N° 1930

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’adaptation du système de cotisations sociales à l’ère de l’automatisation du travail,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christelle D’INTORNI, Mme Gisèle LELOUIS, M. Éric MICHOUX, M. Frank GILETTI, M. Marc CHAVENT,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

De nos jours, la France connaît une accélération sans précédent de l’automatisation et de la diffusion des technologies numériques dans l’ensemble des secteurs économiques. Au sein de l’industrie automobile, la robotisation des chaînes de montage atteint désormais, dans certaines usines, plus de 75 % des opérations d’assemblage, réduisant d’autant les besoins en main‑d’œuvre directe. La grande distribution suit la même trajectoire : les caisses automatiques représentent plus de la moitié des points d’encaissement dans les hypermarchés urbains, permettant aux enseignes d’économiser plusieurs milliers de postes d’hôtes et d’hôtesses de caisse. Le secteur bancaire s’est également profondément transformé : fermetures de guichets, automatisation des opérations courantes et déploiement d’outils de gestion algorithmique se traduisent par une baisse continue des effectifs depuis une décennie. Dans le secteur public, environ 36 % des emplois sont exposés à des évolutions majeures, dont près de 7,5 % pourraient disparaître entièrement. Enfin, des métiers qualifiés comme la comptabilité ou certaines fonctions juridiques sont désormais eux aussi concernés par l’essor de l’intelligence artificielle, capable de traiter et d’analyser d’immenses volumes de données en quelques secondes. 

Ces évolutions, si elles favorisent la compétitivité et la productivité, diminuent drastiquement la masse salariale soumise à cotisations sociales. Or ces dernières assises sur les salaires financent nos retraites, notre assurance‑maladie, notre assurance‑chômage et, plus largement, notre État social. Lorsque des tâches effectuées originellement par des salariés sont remplacées par des robots, des logiciels ou des algorithmes, aucune cotisation équivalente ne vient compenser la perte de recettes. Les gains générés par l’automatisation profitent principalement aux entreprises, tandis que la collectivité supporte seule le coût du financement social. Un rapport de l’OCDE évoque que 16,4 % des emplois existants aujourd’hui en France pourraient disparaître dans les quinze à vingt prochaines années du fait de la robotisation, et 32 % seraient exposés à un changement radical. Alors, c’est l’entièreté de notre système de protection sociale qui court à sa perte si aucune réforme systémique n’est entreprise.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à rétablir une équité en instaurant une contribution sur les systèmes automatisés et numériques concurrents du travail. Elle repose sur un principe simple : les entreprises qui choisissent de substituer des emplois humains par des systèmes automatisés doivent contribuer, à proportion de leurs gains de productivité, au financement de la solidarité nationale.

Pour garantir une mise en œuvre équilibrée, la contribution s’assoit sur plusieurs critères hiérarchisés afin de refléter la diversité des situations sectorielles. En priorité, elle repose sur le nombre d’emplois supprimés du fait de l’automatisation qui est attesté par une déclaration annuelle certifiée. À défaut de données suffisantes, elle prend en compte la part de valeur ajoutée directement imputable aux systèmes automatisés. En dernier recours, des forfaits sectoriels, fixés par les ministères compétents, complètent le dispositif. 

Le taux de la contribution est fixé annuellement par la loi de financement de la Sécurité sociale dans l’objectif d’être ajustable selon la conjoncture économique et l’évolution des technologies de chaque secteur. Son produit est réparti de manière équilibrée : 60 % pour compenser les pertes de cotisations sociales au bénéfice de la Caisse nationale d’assurance vieillesse et du régime d’assurance‑chômage, et 40 % pour financer une réduction proportionnelle des cotisations patronales assises sur le travail humain, dans l’objectif de soutenir la compétitivité des entreprises qui maintiennent l’emploi dans les secteurs les plus exposés à l’automatisation.

Un rapport annuel au Parlement présente les emplois affectés, les recettes générées, les secteurs les plus exposés et propose, si nécessaire, les ajustements requis. De surcroît, pour sécuriser la mise en place de cette loi, une phase d’expérimentation nationale est prévue du 1ᵉʳ janvier 2026 au 31 décembre 2027, conformément à l’article 37‑1 de la Constitution, avant une entrée en vigueur générale au 1ᵉʳ janvier 2028. Ces mesures ont pour objectif de garantir à cette réforme efficacité et bonne répartition.

Cette contribution ne constitue pas une sanction de l’innovation. Elle reconnaît que l’automatisation et l’intelligence artificielle, en redéfinissant la répartition du travail, doivent aussi participer à l’effort collectif qui garantit à tous une protection sociale. Elle permet ainsi d’accompagner la transition numérique en France, de préserver le financement de la Sécurité sociale et d’assurer que le progrès technologique demeure un vecteur de justice et de cohésion sociétale. En définitive, cette réforme ne freine pas l’innovation : elle en assure la responsabilité collective. Elle consacre le principe selon lequel le progrès technologique, source de gains et de productivité, doit contribuer à la solidarité nationale et à la préservation de l’emploi.

