N° 1835

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer une autorité unique de l’eau et de l’assainissement en Martinique,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Philippe NILOR,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, garanti par les Nations unies et reconnu comme objectif à valeur constitutionnelle en droit français.

Ce droit suppose l’existence d’un service public efficace, universel, équitable et accessible.

En Martinique, ce droit est fragilisé par des carences structurelles persistantes.

Rappel historique de la gestion de l’eau sur le territoire

En Martinique, l’alimentation en eau potable a connu un développement important après 1945 et en particulier lors de la mise en place de la départementalisation. Afin d’améliorer les conditions sanitaires des habitants de l’île de grands travaux sont lancés dans les années 1950. À Fort de France, le maire Aimé Césaire, met en place un réseau d’eau potable desservant la ville. Au sud, où la ressource est rare, des travaux sont réalisés pour acheminer l’eau de la rivière blanche située au centre de la Martinique vers les communes du sud. À cet effet, une usine d’eau potable et un réseau d’adduction d’eau sont construits.

Paradoxalement le nord qui dispose de nombreuses ressources, n’a pas connu un même niveau de travaux d’infrastructures.

Face à l’ampleur des moyens humains et financiers nécessaires à la gestion des réseaux, les communes se regroupent. Dans les années 1950‑1960, trois syndicats intercommunaux dans le domaine de l’eau sont créés : le Syndicat intercommunal du centre et du sud de la Martinique (SICSM) comprenant seize communes : Saint‑Joseph, Le Lamentin, Ducos, Rivière‑Salée, Les Trois‑Ilets, Les Anses d’Arlet, Le Diamant, Sainte‑Luce, Rivière‑Pilote, Le Marin, Sainte‑Anne, Le Saint‑Esprit, Le Vauclin, Le François, Le Robert et La Trinité. Le Syndicat des communes de la Côte Caraïbe Nord‑Ouest (SCCCNO) comprenant sept communes : Case‑Pilote, Bellefontaine, Morne‑Vert, Le Carbet, Saint‑Pierre, Fonds‑Saint‑Denis, Le Prêcheur. Le Syndicat intercommunal des communes du Nord Atlantique (SCNA) comprenant sept communes : Sainte‑Marie, Le Marigot, Le Lorrain, Basse‑Pointe, Macouba, Ajoupa‑Bouillon et Grand‑Rivière.

La gestion communale est maintenue à Fort de France, Schoelcher, Morne‑Rouge et au Gros‑Morne.

L’histoire de la gestion de l’eau est marquée par la coexistence d’une gestion assurée par les communes et les syndicats intercommunaux.

En 2015, la loi NOTRe, accroît le rôle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre en matière d’eau et assainissement. Ce transfert de compétences s’effectue, en Martinique, dès 2004 par la CACEM (Communauté d’agglomération du centre de la Martinique), le 19 décembre 2014 par Cap Nord Martinique (Communauté d’agglomération du Pays Nord Martinique) et le 2 juin 2015 par la CAESM (Communauté d’agglomération de l’espace sud de la Martinique).

Le morcellement institutionnel entre plusieurs EPCI sur un territoire insulaire impacté par des aléas climatiques de plus en plus violents, où les ressources en eau sont inégalement réparties dans le temps et dans l’espace, nuit à la cohérence d’ensemble, retarde les investissements, et fragilise la gouvernance.

En 2015, un travail d’évaluation a permis d’estimer à 181,5 millions d’euros les besoins d’investissement pour la modernisation de l’eau potable (production, stockage, transfert, distribution) et à 83,5 millions d’euros pour l’assainissement collectif.

Le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux de Martinique 2016‑2021 préconisait déjà : « Une gestion unique de l’eau à l’échelle de la Martinique doit être mise en place. Les objectifs sont de favoriser l’interconnexion et la solidarité inter bassin, d’améliorer la gestion, l’utilisation et la mutualisation des ressources et de faciliter la mise en place d’investissements coordonnés. »

La manifestation de la volonté commune des acteurs de l’eau de définir une entité de gestion unique de l’eau s’est traduite par la signature de la convention cadre de territoire du 7 novembre 2023 signée par les 3 Communautés d’agglomération de la Martinique et la Collectivité Territoriale de Martinique.

