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N° 1920
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à garantir la liberté d’informer dans les opérations du maintien de l’ordre,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Arnaud BONNET, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Danielle SIMONNET, M. Boris TAVERNIER, Mme Dominique VOYNET, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Tristan LAHAIS, M. Nicolas BONNET, M. Damien GIRARD, M. Benoît BITEAU,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors que le droit d’informer est garanti par la constitution, le ministère de l’intérieur a publié le 31 juillet dernier un « schéma national des violences urbaines » (SNVU) comprenant une mesure attentatoire à la liberté de la presse. Cette nouvelle version faisait suite aux opérations du maintien de l’ordre ayant eu lieu après le meutre de Nahel Merzouk par un agent de police en 2023.
Les nouvelles directives étaient clairement attentatoires à la liberté d’informer et d’être informé. Le document prévoyait que « la prise en compte du statut des journalistes, telle que consacrée par le schéma national du maintien de l’ordre, ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines. » Ainsi, n’étaient a priori plus applicables les garanties spécifiques protégeant les journalistes dans le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) telles que la possibilité de se placer derrière les dispositifs de sécurité et de porter du matériel de sécurité.
Face à la saisine du Conseil d’État et la mobilisation des syndicats de journalistes, de Reporters sans frontières (RSF) et de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le ministère a décidé de supprimer cette phrase. Cette suppression reste néanmoins insuffisante dès lors que le nouveau « Guide opérationnel des violences urbaines » ne prévoit aucun cadre spécifique d’intervention des journalistes.
La parution de la deuxième version du SNMO en décembre 2021 semblait avoir ouvert une période avec davantage de dialogue entre les journalistes, les syndicats, les organisations, et le ministère de l’intérieur. Aussi, la publication de ce Guide, aujourd’hui encore flou et dont le potentiel d’usage arbitraire inquiète, vient mettre à mal une relation déjà historiquement peu aisée.
Alors que la liberté d’information est une liberté constitutionnelle fondamentale, corollaire de la liberté d’expression telle que prévue par la Cour européenne des droits de l’Homme, la situation et la nouvelle tentative de museler la presse doivent nous alerter.
Le SNVU n’est pas un document isolé. Il s’inscrit dans un ensemble de textes sécuritaires et de reculs majeurs des libertés publiques en général et du droit de la presse en particulier : loi Sécurité globale de 2020, en partie censurée par le Conseil constitutionnel ; et première version du SNMO qui a nécessité l’intervention du Conseil d’État pour garantir la liberté de la presse.
Depuis plusieurs années la situation s’est fortement dégradée : les discours politiques basés sur un « tout‑sécuritaire » justifient voire encouragent, en les niant, les violences policières lors d’opérations de maintien de l’ordre et associent journalistes et manifestants à des « délinquants ».
Traités régulièrement comme des indésirables, les journalistes ne sont pas épargnés par l’usage disproportionné de la force lors d’opérations de maintien de l’ordre.
Des journalistes ou des personnes couvrant de manière indépendante des manifestations se voient régulièrement empêchés de filmer ou de photographier. Parfois, ils sont pris pour cible par les forces de l’ordre. Ce fut le cas pendant les lois Travail : certain·es journalistes ont été placés en garde à vue après des interpellations voire même interdits de couvrir une manifestation. Ce fut le cas pendant les Gilets jaunes, lors de couvertures de manifestations : des journalistes ont été victimes d’intimidations, d’agressions par des membres des forces de l’ordre et visés expressément par ces dernières alors qu’ils et elles étaient dans le cadre de leurs missions.
Plus récemment, des violences policières envers les journalistes ont été observées lors des manifestations du 10 septembre 2025. Reporters sans frontières a constaté des entraves à la liberté de la presse : au moins 7 journalistes ont été agressé·es physiquement par les forces de l’ordre.
Pourtant, comme le rappelle le Conseil d’État dans sa décision du 10 juin 2020, les journalistes, tout comme les observateurs indépendants, « n’ont pas à quitter les lieux lorsqu’un attroupement est dispersé » et n’ont pas « l’obligation d’obéir aux ordres de dispersion » des forces de l’ordre.
Plus largement, cette nouvelle tentative d’intimidation à l’encontre des journalistes par un nouveau schéma de maintien de l’ordre a lieu dans un contexte inquiétant de recul du droit de la presse : concentration des médias dans la main d’une poignée de milliardaires, réforme de l’audiovisuel public contestée, censure et sanctions dans les rédactions sous pression des actionnaires, diminution du pluralisme des idées et des opinions dans l’espace public.
En 2025, la France a perdu 2 places au classement mondial de la liberté de la presse et occupe désormais la 25e place.
Par cette proposition de loi, nous défendons qu’il n’existe pas de zone de « non droit d’informer » dans notre pays. Au contraire, il appartient aux forces de l’ordre de créer les conditions pour que les journalistes puissent couvrir tout événement ou manifestation de quelque nature qu’il soit.