L’article 1er crée cette contribution et définit les termes systèmes automatisés ou numériques et concurrents du travail afin d’offrir plus de clarté au texte. Les articles 2 et 3 dictent respectivement les assiettes de contribution ainsi que les taux et modalités de recouvrement. L’article 4 consacre la répartition du produit de cette contribution. L’article 5 institue un rapport parlementaire annuel afin de garantir l’efficacité et la transparence de cette réforme. L’article 6 vise à protéger les salariés qui auraient, de bonne foi, communiqué des informations nécessaires au bon fonctionnement de ces mesures. L’article 7 impose un délai d’entrée en vigueur après une phase d’expérimentation.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre 5 du titre IV du livre II de code de la sécurité sociale est complété par une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« Contribution sur les systèmes automatisés et numériques concurrents du travail

« Art. L. 24513. – Toute entreprise, publique ou privée, implantée sur le territoire national, qui met en œuvre des systèmes numériques, algorithmiques, automatisés ou robotiques se substituant, directement ou indirectement, à des emplois salariés, est tenue d’acquitter une contribution sociale dénommée « Contribution sur les systèmes automatisés et numériques concurrents du travail ».

« Art. L. 24514. – Sont considérés comme « systèmes automatisés ou numériques », au sens de la présente section, les dispositifs matériels ou immatériels, notamment robots, algorithmes d’intelligence artificielle ou logiciels, dont la finalité principale est d’exécuter, sans intervention humaine substantielle, de manière autonome ou répétitive, des tâches habituellement accomplies par des salariés.

« Sont qualifiés de « concurrents du travail » ces systèmes lorsque leur mise en œuvre conduit directement ou principalement à la suppression ou à la réduction significative d’emplois salariés au sein de l’entreprise. »

Article 2

Le chapitre 5 du titre IV du livre II de code de la sécurité sociale est complété par un article L. 245‑15 ainsi rédigé :

« Art. L. 24515. – La contribution est assise, selon des modalités précisées par décret en Conseil d’État, sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :

« 1° Le nombre d’emplois supprimés ou réduits du fait de la mise en service d’un système mentionné à l’article L. 245‑14, attesté par un rapport annuel et certifié par un expert‑comptable ou un commissaire aux comptes ;

« 2° À défaut, la part de la valeur ajoutée directement imputable à ces systèmes, selon une méthode fixée par décret ;

« 3° Lorsque l’évaluation précise est impossible, des forfaits sectoriels déterminés par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de l’économie et de la sécurité sociale.

« Les organismes publics ou privés sont tenus de conserver et de présenter tout document permettant de vérifier les déclarations, sous le contrôle des organismes de recouvrement. »

Article 3

Le chapitre 5 du titre IV du livre II de code de la sécurité sociale est complété par un article L. 245‑16 ainsi rédigé :

« Art. L. 24516. – Le taux de la contribution est fixé chaque année par la loi. Elle est déclarée, recouvrée et contrôlée selon les règles applicables aux cotisations sociales patronales. »

Article 4

Le chapitre 5 du titre IV du livre II de code de la sécurité sociale est complété par un article L. 245‑17 ainsi rédigé :

« Art. L. 24517. – Le produit de la contribution est réparti ainsi :

« 1° 60 % sont affectés à la Caisse nationale d’assurance vieillesse et au régime d’assurance chômage, en compensation des pertes de cotisations sociales ;

« 2° 40 % sont affectés à la réduction proportionnelle des cotisations sociales patronales assises sur le travail humain, selon des modalités définies par la loi de financement de la sécurité sociale, afin de soutenir la compétitivité des secteurs les plus exposés à l’automatisation. »

Article 5

Le chapitre 5 du titre IV du livre II de code de la sécurité sociale est complété par un article L. 245‑18 ainsi rédigé :

« Art. L. 24518. – Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 juin de chaque année, un rapport public présentant :

« 1° L’évolution du nombre d’emplois affectés par l’automatisation ;

« 2° Les recettes générées par la contribution et leur utilisation ;

« 3° Les secteurs les plus exposés à l’automatisation ;

« 4° L’impact économique et social du dispositif et, le cas échéant, les ajustements proposés. »

Article 6

Le chapitre 5 du titre IV du livre II de code de la sécurité sociale est complété par un article L. 245‑19 ainsi rédigé :

« Art. L. 24519.  Aucun salarié ou représentant du personnel ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir, de bonne foi, signalé ou communiqué des informations relatives à l’utilisation de systèmes automatisés se substituant à des emplois humains, dès lors que ces informations sont nécessaires au calcul de la contribution et à la rédaction du rapport parlementaire. »

Article 7

I. – La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2028.

II. – À titre transitoire, au sens de l’article 37‑1 de la Constitution, une phase d’expérimentation nationale est conduite du 1er janvier 2026 au 31 décembre 2027 afin de tester les modalités de calcul et de recouvrement de la contribution prévue au présent chapitre.

III. – Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 septembre 2027, un rapport d’évaluation présentant les résultats de cette expérimentation et, le cas échéant, les ajustements nécessaires.

Article 8

La perte de recettes pour les collectivités territoriales est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.