N° 1849

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer les exigences de qualification professionnelle pour l’ouverture d’un établissement de restauration rapide,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christelle D’INTORNI, M. Bernard CHAIX, M. Éric MICHOUX, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, M. Frank GILETTI, M. Maxime AMBLARD, M. Alexis JOLLY, M. Jérôme BUISSON, M. Romain BAUBRY, Mme Gisèle LELOUIS,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le développement de la restauration rapide constitue l’un des phénomènes les plus significatifs de la transformation des habitudes alimentaires en France. En 2023, selon les données du cabinet NPD Group, ce secteur représentait un chiffre d’affaires de 21,6 milliards d’euros, en progression de 6,7 % par rapport à l’année précédente.

Plus de 55 % des repas consommés hors domicile relèvent désormais de la restauration rapide. Ce segment dépasse ainsi la restauration traditionnelle en volume et en fréquence d’achat, avec plus de 2,2 milliards de repas servis sur l’année. Cette croissance est principalement portée par les établissements indépendants, qui représentent près de 68 % du tissu commercial hors franchises nationales.

Parmi ces établissements, les commerces de type kebab, pizzeria, tacos, sandwicherie ou restauration rapide dite ethnique connaissent une expansion particulièrement soutenue. En 2023, la France comptait plus de 11 000 établissements identifiés comme « kebabs », contre environ 3 500 en 2010, soit une multiplication par plus de trois en moins de quinze ans.

Dans certaines communes ou quartiers urbains, ce type de commerce représente plus de 60 % des établissements de bouche recensés sur la voie publique, souvent en situation de mono‑activité commerciale.

Contrairement aux métiers artisanaux de l’alimentation, tels que la boulangerie, la pâtisserie, la boucherie ou la poissonnerie, qui sont soumis à l’obligation de détenir un diplôme ou une qualification professionnelle reconnue, ces commerces de restauration rapide peuvent aujourd’hui être ouverts sans aucune formation préalable.

Il suffit de satisfaire aux obligations générales de déclaration d’activité et d’hygiène. Cette facilité d’accès ne manque pas d’avantages pour l’entrepreneuriat de proximité, mais elle soulève des préoccupations majeures sur les plans sanitaire, économique, social et sécuritaire.

1. Sur le plan sanitaire

Les données de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et des Directions départementales de la protection des populations (DDPP) font état d’un niveau de non‑conformité préoccupant.

En 2022, 32 % des établissements de type kebab contrôlés présentaient des manquements graves aux règles d’hygiène alimentaire, de conservation des denrées et de sécurité des équipements. Plus de 20 % d’entre eux ont fait l’objet d’une fermeture administrative ou de sanctions officielles.

De nombreux cas de toxi‑infections alimentaires collectives ont été recensés, souvent en milieu scolaire ou étudiant, en lien avec la consommation de produits issus de la restauration rapide.

Cette situation est d’autant plus alarmante que les consommateurs de ces produits sont souvent jeunes, précaires, ou contraints à des horaires décalés. Cela suppose une vigilance accrue quant à la qualité sanitaire de l’offre alimentaire accessible.

La maîtrise des normes d’hygiène, de la chaîne du froid, de la traçabilité des produits et des procédures de nettoyage ne saurait être laissée au hasard ni à l’intuition de l’exploitant, mais doit reposer sur un socle de compétences vérifiées.

2. Sur le plan économique

L’absence d’exigence de qualification favorise l’installation d’établissements précaires, aux modèles souvent fragiles, dont le taux de défaillance dans les trois premières années atteint près de 42 %, contre environ 25 % pour les boulangeries selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

Cette distorsion de traitement crée une situation de concurrence déloyale entre commerçants : là où les artisans doivent justifier d’une formation longue et coûteuse, les commerces de restauration rapide peuvent s’implanter sans aucune formation initiale.

Cette situation décrédibilise les filières de l’alimentation de qualité, fragilise les équilibres commerciaux locaux et affaiblit la valeur du travail qualifié.

3. Sur le plan social

La faible barrière à l’entrée de ces activités encourage des trajectoires entrepreneuriales souvent marquées par la précarité, l’isolement et le défaut d’accompagnement.

