N° 1874
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à la reconnaissance du fait syndical martiniquais,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Marcellin NADEAU, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Julien BRUGEROLLES, M. Jean-Victor CASTOR, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Il est une urgence : la reconnaissance du fait syndical martiniquais. En effet, avec l’émergence de multinationales qui s’installent sur le territoire de la collectivité martiniquaise, comme avec la constitution d’entreprises ou de filières de type oligopolistiques, bon nombre d’entreprises n’ont pas ou n’ont plus de représentants syndicaux locaux, alors même que ces syndicats locaux obtiennent une majorité de voix aux élections professionnelles.
De fait la spécificité martiniquaise n’est plus prise en compte, selon les organisations syndicales locales. « C’est le cas actuellement, de la multinationale de restauration collective Restalliance qui est en train de licencier une salariée sans pour autant que cette dernière soit en mesure d’être représentée localement », dénonce ainsi M. Philippe Pierre‑Charles de la Centrale démocratique martiniquaise du travail (CDMT). Il y voit une anomalie qui va à l’encontre des travailleurs martiniquais. C’est pourquoi les organisations syndicales Union syndicale autonome de Martinique (USAM), Centrale syndicale des travailleurs martiniquais (CSTM), CDMT et Union générale des travailleurs de la Martinique (UGTM) réclament une reconnaissance du fait syndical martiniquais, d’autant que dans bon nombre d’entreprises, les représentations du personnel ont tendance à disparaître.
Le contexte spécifique des dits outre‑mer, reconnu par les traités européens, par la Constitution française et par la loi, appelle en certains domaines, des mesures d’adaptation pour mieux tenir compte de la réalité des situations de terrain.
La question de la reconnaissance de l’originalité du fait syndical martiniquais, guadeloupéen, guyanais ou réunionnais, qui s’est forgée dans le cadre historique de la colonie, impose aujourd’hui une réponse appropriée et adaptée quant à l’appréciation de la représentativité des organisations syndicales locales dans ces départements, régions ou collectivités dits outre‑mer, caractérisés notamment par leur éloignement et leur insularité.
Loin d’être anecdotique, cette reconnaissance par l’État de la représentativité des organisations syndicales qui œuvrent localement outre‑mer est bien, pour les observateurs du fait social, comme la Session régionale 2000 de l’Institut national du travail (INT) l’avait démontrée, qui avait conduit en 2008 au dépôt d’une proposition de loi au Sénat par le sénateur Claude Lise ; puis comme l’avait concrétisée la loi Egalité réelle en 2017, par son article 9D, une condition incontournable de la modernisation du dialogue social outre‑mer.
Mais force est de constater que ces initiatives heureuses n’ont pas ou peu été suivies de concrétisation. Outre‑mer pourtant, la représentation des salariés dans les entreprises et les administrations souffre trop de cette absence de reconnaissance pleine et entière du fait syndical local outre‑mer.
Par voie de conséquence, les droits syndicaux sont réduits, les élections prud’homales partiellement vidées de leur portée, le droit du travail non appliqué dans certains de ses éléments pourtant considérés comme essentiels.
Les auteurs de cette proposition de loi font le constat que la crise sociale de la vie chère qui est apparue à nouveau ces derniers mois a fortement pâti de cette absence de démocratie sociale locale, condition même de toute démocratie politique.
Dès lors, une évolution du cadre légal est nécessaire qui, par la voie de l’adaptation législative, et de l’expérimentation pour la Martinique pour l’heure, doit permettre la libre expression originale des salariés des dits outre‑mer dans les instances départementales, en même temps que la reconnaissance nationale de ces organisations représentatives.
La législation, en effet, concernant le fait syndical (comme d’autres domaines), ne peut faire abstraction de l’évolution des mentalités et des pratiques, tant au niveau politique qu’administratif. Elle ne peut non plus admettre des atteintes flagrantes à l’équité et à la démocratie sociale, alors même que ces atteintes résultent pour une bonne part de l’ignorance des réalités du terrain.
