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N° 1840
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à étendre le dispositif du permis de louer aux outre-mer,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Karine LEBON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Jean-Hugues RATENON, M. Philippe NAILLET, Mme Alma DUFOUR, Mme Isabelle SANTIAGO, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Laurent LHARDIT, M. Damien GIRARD, M. Mickaël BOULOUX, Mme Claudia ROUAUX, M. Inaki ECHANIZ, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Estelle MERCIER, M. Denis FÉGNÉ, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Danielle SIMONNET, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Farida AMRANI, M. Paul VANNIER, M. René PILATO, Mme Clémence GUETTÉ, M. Abdelkader LAHMAR, M. Matthias TAVEL, M. François PIQUEMAL, M. Christophe BEX, M. Emmanuel FERNANDES, M. Arnaud LE GALL, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Julien BRUGEROLLES, Mme Elsa FAUCILLON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU, Mme Eva SAS, M. Boris TAVERNIER, M. Emmanuel MAUREL, M. Yannick MONNET, Mme Mathilde HIGNET, M. Davy RIMANE, M. Pierre-Yves CADALEN,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans les territoires d’outre‑mer, de nombreuses familles vivent encore aujourd’hui dans des logements dégradés. Certaines habitations laissent passer la pluie, d’autres souffrent d’un manque d’aération ou d’équipements essentiels. L’humidité, l’insécurité électrique, la présence de nuisibles ou l’absence de raccordement à l’eau sont autant de réalités qui compromettent le bien‑être quotidien. Ces situations concernent des enfants, des personnes âgées, des travailleurs, des familles entières. Elles touchent directement à la santé, à la dignité, à la stabilité de milliers de citoyens. Cette forme de vulnérabilité résidentielle contribue à l’isolement social, fragilise les parcours de vie et rend plus difficile l’accès aux droits. Elle appelle une réponse claire et structurée.
À La Réunion, la Fondation pour le logement des défavorisés dénombre plus de 22 000 habitations précaires dans son rapport sur le mal‑logement présenté en avril 2025. Dans son dernier rapport sur la politique du logement dans les outre‑mer, le Sénat identifie environ 110 000 logements concernés par des situations d’habitat indigne dans l’ensemble des territoires ultramarins, soit plus de 13 % du parc. Ces chiffres traduisent une réalité persistante et systémique : des logements sans eau potable, sans ventilation, sans raccordement correct à l’électricité, infestés de nuisibles ou exposés à l’humidité permanente. Ce sont des environnements où la santé se dégrade, où les enfants tombent malades, où l’on perd pied dans la vie sociale. Ce sont aussi des lieux où les pouvoirs publics, faute d’outils adaptés, interviennent trop tard.
Le droit au logement décent figure pourtant dans notre droit et est garanti par l’article 1er de la loi n° 90‑449 du 31 mai 1990. Il constitue une garantie fondamentale, indissociable de l’égalité entre les citoyens. Dans ce contexte, les collectivités territoriales doivent pouvoir agir avec efficacité et anticipation. Le permis de louer leur donne cette capacité.
Instauré par la loi ALUR, puis renforcé par la loi ÉLAN, le permis de louer permet à une commune de conditionner la mise en location d’un logement à une autorisation préalable ou à une déclaration, dans un périmètre défini. L’objectif est d’empêcher qu’un logement dangereux, insalubre ou non conforme soit loué sans contrôle. Le dispositif permet de bloquer la location d’un bien avant qu’un bail ne soit signé, avant qu’un locataire ne soit mis en danger, avant que les services sociaux ne soient appelés en urgence. Plusieurs villes de France continentale l’utilisent avec efficacité. À Sevran, Marseille, Dunkerque, des quartiers entiers ont pu engager une dynamique de requalification. Des propriétaires ont réalisé des travaux qu’ils repoussaient depuis des années. Les signalements ont diminué, démontrant ainsi qu’un nombre plus important de personnes ont pu trouver un logement digne.
La logique qui sous‑tend ce dispositif est claire : prévenir l’indignité plutôt que la réparer. Trop souvent, les collectivités doivent intervenir une fois le bail signé, une fois le logement occupé, une fois le préjudice subi. Les contentieux sont longs, coûteux, douloureux. Le permis de louer inverse la logique. Il invite à la responsabilité en amont. Il redonne aux collectivités un pouvoir de vigilance qui leur a trop longtemps manqué.