De nombreux exploitants sont peu informés de leurs obligations légales et contractuelles. Ils peuvent être victimes de baux déséquilibrés, de pressions commerciales ou de pratiques abusives au sein de certains réseaux non franchisés.

Ces fragilités sont à l’origine de nombreux litiges en matière sociale, fiscale ou commerciale.

4. Sur le plan sécuritaire et financier

Certains de ces établissements sont également soupçonnés ou identifiés comme des supports de blanchiment d’argent.

Les caractéristiques intrinsèques des commerces de restauration rapide – flux financiers essentiellement en espèces, comptabilité difficilement vérifiable, marges variables, faible bancarisation – en font des vecteurs propices à la dissimulation de revenus illicites ou à la réintégration dans le circuit légal de fonds issus d’activités criminelles.

Les rapports de la Direction générale des finances publiques, de Tracfin et de la Cellule de renseignement financier nationale (CRF) font état d’un nombre croissant de signalements portant sur ces activités.

En 2021, Tracfin a indiqué que plus de 17 % des signalements relatifs à des commerces alimentaires de détail hors grande distribution concernaient des établissements de restauration rapide.

Plusieurs enquêtes judiciaires ont mis en lumière des systèmes de fausse facturation, de dissimulation de recettes ou d’importation de produits non déclarés, liés à des structures de restauration rapide implantées dans des zones sensibles ou sur des flux à forte rotation.

Cette réalité, bien connue des services de l’État, porte atteinte à la transparence économique, à l’image des commerces de proximité et à l’équité du tissu commercial. Elle justifie une réponse législative proportionnée, préventive et ciblée.

Objet de la proposition de loi

La présente proposition de loi vise à remédier à cette situation en instaurant une obligation de qualification professionnelle minimale pour l’ouverture et l’exploitation d’un établissement de restauration rapide.

Cette exigence, alignée sur celle déjà en vigueur pour les autres métiers de bouche, permettra de garantir un niveau de compétence suffisant en matière d’hygiène, de sécurité alimentaire, de réglementation et de gestion d’entreprise.

Elle contribuera à la professionnalisation du secteur, à la qualité de l’offre et à la lutte contre les dérives les plus préoccupantes.

La possibilité de satisfaire à cette obligation par la justification d’une expérience professionnelle d’au moins trois ans permettra de prendre en compte les parcours atypiques, les reconversions et les autodidactes.

Ce dispositif n’est donc pas une barrière, mais une mesure d’élévation du niveau d’exigence, de responsabilisation et de transparence.

 


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proposition de loi

Article 1er

Après l’article L. 121‑1 du code de commerce, il est inséré un article L. 121‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 12111.   L’ouverture ou l’exploitation d’un établissement de restauration rapide est subordonnée à la détention, par le chef d’entreprise ou par au moins un salarié exerçant de manière permanente au sein de l’établissement, d’un diplôme, d’un titre ou d’une certification professionnelle enregistré au Répertoire national des certifications professionnelles, dans un domaine lié à la restauration, à l’alimentation ou à l’hygiène alimentaire.

« Un décret en Conseil d’État précise la liste des diplômes, titres ou certifications reconnus, ainsi que les modalités selon lesquelles une expérience professionnelle d’une durée minimale de trois années, dans des fonctions équivalentes, peut être reconnue comme équivalente. »

Article 2

L’article 16 de la loi n° 96‑603 du 5 juillet 1996 relative au développement du commerce et de l’artisanat est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Relèvent également du présent article les activités de restauration rapide mentionnées à l’article L. 121‑1‑1 du code de commerce, dès lors qu’elles comportent une activité de préparation, de transformation ou d’assemblage de denrées alimentaires en vue de leur vente immédiate. »

Article 3

Les personnes exploitant, à la date de publication de la présente loi, un établissement de restauration rapide disposent d’un délai de trois années pour se mettre en conformité avec l’obligation prévue à l’article L. 121‑1‑1 du code de commerce.

Article 4

Les modalités d’application de la présente loi, et notamment les modalités de contrôle, les procédures de régularisation et les sanctions applicables en cas de non‑respect de l’obligation prévue à l’article L. 121‑1‑1 du code de commerce, sont déterminées par décret en Conseil d’État.