourent à l’adjudication sur marché. Le marché de la notation est éminemment concentré, avec trois sociétés privées monopolistes, Standard & Poor’sMoody’s et Fitch, qui partagent un même logiciel libéral d’analyse des politiques publiques. Plus libérale est la politique, plus élevée est la note, plus faibles sont les taux d’intérêt.

Voici en tout cas le scénario idéal. Car en réalité, même en maintenant une note élevée, les pays concernés peuvent connaître une montée des taux d’intérêt, en fonction des comportements grégaires et des esprits animaux qui animent les créanciers privés. Le président Macron n’a pas lésiné dans ses contre‑réformes libérales, censées rassurer les marchés. Mais ceux‑ci ne sont jamais rassasiés : après des taux OAT 10 ans négatifs de juillet 2019 à septembre 2021, voilà qu’ils dépassent désormais 3,5 %. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Emmanuel Macron, le taux attendu de rendement actuariel d’une valeur du Trésor a pris 2,64 points à 1 an et 2,95 points à 10 ans. Cela reste largement soutenable pour l’économie française, une des plus solides d’Europe. Mais cela représente néanmoins une rente indue dont on peut récupérer une partie des sommes.

D’autant qu’au‑delà de l’aspect économique, on touche ici à un rapport à la démocratie bien particulier et au cœur des politiques libérales. Il s’agit bien de donner un droit de regard et de veto aux créanciers privés, en les autorisant à se coaliser contre notre pays, refuser d’acheter des bons du Trésor afin d’en forcer la hausse de cours, si les décisions ne leur conviennent pas. Pourtant, on peut gouverner autrement, en sortant la dette publique des marchés et, du même coup, en s’affranchissant du gouvernement informel et privé des créanciers.

Ainsi, de 1948 à 1966, la dette publique française était levée hors‑marché, via un circuit du Trésor qui impliquait un emprunt forcé permanent. Les établissements de crédit et bancaires avaient obligation de détenir un plancher de bons du Trésor. Ni offre, ni demande, ni enchère, ni négociation, ni agence de notation : une fraction de la dette publique est détenue de manière obligatoire, à un prix indiqué. Surtout, dans l’idée de lutter contre l’inflation, en « fléchant » une partie de leur portefeuille vers l’État, le dispositif retire des disponibilités aux banques et permet d’encadrer et guider leur allocation du crédit. Financement de l’État, contrôle du crédit et lutte contre l’inflation sont étroitement articulés. S’ils ne sont pas d’accord, les banquiers ont l’isoloir pour s’exprimer, comme tout le monde.

À partir de la Ve République, les hauts fonctionnaires sous influence anglo‑saxonne deviennent majoritaires dans le ministère des Finances, à l’instigation des conseillers néolibéraux du gaullisme. Les réformes Debré‑Haberer obligent l’État à trouver des acheteurs pour sa dette, plutôt que de contraindre les banques à la détenir. Pour investir, au lieu de forcer les banques à prêter la réserve qu’on exige d’elles à un taux imposé, on cherche un riche financier disposé à prêter et on négocie le taux d’intérêt avec lui. Dit autrement : la classe des créanciers privés peut désormais refuser de prêter au Trésor public si elle ne soutient pas la politique appliquée. Et voici l’État obligé de « vivre comme un emprunteur, c’est‑à‑dire à se poser les questions de l’emprunteur sur le coût de l’emprunt et le service de la dette », pour citer l’intellectuel libéral à l’origine de cette transformation, Jean‑Yves Haberer. Le contribuable est devenu la variable d’ajustement de la politique publique, le service public est devenu une charge à liquider, puisqu’il fait désormais plaire à la finance pour qu’elle accepte de prêter.

La contrainte du marché sur nos politiques est donc choisie. L’État décide de se lier les mains, comme l’a prouvé le rapport n° 2723 du 22 avril 2015 du député Nicolas Sansu, au nom de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Ce rapport a montré que la dette française est le résultat de politiques publiques. Les taux d’intérêt exorbitants, supérieurs à la croissance, expliquent un tiers de la hausse de l’endettement public depuis 1990. Tandis que les cadeaux fiscaux rémunèrent les mêmes ménages riches et fonds d’actifs, auxquels l’État démuni doit emprunter, expliquent les deux autres tiers. Dans ce cadre, la souscription d’obligations assimilables du Trésor (OAT) se mue en outil de pression sur les décisions publiques. Le gouvernement n’est plus à Matignon mais dans le comité d’administration des créanciers privés. Et quand la banque est libre, le citoyen ne l’est jamais tout à fait.

Le mur de l’argent : pour complaire aux créanciers privés de la dette et maintenir des taux bas…

– privatisation des autoroutes en 2005 ;

– suppressions de postes dans l’Éducation nationale en 2011 ;

– répression des Gilets jaunes en 2018 ;

– refus de reprendre la dette des hôpitaux en 2019 ;

– report de 2 ans de l’âge de départ à la retraite en 2023 ;

– plan d’austérité de 44 milliards en 2025.

Cette logique est dangereuse et sans fin. La dette coûte trop cher ? C’est qu’on ne plaît pas assez à la finance et qu’il faut donc la couvrir de cadeaux. Les taux demeurent trop hauts ? C’est que la finance se méfie encore. On souhaite ouvrir des écoles ou des hôpitaux ? Aucune utilité aux yeux des financiers qui rehaussent leurs taux d’intérêt, parfois même supérieurs à la croissance du pays.

La mise en marché de la dette oblige à des coupes sauvages dans les dépenses sociales et écologiques pour attirer de nouveaux prêteurs internationaux et maintenir les taux des prêteurs actuels. La dette détermine le gouvernement d’un pays : qui décide de la répartition de l’argent disponible et de son investissement dans le futur, décide que tel projet est valable tandis qu’un autre devrait être retiré. Des créanciers privés, non contents de s’enrichir en dormant, voudraient en plus remplacer les élus du peuple et décider des politiques de la France en petits comités.

Cette proposition de loi ouvre la voie au retour de la souveraineté du peuple, par le peuple et pour le peuple. Mieux vaut faire défaut à la finance qu’à nos compatriotes.

 


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proposition de loi

Article 1er

Au 1er janvier 2026, les établissements définis à l’article 2 sont tenus d’employer au moins 15 % de leurs fonds propres en obligations assimilables du Trésor.

Le pourcentage mentionné au premier alinéa du présent article peut être fixé à un niveau supérieur par décret du ministre chargé de l’économie et des finances.

Un décret fixe la liste, la périodicité et les modalités de transmission des documents justificatifs que les établissements concernés sont tenus de fournir.

Article 2

La présente loi est applicable :

1° Aux établissements de crédit agréés en qualité de banque ;

2° Aux établissements de crédit agréés en qualité de banque mutualiste ;

3° Aux établissements de crédit agréés en qualité de banque coopérative ;

4° Aux établissements de crédit agréés en qualité d’établissement de crédit spécialisé ;

5° Aux établissements de crédit agréés en qualité d’établissement de crédit et d’investissement ;

6° Aux établissements de crédit agréés en qualité de caisse de crédit municipal ;

7° Aux organismes de placement collectif et, le cas échéant aux sociétés de gestion auxquelles est déléguée la gestion de leurs portefeuilles ;

8° Aux entreprises d’assurance et aux entreprises de réassurance sur lesquelles l’État exerce son contrôle.

 

 


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.