Ainsi, l’article 1er inscrit dans le code de la sécurité intérieure la liberté, pour tous et toutes, de communiquer des informations lors de rassemblement, y compris lorsqu’ils constituent des attroupements. Afin d’assurer la libre et complète information des citoyens et citoyennes, l’article 1er sécurise également le droit d’enregistrement audiovisuel des opérations de maintien de l’ordre dans le cadre de ces mêmes rassemblements. Il consacre par ailleurs une protection spécifique des journalistes en leur garantissant la possibilité d’exercer leur mission d’information du public : garantie de leur intégrité physique, interdiction de confiscation de leur matériel professionnel et de sécurité et liberté de circulation. Enfin, l’article 1er crée un statut d’observateur indépendant, faisant suite à la décision du Conseil d’État autour des garanties qui leur sont accordées : les observateurs indépendants bénéficieront des mêmes protections que les journalistes.
L’article 2 prolonge la protection de la liberté de communiquer des informations. D’une part, il interdit le recours à la force publique contre les personnes présentes sur les rassemblements dans l’unique but de recueillir des informations afin de les communiquer au public. D’autre part, il exclut certaines personnes de l’obligation de dispersion suivant une sommation des forces de l’ordre. Il s’agit des journalistes et des observateurs indépendants, ainsi que l’a déjà consacré le Conseil d’État. L’article 2 fait toutefois bénéficier aussi de cette protection spécifique les « personnes dont la présence est justifiée par la nécessité d’informer le public sur des atteintes graves et manifestes aux droits et libertés fondamentaux en cours ». Il peut s’agir, concrètement, de manifestants qui, assistant à un abus policier flagrant, enregistrent les faits aux fins d’informer ultérieurement le public et recueillir des preuves. Enfin, l’article 2 prévoit qu’il ne peut être reproché à ces mêmes personnes de participer à un rassemblement interdit ou à un attroupement.
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proposition de loi
Article 1er
Le chapitre Ier du titre Ier du livre II du code la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° La section 1 est complétée par un article L. 211‑4‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 211‑4‑1. – La prévention des atteintes à l’ordre public lors des manifestations s’exerce dans le respect de la liberté de toute personne de communiquer des informations au public.
« Nul ne peut s’opposer à la captation, l’enregistrement et la diffusion de son image ou de sa voix lorsqu’il concourt à la prévention des atteintes à l’ordre public, à l’exception des personnes dont l’anonymat est garanti par une disposition légale ou réglementaire.
« Les personnes concourant à la prévention de l’ordre public garantissent la sécurité physique des journalistes. Pour chaque manifestation, sont désignées parmi celles‑ci une ou plusieurs personnes spécifiquement chargées de coordonner la sécurité des journalistes et formés à cette fin.
« Les journalistes peuvent circuler librement, y compris au sein des dispositifs de sécurité. Ils ne peuvent faire l’objet d’aucune fouille, ni d’aucune retenue, saisie ou confiscation de leur matériel destiné à leur propre protection et au recueil d’informations et leur diffusion au public.
« Les dispositions des troisième et quatrième alinéas du présent article sont également applicables aux observateurs indépendants.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article et définit les qualités requises des observateurs indépendants, notamment en matière d’indépendance et de désintéressement. La reconnaissance de cette qualité ne peut en aucun cas être subordonnée à l’obtention d’un agrément. »
2° Après l’article L. 211‑9, il est inséré un article L. 211‑9‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 211‑9‑1. – Les dispositions de l’article L. 211‑4‑1 sont applicables à la prévention des atteintes à l’ordre public lors d’attroupements.
« Toutefois, les dispositions de la deuxième phrase du troisième alinéa ne sont applicables que lorsque les conditions d’intervention des forces de sécurité rendent possible une telle désignation. »
Article 2
I. – L’article 431‑4 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’application du deuxième alinéa, ne sont pas considérés comme participants à une manifestation interdite les journalistes, les observateurs indépendants et les personnes dont la présence est justifiée par la nécessité d’informer le public sur des atteintes graves et manifestes aux droits et libertés fondamentaux en cours. »
II. – Le chapitre Ier du titre Ier du livre II du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 211‑4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ne sont pas considérés comme participants à une manifestation interdite les journalistes, les observateurs indépendants et les personnes dont la présence est justifiée par la nécessité d’informer le public sur des atteintes graves et manifestes aux droits et libertés fondamentaux en cours. »
2° L’article L. 211‑9 est ainsi modifié :
a) Le cinquième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ne sont pas considérés comme participants à l’attroupement les journalistes, les observateurs indépendants et les personnes dont la présence est justifiée par la nécessité d’informer le public sur des atteintes graves et manifestes aux droits et libertés fondamentaux en cours. » ;
b) Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Aucun recours à la force publique n’est autorisé à l’encontre des personnes présentes aux seules fins de communiquer des informations au public. »