N° 1845

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à réguler les activités de courtage en énergie et à renforcer la protection des consommateurs,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Hervé SAULIGNAC,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La libéralisation du marché français de l’énergie, entamée à la fin des années 1990, s’est soldée par la réorganisation d’EDF‑GDF et la fin du monopole de l’entreprise survenue en 2007. Le marché de l’énergie a ainsi fait émerger un grand nombre de « fournisseurs alternatifs », tant de gaz naturel que d’électricité, et, par voie de conséquence, de nouvelles offres commerciales à destination des consommateurs, particuliers comme professionnels.

La libéralisation du marché a permis d’accroître la compétitivité de ces offres. Elle s’est accompagnée d’une augmentation drastique des pratiques commerciales frauduleuses ou trompeuses, qu’elles soient le fait de fournisseurs d’énergie, de leurs mandataires, de représentants ou d’agents indépendants de courtage en énergie.

Ainsi, en 2019, 61 % des consommateurs avaient fait l’objet d’au moins une opération de démarchage téléphonique par un fournisseur d’énergie. La voie téléphonique représentait, en outre, 75 % des opérations de démarchage en matière énergétique.

Ces dérives ne sont pas imputables à tous les fournisseurs. Néanmoins, certains d’entre eux se livrent à des pratiques qui justifient pleinement la nécessité d’encadrer sans délais l’exercice de leur activité. Ainsi, le Médiateur de l’Energie relevait que, sur l’année 2023, trois fournisseurs alternatifs (WeKiwi, Mint Energie et OHM Energie) concentraient 18 % des litiges recevables enregistrés.

Si ces litiges ont marqué le pas à la faveur de la crise énergétique, faute d’offre particulièrement compétitive sur le marché dans ce contexte, le Médiateur de l’Energie continue d’alerter sur les risques que des pratiques malveillantes font courir aux consommateurs. La fin des tarifs réglementés de vente du gaz naturel et de l’électricité crée par ailleurs, un contexte plus favorable encore à l’essor de ces pratiques.

Fausses argumentations, ventes forcées, tromperies, non‑respect du délai de rétractation, défaut d’information, etc. Ces manœuvres frauduleuses prospèrent et se développent hors de tout cadre législatif et réglementaire.

Si le courtage est très strictement encadré en matière bancaire, comme assurantielle, tel n’est pas le cas pour les activités de courtage en énergie. Elles ne sont soumises à aucune obligation d’inscription au registre national, aucune obligation de déclaration des intérêts économiques éventuels, aucun plafonnement des commissions, ni aucune obligation éthique ou déontologique dans la présentation des offres commerciales.

Un état de fait dont le magazine d’enquête « Cash Investigation » s’est fait l’écho dans son émission du 22 février 2024, mettant en évidence les tromperies et mensonges dont n’hésitent pas à user certains courtiers qui ont plongé particuliers et professionnels dans des situations d’endettement lourd, de précarité et de détresse.

Alors que la guerre en Ukraine a démontré la forte vulnérabilité du marché énergétique face aux crises, ce sont les particuliers mais plus encore les très petites entreprises (TPE), qui sont les plus fortement touchés par la hausse des prix. Les quelques 1 100 faillites de boulangeries recensées entre novembre 2022 et octobre 2023 - soit une augmentation annuelle de plus de 48 % de ces procédures - en sont la preuve, s’il en fallait.

Dans ce contexte, le faible niveau d’information dont disposent les consommateurs à l’égard du fonctionnement du marché de l’énergie, couplé à la complexité - voire l’opacité - des contrats de fourniture d’énergie, en font des cibles privilégiées pour des courtiers peu scrupuleux, et tout particulièrement dans le cas du marché de l’électricité.

Si de grandes entreprises ou collectivités publiques disposent de services spécialisés et d’une expertise juridique et commerciale, les particuliers et les TPE sont les plus exposés à la voracité de courtiers qui usent de tous moyens, qu’il s’agisse de démarchage physique ou téléphonique ou bien encore de plateformes numériques qui, sous couvert de comparateur de prix, visent en réalité à capter des prospects.