Pour se moderniser, le dialogue social outre‑mer a besoin de règles claires, lisibles et cohérentes pour tous. La représentativité des organisations syndicales locales, à côté des organisations nationales, dans le contexte particulier de l’outre‑mer, est un premier élément constitutif de cette « lisibilité ». C’est pourquoi, à côté des organisations syndicales nationales représentatives, l’ambition de la présente proposition de loi est de créer la catégorie d’organisation syndicale représentative au niveau départemental ou de la collectivité d’outre‑mer, au même titre que ces dernières.
L’objectif est d’ouvrir des droits aux organisations syndicales représentatives au niveau départemental ou de la collectivité territoriale en Outre‑mer qui soient de même nature que ceux reconnus aux organisations syndicales représentatives nationales (participation aux élections professionnelles tant dans le public que dans le privé, représentation dans les organismes consultatifs et/ou paritaires traitant des questions concernant le département considéré, attribution de moyens de fonctionnement, droit de signer des conventions collectives départementales…).
Pour l’appréciation de la représentativité des organisations syndicales appelées à signer des conventions collectives, l’article L. 2232‑2 du code du travail retient les critères suivants :
1° Le respect des valeurs républicaines ;
2° L’indépendance ;
3° La transparence financière ;
4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation, appréciée à compter de la date légale de dépôt des statuts ;
5° L’audience établie selon les niveaux de négociation, conformément aux dispositions pertinentes du code du travail
6° L’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ;
7° Les effectifs d’adhérents et les cotisations.
La représentativité syndicale s’apprécie à quatre niveaux : l’entreprise et l’établissement ; le groupe ; la branche professionnelle ; le niveau national interprofessionnel. La reconnaissance de la représentativité nationale interprofessionnelle des syndicats est soumise à l’application de critères spéciaux fixés par l’article L. 2122‑9 du code du travail, en plus des critères généraux de représentativité énumérés plus haut.
De plus, la règle de concordance exige que la représentativité soit appréciée dans le cadre au sein duquel le syndicat entend exercer les prérogatives liées à la reconnaissance de cette qualité, qui est, par conséquent, appréciée au niveau où elle doit être reconnue. Par ailleurs, le monopole accordé par la loi aux organisations déclarées représentatives s’oppose à ce que des organisations non représentatives soient habilitées à négocier des conventions ou des accords.
Les règles de représentativité des syndicats qui, sur le territoire hexagonal, encadrent efficacement les relations conventionnelles, constituent, dans les départements d’outre‑mer, de véritables freins à l’établissement et au maintien d’un dialogue social efficace. En effet, les organisations syndicales actives en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique, ne remplissent pas, par définition, les critères leur permettant de négocier des accords ou des conventions collectives à champ d’application national, Pourtant, leur audience locale est comparable, en proportion, à celle des grandes confédérations syndicales dans l’ensemble du territoire national et il arrive qu’elles rassemblent le plus grand nombre de salariés aux élections professionnelles : c’est le cas actuellement en Guadeloupe. À l’inverse, le niveau d’affiliation des salariés ultramarins aux confédérations nationales est notoirement peu élevé.
La réalité des rapports de force syndicaux dans les outre‑mer où est applicable le code du travail métropolitain n’est guère compatible avec la situation juridique actuelle, où les confédérations nationales ont la maîtrise absolue, à supposer qu’elles s’y intéressent, de la décision sur l’applicabilité dans ces outre‑mer des conventions qu’elles signent et où les syndicats locaux ne peuvent intervenir dans la négociation sur l’extension de ces conventions dans leurs territoires ou sur l’adaptation aux conditions locales de leurs clauses.
La difficulté n’est pas nouvelle, elle était déjà expressément abordée – en quelques lignes – par M. Raphaël Hadas‑Lebel dans son rapport « Pour un dialogue social efficace et légitime » présenté en mai 2006 au Premier ministre ; comme déjà auparavant par M. Pascal Margueritte dans son rapport pour la Session régionale 2000 de l’INT, intitulé « Pour la modernisation du dialogue sociale à la Martinique ». Ils identifiaient déjà cette question en retenant que la représentativité des organisations syndicales pose des questions particulières dans les départements d’outre‑mer.
