N° 1880

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer une visite obligatoire de dépistage en santé mentale en classe de quatrième,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Soumya BOUROUAHA, M. Édouard BÉNARD, M. Julien BRUGEROLLES, M. Jean-Victor CASTOR, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Emmanuel MAUREL, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La santé mentale des jeunes est un pilier fondamental de leur avenir et de celui de notre société. Prendre soin d’eux aujourd’hui, c’est investir dans une société plus équilibrée et solidaire.

Cette proposition de loi s’inscrit dans le prolongement de nombreuses rencontres avec les jeunes des Conseils communaux des enfants de la 4ème circonscription de Seine‑Saint‑Denis pour qui le harcèlement scolaire et la santé mentale sont deux préoccupations majeures.

La crise de la covid‑19 a accentué les fragilités psychologiques préexistantes des adolescents et révélé les limites de notre système de santé en psychiatrie et pédopsychiatrie. Car l’adolescence est une étape particulière du développement humain qui marque la fin de l’enfance et l’entrée vers l’âge adulte. Pour l’OMS « c’est une période de transition qui se caractérise par un rythme de croissance élevé et par des changements biologiques et psychologiques importants ». Ces bouleversements engendrent une période de vulnérabilités psychologiques ; il serait donc irresponsable de ne pas y répondre.

Ainsi, en 2022, 41  % des collégiens présentaient un niveau de bien‑être mental insuffisant, soulignant l’ampleur et la gravité des défis auxquels cette tranche d’âge est confrontée. De plus, 14 % des collégiens sont aujourd’hui considérés à risque élevé de dépression, ce qui plaide en faveur d’un dépistage systématique au sein des établissements scolaires. Il est donc crucial que nous prenions pleinement conscience de ces enjeux, afin d’y répondre avec bienveillance. Accompagner nos enfants dans ces moments‑clés, c’est leur offrir les moyens de grandir sereinement, tant sur le plan scolaire que personnel et garantir à notre société les fondations solides pour l’avenir.

C’est précisément l’objectif de cette proposition de loi, qui reprend l’une des 35 préconisations issues de la mission flash sur « Le rôle de la médecine scolaire dans la lutte contre le harcèlement » présentée en juin 2024 à l’Assemblée nationale par les députées Virginie Lanlo et Soumya Bourouaha.

I.  La santé mentale des adolescents : un enjeu préoccupant et urgent

La santé mentale des jeunes Français constitue aujourd’hui un défi majeur, à la fois pour leur épanouissement personnel et pour la cohésion sociale. Le harcèlement scolaire, qui touche près d’un élève sur dix, est une cause majeure de ce mal‑être. En effet, comme l’expliquait le directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) lors d’une audition en mai 2024 : « Tout élève en France est témoin, victime ou harceleur ». Il est primordial de reconnaître que le harcèlement ne se cantonne plus aujourd’hui aux seuls murs de l’école, mais s’étend bien au‑delà, affectant la vie entière des victimes. Ce phénomène dépasse largement le simple conflit passager : il instaure un climat d’angoisse et d’exclusion, fragilisant durablement la confiance en soi des jeunes. Cette situation impacte non seulement leur équilibre émotionnel mais également leur parcours scolaire, compromettant leur engagement et leur réussite.

En France, sur une population de 14 millions de jeunes, 1,6 million présente un trouble psychique et la moitié de ces mineurs sont suivis. Dans la majorité des cas, les troubles apparaissent avant l’âge de 15 ans, soulignant la nécessité d’une détection plus précoce. Ces chiffres illustrent une réalité alarmante : une large partie de notre jeunesse traverse des difficultés psychologiques dès l’adolescence, période de grande vulnérabilité.

Par ailleurs, la France se classe au troisième rang mondial en termes de prévalence de la phobie scolaire chez les adolescents, derrière le Japon et la Corée du Sud. Ce phénomène en expansion traduit le malaise croissant des jeunes face à l’environnement scolaire et renforce la nécessité de dispositifs de soutien psychologique adaptés.