L’absence de cadre législatif et réglementaire constitue aujourd’hui un frein à la protection des consommateurs. D’abord en amont, compte tenu de la faiblesse des informations prodiguées et de l’usage de pratiques commerciales trompeuses. Ensuite en aval de la conclusion des contrats de fournitures d’énergie dont les frais de résiliation ne sont parfois pas mentionnés, dont les tarifications dynamiques ne sont pas clairement connues et pour lesquels le niveau de rémunération des courtiers reste confidentiel. Ce vide juridique fait reposer sur le seul fondement du droit commun des pratiques commerciales trompeuses et le moyen d’ester en justice pour les victimes.

Le retard pris par la France dans la transposition de la directive 2024/1711 du Parlement européen et du Conseil renforce cette insécurité juridique, notamment au regard des exigences qu’elle porte en matière de gestion des risques fournisseurs, de clarté des conditions contractuelles et de prescription de principe des frais de résiliation anticipée.

L’objet de la présente proposition de loi est donc de réguler l’activité de courtage en énergie en l’encadrant par des obligations déontologiques et de renforcer l’information et la protection des consommateurs.

L’article 1er insère les activités de courtage en énergie dans le code de commerce et en précise la définition. Il met en œuvre la responsabilité civile des fournisseurs ayant recours aux activités de courtage en énergie. Il prévoit l’inscription obligatoire de tous les courtiers en énergie sur un registre national dédié. Il fixe les obligations déontologiques incombant aux courtiers en énergie dans le cadre de l’exercice de leur activité commerciale, de façon à améliorer le niveau d’information des prospects et prévoit la résiliation d’un contrat qui ne respecterait pas ces obligations déontologiques et d’information.

L’article 2 étend à 2 mois le délai de renouvellement des contrats de fourniture d’énergie.

L’article 3 vise à étendre les sanctions applicables par l’autorité administrative aux fournisseurs d’énergie ainsi qu’à leurs mandataires ou représentants qui ne respecteraient pas leur devoir d’information claire, loyale et circonstanciée.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du Titre III du Livre Ier du code de commerce est ainsi modifié :

1° L’article L. 131‑1 est complété par les mots : « et des courtiers en énergie » ;

2° Après l’article L.131‑5, il est inséré un article L. 131‑6 ainsi rédigé :

« Art. L. 1316. – Les courtiers en énergie, tels que définis à la section 3 du présent chapitre, doivent être immatriculés sur un registre unique des courtiers, qui est librement accessible au public.

« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’immatriculation sur ce registre et détermine les informations qui doivent être rendues publiques, ainsi que les modalités de sa tenue par un organisme doté de la personnalité morale et composé de membres issus des domaines de la fourniture d’énergie et de la finance.

« Un commissaire du Gouvernement est désigné auprès de cet organisme. Sa mission et les modalités de sa désignation sont définies par le décret prévu au deuxième alinéa du présent article. » ;

3° Est ajoutée une section 3 ainsi rédigée :

« Section 3

« Des courtiers en énergie

« Sous‑section 1

« Définition

« Art. L. 13136. – I. – Le courtage en énergie est l’activité d’intermédiaire entre le fournisseur d’énergie et le consommateur final, qui consiste à fournir des recommandations sur des contrats de fourniture d’énergie, à présenter, clarifier, proposer ou aider à conclure ces contrats ou à réaliser d’autres travaux en vue de leur conclusion, ou à contribuer à leur gestion, en échange d’une rétribution financière versée par le fournisseur.

« 1° Relèvent également du courtage en énergie les activités :

« a) De fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats de fourniture d’énergie selon des critères choisis par le souscripteur par tout moyen de communication électronique ;

« b) L’établissement d’un classement des différentes offres commerciales proposées par les fournisseurs d’énergie, lorsque le souscripteur peut conclure le contrat directement ou indirectement par tout moyen de communication électronique, dès lors que cette prestation donne lieu à une rétribution financière versée par le fournisseur ;

« 2° Ne relèvent pas du courtage en énergie les activités :

« a) de fourniture d’informations à titre occasionnel dans le cadre d’une activité professionnelle lorsque le fournisseur ne prend pas d’autres mesures en vue de la conclusion ou de la résiliation d’un contrat de fourniture d’énergie ou lorsque ces activités n’ont pas pour objet d’aider le souscripteur à conclure ou résilier un contrat de fourniture d’énergie ;

« b) consistant exclusivement en la gestion, l’évaluation, le conseil et le règlement des sinistres ;

« c) de simple fourniture d’informations sur des contrats de fourniture d’énergie, sur un intermédiaire de fourniture d’énergie, une entreprise de fourniture d’énergie à des souscripteurs potentiels, lorsque le fournisseur ne prend pas d’autres mesures pour aider le souscripteur à conclure un contrat de fourniture d’énergie ;

« d) d’assistance à maîtrise d’ouvrage.