Les élus territoriaux ont ainsi adopté, le 30 novembre 2023, la délibération n° 23‑452‑1 approuvant le principe de la création d’une autorité unique de l’eau pour la Martinique.

La situation se caractérise par la vétusté des réseaux, les pertes en eau dépassant 50 %, la faible capacité d’investissement, la qualité de vie des Martiniquais, la situation sanitaire, le développement économique ainsi que la préservation de l’environnement. Il est par conséquent urgent de remédier au problème structurel de la gouvernance de l’eau et l’assainissement et d’y apporter une réponse pérenne par la création de cette autorité unique souhaitée par tous depuis de nombreuses années.

Cette autorité aura pour vocation de :

– mutualiser les compétences et les ressources ;

– réduire les pertes en eau grâce à la réhabilitation des réseaux ;

– garantir l’accès universel à une eau potable de qualité et à un assainissement conforme ;

– instaurer une politique tarifaire unique et solidaire incluant un tarif social de l’eau ;

– planifier des investissements durables et adaptés au changement climatique.

La présente proposition vise à donner une assise législative à cette autorité unique de l’eau et de l’assainissement dont le champ d’action concerne l’intégralité du territoire de la martinique, et à permettre, à la suite du renouvellement des communautés d’agglomération prévu en 2026, son installation dans un délai raisonnable.

 


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proposition de loi

Article 1er

Il est créé en Martinique, le 1er janvier 2027, un établissement public local à caractère industriel et commercial, dénommé « Autorité unique martiniquaise de l’eau et de l’assainissement » (AUMEA).

L’AUMEA est constituée sous la forme d’un syndicat mixte ouvert régi par le chapitre Ier du titre II du livre VII de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales.

Sont membres de l’AUMEA :

– la communauté d’agglomération centre de la Martinique (CACEM) ;

– la communauté d’agglomération pays nord Martinique (CAP Nord Martinique) ;

– la communauté d’agglomération espace sud de la Martinique (CAESM) ;

– la collectivité territoriale de la Martinique (CTM).

Les statuts du syndicat mixte sont arrêtés par le représentant de l’État en Martinique, après avis des organes délibérants des membres de l’AUMEA. À défaut de délibération des organes délibérants dans un délai d’un mois à compter de la notification du projet de statuts, l’avis est réputé favorable.

Article 2

Les compétences eau et assainissement actuellement exercées par les Établissement public de coopération intercommunale et la collectivité territoriale de la Martinique sont transférées de plein droit à l’AUMEA.

Elle exerce les compétences relatives à :

– la production, le transport, le stockage et la distribution d’eau potable ;

– la collecte, le traitement et l’élimination des eaux usées ;

– la coordination des investissements et la gestion patrimoniale des infrastructures hydrauliques ;

– la définition d’une politique tarifaire harmonisée, intégrant un tarif social de l’eau ;

– la protection de la ressource et l’adaptation des services au changement climatique ;

– l’étude, l’intégration et la gestion des données géographiques concernant les réseaux.

Le transfert de compétences à l’AUMEA entraîne de plein droit l’application à l’ensemble des biens, équipements et services publics nécessaires à l’exercice de ses compétences, ainsi qu’à l’ensemble des droits et obligations qui leur sont attachés.

Article 3

L’AUMEA est administrée par :

I. – Un comité syndical composé de représentants :

– de la collectivité territoriale de la Martinique (CTM) ;

– des établissements publics de coopération intercommunale de Martinique.

II. – Une commission consultative permettant d’associer les usagers et les acteurs locaux, conformément à l’article L. 1413-1 du code général des collectivités territoriales.

Article 4

La présente proposition de loi n’a pas pour effet de créer une charge nouvelle pour l’État.

L’AUMEA se substitue aux structures existantes, dans une logique de rationalisation des moyens existants, sans incidence sur les dépenses de l’État ni sur les recettes des administrations publiques.

Article 5

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.