Cependant, le harcèlement n’est qu’une des multiples causes susceptibles de déstabiliser la santé mentale des jeunes. Pressions scolaires, difficultés familiales, questionnements identitaires ou relationnels, constituent autant d’épreuves auxquelles ils doivent faire face. À cela s’ajoute également l’utilisation des réseaux sociaux qui peuvent affecter la santé mentale des jeunes. En effet, leurs algorithmes entraînent et encouragent des pratiques addictives, en proposant des contenus qui correspondent aux attentes des utilisateurs et ne permettent pas de déconnecter. Les réseaux sociaux sont aussi le vecteur de nombreuses « normes » physiques qui poussent les adolescents à des comportements dangereux pour y ressembler, notamment sur le plan alimentaire. Ce sont également des espaces où l’absence de modération laisse place à du cyberharcèlement et aux influences toxiques qui incitent par exemple au suicide. C’est pourquoi, face à cette réalité complexe, notre réponse doit être globale, cohérente et coordonnée, afin d’apporter à chaque jeune l’écoute, le soutien et l’accompagnement nécessaires.

Dans les cas les plus graves, cette souffrance peut mener à des gestes désespérés comme des automutilations, tentatives de suicide, ce qui témoigne de l’urgence d’une prise en charge adaptée. En mai 2025, après les vacances scolaires de printemps, les passages aux urgences pour gestes suicidaires ont augmenté de 10 % chez les 11‑14 ans et de 23 % chez les 15‑17 ans. De même, les passages pour idées suicidaires ont progressé de plus de 15 % chez les 11‑14 ans, comparativement au mois d’avril, déjà marqué par une tendance à la hausse par rapport aux trois dernières années. La dégradation de la santé mentale est encore plus prononcée chez les jeunes filles. Ainsi, selon une étude réalisée par l’IFOP en 2024, elles souffrent davantage d’anxiété (68 % contre 51 % chez les garçons), d’état dépressif (55 %, contre 40 %) et de pensées suicidaires (27 %, contre 18 %). Ces données illustrent une réalité douloureuse, souvent invisible, que vivent de nombreux adolescents et adolescentes. Derrière ces chiffres, ce sont des jeunes en souffrance, parfois isolés, qui ont besoin d’être entendus et accompagnés avec attention. Parallèlement, les prescriptions d’antidépresseurs et d’anxiolytiques augmentent, avec des effets potentiellement nocifs sur des adolescents en pleine construction. Cette situation est aggravée par la pénurie de professionnels en pédopsychiatrie et en psychiatrie qui réduisent l’accès à la psychothérapie pourtant indispensable dans la prise en charge de troubles psychiques.

II.  Une médecine scolaire sous tension qu’il faut renforcer

Face à cette situation, il est évident que les dispositifs actuels ne suffisent pas. La médecine scolaire, pilier fondamental de la prévention à l’école, souffre d’un manque criant de moyens, de personnels qualifiés et d’outils adaptés. Cette insuffisance réduit fortement la capacité des équipes à détecter rapidement les signaux d’alerte et à accompagner les élèves en difficulté.

Dans ce contexte, la recommandation n° 46 du rapport parlementaire sur « La santé mentale des mineurs » ([1]) préconise des objectifs de référence clairs en matière de ressources humaines : un médecin scolaire pour 5 000  élèves, un infirmier par établissement et un psychologue de l’éducation nationale pour 800 élèves. Ces ratios visent à permettre une couverture suffisante du territoire scolaire et à garantir une prévention efficace des troubles psychiques. Force est de constater que nous sommes encore loin de ces objectifs. Aujourd’hui, on dénombre un médecin scolaire pour 13 000 élèves, un infirmier pour neuf établissements et un psychologue pour environ 1 800 élèves. Cet écart important entre les recommandations et la réalité du terrain illustre la faiblesse des moyens alloués à la médecine scolaire.

Entre 2018 et 2023, seuls 44 % des postes de médecins scolaires ont été pourvus, avec 133 recrutements pour 300 postes proposés. Du côté des psychologues scolaires, 30 postes restent vacants sur 210, tandis que les concours pour les infirmiers et assistants sociaux peinent à attirer suffisamment de candidats pour compenser les départs. Depuis 2017, les effectifs de psychologues de l’Éducation nationale diminuent, fragilisant l’intervention des professionnels et compromettant la qualité du suivi médical et psychologique des jeunes.

Par ailleurs, les bilans médicaux obligatoires sont loin d’être réalisés systématiquement : la visite médicale dès l’âge de 6 ans concerne moins de 20 % des élèves et le bilan infirmier à 12 ans n’est effectué que pour 60 % d’entre eux. Ces chiffres témoignent d’un réel décalage entre les besoins et les moyens déployés.