« II. – L’employeur ou le mandant du courtier en énergie est civilement responsable, conformément à l’article 1242 du code civil, du dommage causé par la faute, l’imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés, pour l’application du présent article, comme des préposés, nonobstant toute convention contraire. 

« Sous‑section 2

« Des obligations déontologiques des courtiers en énergie

« Art. L. 13137. – Les courtiers en énergie se comportent d’une manière honnête, équitable, et transparente. Ils tiennent compte des droits et intérêts de leurs clients, y compris des clients potentiels.

« Ils sont tenus d’observer les règles de déontologie fixées par décret après avis de la Commission de régulation de l’énergie. Celles‑ci prévoient notamment les obligations à l’égard de leurs clients pour leur assurer une bonne information et le respect de leurs intérêts.

« Ils sont tenus de déclarer à leurs clients les intérêts économiques éventuels dont ils disposent auprès des entreprises de fourniture d’énergie, et notamment s’ils sont soumis à des obligations contractuelles de travailler exclusivement pour certaines entreprises de fourniture d’énergie. Ils informent leurs clients et prospects du niveau de rémunération que leur assure la conclusion d’un tel contrat.

« Les fournisseurs et leurs mandataires ou représentants s’assurent que les clients avec lesquels ils souscrivent un contrat ont bien une connaissance précise et détaillée des conditions contractuelles de l’offre à laquelle ils souscrivent, au regard, notamment, du prix total de l’offre et de sa composition, du niveau de couverture assuré par le fournisseur, des stratégies mises en œuvre afin de limiter les risques de défaillance et des pénalités auxquelles ils s’exposent en cas de résiliation anticipée de leur contrat. Pour toute nouvelle souscription, les fournisseurs et leurs mandataires ou représentants recueillent une mention manuscrite explicite de leur client à ce sujet. 

« Art. L. 13138. – Lorsque les obligations déontologiques et d’information du consommateur énoncées à l’article L. 131‑37 n’ont pas été respectées, il peut être procédé de plein droit à la résiliation du contrat de fourniture d’électricité ou de gaz naturel à la demande expresse du souscripteur.

« Dans ce cas, par dérogation aux dispositions de l’article L. 332‑2 du code de l’énergie, les frais de résiliation anticipée prévus par le contrat ne peuvent être facturés au souscripteur.

« Dans un délai d’un mois à l’issue de la résiliation, les charges inhérentes à la maintenance de l’offre en énergie précédemment conclue restent à la charge du fournisseur.

« L’action récursoire peut être exercée par le fournisseur à l’encontre des vendeurs ou intermédiaires successifs, selon les principes du code civil. ».

« Sous‑section 3

« Conditions d’application

« Art. L. 13139. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application de la présente section. ». 

Article 2

Le premier alinéa de l’article L. 224‑10 du code de la consommation est ainsi modifié :

1° Après le mot : « gaz, », la fin de la seconde phrase est ainsi rédigé : « ce délai est porté à 2 mois » ;

2° Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Dans ce domaine, les projets envisagés de modification des dispositions contractuelles relatives aux modalités de détermination du prix de la fourniture, ainsi que les raisons, les conditions préalables et la portée de cette modification sont communiquées de manière à apporter une information loyale, complète et circonstanciée au souscripteur. Dans le cas où cette modification affecte les conditions d’indexation des prix, le fournisseur est tenu de proposer au souscripteur la souscription d’un nouveau contrat pour lequel il est tenu de recueillir un consentement explicite. »

Article 3

Le premier alinéa de l’article L. 333‑4 du code de l’énergie est ainsi modifié :

1° Après le mot : « prononcer », sont insérés les mots : « à l’encontre des fournisseurs d’énergie, de leurs mandataires ou représentants » ;

2° A la fin, les mots « ou réglementaire » sont remplacés par les mots : « , réglementaire ou eu égard à leur devoir d’information claire, loyale et circonstanciée relative ».