N° 1877
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à reconnaître la grossophobie comme discrimination,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Romain DAUBIÉ,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En juillet 2025, Harmony Albertini, influenceuse, commande un cadeau d’anniversaire, dans le cadre d’un partenariat. Quelques jours plus tard, elle découvre une vidéo dans laquelle les artisans de la pâtisserie tiennent des propos insultants à son égard « le cachalot il va grossir », « salope », « grosse patate », « les grosses j’hésite pas à les clasher ». Ces propos rapportés à son poids, son apparence, portent atteinte à sa dignité et la stigmatisent publiquement. Mme Albertini souhaite alors déposer plainte pour discrimination, ce qui lui a été refusé.
En France, l’article 225‑1 du Code pénal prohibe toute discrimination fondée notamment sur l’apparence physique. Si cette disposition permet en théorie de sanctionner les discriminations subies par les personnes en raison de leur poids ou de leur corpulence, dans les faits, le terme « grossophobie » est absent du droit positif.
Cette invisibilisation contribue à la banalisation d’une violence quotidienne. Le Défenseur des droits, dans sa décision du 2 octobre 2019, a rappelé que les discriminations liées au poids devaient être sanctionnées. À également été souligné que le surpoids et l’obésité ont surtout un impact négatif sur l’emploi des femmes ([1])°. Dans les métiers de représentation où la morphologie est le premier critère, la marge d’appréciation devient de plus en plus sévère et peut pousser à la création de troubles alimentaires. Pour autant, l’absence d’une mention explicite du terme « grossophobie » dans la loi française, mais également en droit européen, limite la reconnaissance et la compréhension de ces atteintes spécifiques, tant pour les victimes que pour les institutions, contrairement aux États‑unis, où c’est d’ores et déjà reconnu comme un motif de discrimination.
La grossophobie ne se réduit pas à l’apparence physique : elle englobe l’atteinte à la dignité, les préjugés sur la santé et l’hygiène de vie, l’hypersexualisation ou la désexualisation, les discriminations dans l’accès aux soins, les obstacles dans l’espace public et les atteintes psychologiques et morales. Elle se manifeste régulièrement par des injonctions culpabilisantes non sollicitées.
Il est donc nécessaire d’inscrire expressément la grossophobie dans le code pénal comme critère de discrimination, afin de :
– nommer une réalité vécue par des millions de personnes,
– protéger réellement les victimes et leur offrir un cadre légal clair,
– responsabiliser les institutions du secteur,
– sanctionner les atteintes psychologiques, les humiliations et les exclusions,
– transformer durablement les représentations sociales.
La présente proposition de loi vise à introduire dans l’article 225‑1 du Code pénal une définition explicite de la grossophobie et à reconnaître son caractère discriminatoire.
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proposition de loi
Article 1er
L’article 225‑1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « physique », sont insérés les mots : « de leur poids, de leur corpulence ou de leur apparence physique liée à la taille de leur corps » ;
2° Sont ajoutés six alinéas ainsi rédigés :
« Constitue également une discrimination au sens du présent article, tout propos, comportement, traitement défavorable ou incitation portant atteinte à la dignité, à la santé, à la liberté ou à la considération d’une personne en raison de son poids, de sa corpulence ou de son apparence physique liée à la taille de son corps.
« Ces discriminations, désignées sous le terme de grossophobie, incluent notamment :
« – les préjugés portant sur la santé, l’hygiène de vie ou les capacités d’une personne en raison de sa corpulence ;
« – les insultes, humiliations, hypersexualisations ou désexualisation du corps qui en résultent en atteintes psychologies ou morales ;
« – les obstacles dans l’accès au soin, à l’emploi, à l’éduction et aux espaces publics résultant exclusivement de références au poids de la personne ;
« – l’incitation ou la pression à adopter une hygiène de vie ou un traitement non sollicité en se fondant uniquement sur le poids en excluant ou refusant d’inclure d’autres éléments médicaux. »
Article 2
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de douze mois suivant la promulgation de la présente loi, un rapport évaluant :
– l’ampleur des discriminations fondées sur le poids et la corpulence en France ;
– les actions de sensibilisation et de formation mises en œuvre dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’emploi ;
– les mesures à envisager pour rendre l’espace public et les services accessibles et inclusifs pour les personnes de toutes corpulences.
[1] Décision-cadre du Défenseur des droits, n°2019-205