Il est donc urgent de revaloriser ces métiers essentiels, notamment par une meilleure rémunération et la création de postes supplémentaires. Il convient également de renforcer la présence des professionnels sur le terrain, d’améliorer la coordination entre écoles, familles et services de santé et de développer une véritable culture commune de prévention, fondée sur des formations partagées.

Grâce à un renforcement des effectifs et une organisation optimisée des services de santé scolaire, nos jeunes pourraient bénéficier d’un accompagnement attentif, bienveillant et adapté, indispensable à leur épanouissement au quotidien.

III.  Une visite psychologique obligatoire en classe de 4ème : une mesure indispensable

Cette proposition de loi vise donc à instaurer une visite psychologique obligatoire en classe de 4ème. Cette proposition s’inscrit directement dans la continuité de la recommandation n° 39 du rapport parlementaire sur « La santé mentale des mineurs » ([2]), qui préconise d’évaluer le bien‑être des élèves dans les collèges et lycées. Elle vise à traduire cette recommandation en une mesure concrète et systématisée, à un moment clé du développement des adolescents.

La classe de 4e constitue un moment charnière du parcours scolaire, coïncidant avec une phase décisive de l’adolescence, période où les troubles psychiques peuvent apparaître ou s’amplifier et où les pressions sociales deviennent plus fortes.

Cette visite ne serait pas une simple formalité administrative mais une réelle opportunité d’écoute et de dialogue. Elle permettrait de repérer précocement les fragilités, de prévenir l’aggravation des troubles et d’orienter les élèves vers les ressources adaptées. La Finlande en offre un exemple probant : dans ce pays, des bilans de santé complets sont systématiquement réalisés à plusieurs étapes clés du collège, sous la responsabilité de professionnels de santé scolaire. Cette démarche intégrée favorise la détection précoce des difficultés psychologiques et une prise en charge adaptée, contribuant ainsi significativement à la promotion de la santé mentale et à la réussite scolaire.

Cette approche, respectueuse de la confidentialité, de l’éthique et de la bienveillance, serait assurée par des professionnels formés à cet accompagnement. Sa réussite dépendrait nécessairement du renforcement des moyens humains et de l’organisation des services de santé scolaire, condition essentielle à une mise en œuvre efficace.

Parce que chaque enfant mérite d’être considéré, entendu et accompagné, nous devons agir aujourd’hui pour bâtir une société plus juste, plus solidaire et plus humaine. Investir dans la prévention et l’accompagnement dès le plus jeune âge, c’est choisir de construire une société réellement inclusive, où chaque jeune a la chance de s’épanouir pleinement, tant à l’école que dans sa vie personnelle.

Faire de la visite psychologique en classe de 4ème un temps fort de prévention et de détection, c’est agir concrètement pour protéger leur avenir, leur offrir un soutien essentiel et briser le silence qui entoure trop souvent leurs souffrances.

 

Cette proposition de loi vise à garantir à chaque enfant d’être véritablement écouté, accompagné et protégé. Cette mesure respectueuse de la confidentialité et de l’éthique, serait assurée par des professionnels qualifiés et formés à l’accompagnement psychologique des adolescents.

C’est une responsabilité collective que nous devons assumer avec sérieux et bienveillance, afin de construire pour eux dès aujourd’hui un avenir plus serein, plus humain et plus juste. En agissant maintenant, nous pouvons donner à chaque jeune les conditions nécessaires pour s’épanouir pleinement, tant sur le plan scolaire que personnel, sans jamais le laisser affronter seul ses difficultés.

 


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proposition de loi

Article 1er

Après le cinquième alinéa de l’article L. 541‑1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Au cours de la quatorzième année, une visite médicale incluant un entretien psychologique permettant en particulier le dépistage précoce des troubles psychiques est organisée dans des conditions fixées par voie réglementaire. »

Article 2

Au neuvième alinéa de l’article L. 541‑1 du code de l’éducation, après le mot : « infirmier », sont insérés les mots : « et du psychologue ».

Article 3

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  Nathalie Colin-Oesterle, Anne Stambach-Terrenoir, rapport d’information La santé mentale des mineurs, n°1700, déposé le 10 juillet 2025, Assemblée nationale.

([2])  Ibid