Pourtant, ce même outil reste inaccessible aux communes ultramarines. Le code de la construction et de l’habitation, à travers son article L.661‑1, ne prévoit pas l’application des articles encadrant le permis de louer dans ces territoires. Cette exclusion n’a pas été décidée en conscience. Elle ne repose sur aucune évaluation spécifique des besoins ultramarins. Elle résulte d’une omission technique, restée sans correction depuis l’adoption du dispositif. Ce silence juridique crée une inégalité manifeste. Il interdit à des maires, à des équipes municipales volontaires, de protéger leur population comme le font déjà leurs homologues dans l’Hexagone. Il freine des dynamiques locales d’amélioration de l’habitat. Il empêche des politiques ambitieuses de prévention, alors que les besoins y sont les plus aigus.
À Saint‑Paul de La Réunion, les États généraux du logement et de l’habitat du 23 juin 2025 ont mis en lumière un large consensus en faveur du permis de louer. Les acteurs de terrain, les élus, les associations, les professionnels de l’habitat réclament cet outil. Ce qu’ils demandent, c’est un alignement sur le droit commun existant et ainsi pouvoir mettre un terme à la location de logements indignes.
Dans les territoires ultramarins, les conditions d’application du droit du logement sont souvent rendues plus complexes par l’éloignement géographique, le sous‑investissement chronique dans les services de l’État, la rareté des diagnostics techniques et la dispersion du bâti en zones rurales ou montagneuses. Ces spécificités renforcent la nécessité de donner aux collectivités locales des outils adaptés, souples, territorialisés. Le permis de louer peut parfaitement s’inscrire dans cette logique : il permet à chaque commune de définir elle‑même les zones concernées, les types de logement ciblés, les modalités de contrôle. Il respecte la libre administration locale tout en renforçant la protection des habitants.
La présente proposition de loi n’impose rien aux communes ultramarines : elle ouvre une possibilité. Mais conférer un pouvoir nouveau aux collectivités implique que l’État assume sa part d’accompagnement. L’adoption de cette loi devra s’accompagner d’un engagement de l’État à fournir un soutien technique et financier aux communes volontaires. Cet appui pourra prendre la forme d’une aide à l’ingénierie pour structurer les services, de la création de grilles de contrôle adaptées aux spécificités locales (climatiques, matériaux de construction, etc.), ainsi que de la mise en place d’une plateforme de partage des bonnes pratiques entre les communes ultramarines.
Dans le même esprit, il est essentiel de souligner que le permis de louer n’a pas vocation à être une mesure punitive pour les propriétaires. Il doit s’accompagner de dispositifs de soutien pour faciliter la mise en conformité des logements : accès promu et facilité aux aides à la rénovation, nationales ou locales (ANAH, etc.), guichets de conseil technique et d’aide au montage de dossiers de subvention, partenariats avec les artisans locaux afin d’assurer la qualité des travaux de réhabilitation.
Certaines critiques ont été formulées à l’encontre du permis de louer, notamment sur le risque de retrait de biens du marché ou sur la charge administrative imposée aux propriétaires. Ces inquiétudes doivent être entendues. Les communes pourront mettre en œuvre le dispositif de manière progressive, par quartiers ou par types de logements, et accorder aux propriétaires un délai raisonnable mais ferme pour réaliser les travaux, privilégiant ainsi la logique de dialogue et d’accompagnement plutôt que de sanction immédiate. Les expériences en France continentale montrent que ces mécanismes fonctionnent : la majorité des propriétaires s’engagent dans la démarche de mise en conformité, et le parc locatif s’améliore globalement.
Enfin, afin d’asseoir la confiance dans l’efficacité du dispositif, la présente proposition de loi suggère une clause d’évaluation. Dans un délai de cinq ans après la promulgation, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport évaluant le déploiement du permis de louer dans les territoires d’outre‑mer, son efficacité dans la lutte contre l’habitat indigne, et ses impacts sur les marchés locatifs locaux.
En permettant cette extension, la République tient parole. Elle refuse que ses principes restent lettre morte là où la détresse est la plus visible. Elle reconnaît que la lutte contre l’habitat indigne ne repose pas uniquement sur des déclarations, mais sur des moyens concrets, sur la volonté d’agir, sur l’égalité d’outillage juridique. Le droit au logement digne ne saurait connaître de frontières au sein de la République.
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proposition de loi
Article 1er
À la seconde phrase de l’article L. 661‑1 du code de la construction et de l’habitation, après la référence : « L. 631‑9 », sont insérés les références : « L.635‑1 à L.635‑11 ».
Article 2
Dans un délai de cinq ans après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant le déploiement du permis de louer dans les territoires d’outre‑mer, son efficacité dans la lutte contre l’habitat indigne et ses impacts sur les marchés locatifs locaux.