En Guyane, en Guadeloupe et en Martinique, où des confédérations nationales sont implantées, des confédérations syndicales ont cependant de fait une situation prépondérante dans la plupart des filières ou branches.
À La Réunion, la question ne se pose pas de la même manière que dans la Caraïbe. En effet, les organisations syndicales représentatives au niveau de l’hexagone ont des fédérations réunionnaises, la Confédération générale du travail de la réunion (CGTR) jouissant cependant d’une réelle autonomie d’action par rapport à la Confédération générale du travail (CGT).
La diversité de l’expression syndicale, manifestation normale de l’exercice d’un droit fondamental, se traduit malheureusement par des contestations sur la représentativité de chacune des organisations, dont certaines trouvent leur prolongement devant les tribunaux, et dont la conséquence est de rendre difficile le fonctionnement habituel des instruments de la négociation collective et du dialogue social dans les outre‑mer.
Il faut donc répondre à ces dysfonctionnements qui perdurent depuis de nombreuses années et empêchent la démocratie sociale de s’exprimer librement.
Les auteurs ont pris l’option volontaire de porter essentiellement la demande des syndicats martiniquais dans cette proposition de loi, mais s’autorisent si celle‑ci est concluante, à l’étendre également à l’ensemble des dits outre‑mer.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
I. – L’article L. 2121‑2 du code du travail est ainsi modifié :
1° Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En Martinique, et pour une durée de cinq années, la représentativité définie aux articles L. 2121‑1 et L. 2151‑1 est appréciée, pour les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs, selon le caractère spécifique de la de cette collectivité.
« Les organisations syndicales présentes au plan départemental sont représentatives de plein droit dès lors qu’elles répondent localement aux critères définis au II du présent article.
« Les organisations syndicales représentatives au niveau national sont de droit représentatives dans les départements d’Outre‑mer.
« L’appartenance à ces deux catégories ouvre notamment des droits de même nature tant dans le secteur public que dans le secteur privé pour la participation aux élections professionnelles, pour la représentation dans les organismes consultatifs ou paritaires traitant des questions concernant le département d’Outre‑mer considéré, pour l’attribution de moyens de fonctionnement, pour l’obtention d’agréments pour leurs instituts de formation, pour le droit de signer des conventions collectives départementales susceptibles d’extension dans le département concerné et, plus généralement, pour tout ce qui concerne l’exercice du droit syndical. »
II. – Pour une durée de cinq années, en Martinique, sont habilitées à négocier pour adapter au niveau du territoire mentionné au premier alinéa du I du présent article les conventions et accords collectifs de travail dont le champ d’application est national en application de l’article L. 2222‑1 du code du travail les organisations syndicales de salariés qui cumulativement :
1° Respectent les valeurs républicaines ;
2° Ont recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés résultant de l’addition au niveau d’un des territoires mentionnés au premier alinéa du I du présent article des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, des suffrages exprimés au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés dans les conditions prévues aux articles L. 2122‑10‑1 et suivants du code du travail ainsi que des suffrages exprimés aux élections des membres représentant les salariés aux chambres départementales d’agriculture dans les conditions prévues à l’article L. 2122‑6 du même code ;
3° Ont une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de la négociation. Cette ancienneté s’apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts.
III. – À l’issue de la période expérimentale de cinq années, le Gouvernement remet au Haut Conseil du dialogue social un rapport qui porte sur :
1° La participation des organisations mentionnées au premier alinéa du présent I aux instances de concertation et de dialogue social ;
2° Leur participation à la négociation des conventions collectives et des accords et à leur extension sur les territoires concernés ;
3° Leurs moyens humains et financiers, notamment l’accès aux crédits du fonds paritaire prévu à l’article L. 2135‑9 du code du travail ;
4° L’ensemble des voies d’amélioration de la couverture conventionnelle des salariés dans les territoires mentionnés au premier alinéa du présent I.
5° L’extension possible à l’ensemble des Outre‑mer des dispositions de la présente loi.
Ce rapport, accompagné des observations du Haut Conseil du dialogue social, est transmis au Parlement.
Article 2
La perte de recettes résultant pour l’État et les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.