N° 1935
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à prévenir la concentration des médias, à protéger leur liberté éditoriale et à renforcer le pluralisme,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Emmanuel GRÉGOIRE,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Ces douze dernières années, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a pris cinquante‑deux sanctions contre des chaînes de télévision détenues par le groupe Vivendi de Vincent Bolloré, dont seize pour la seule année 2024, confirmant l’idée que ces médias ne cessent de défier le cadre normatif existant.
Ces sanctions s’inscrivent dans un contexte inédit : la presse écrite comme les médias audiovisuels font face à une crise de confiance sans précédent.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 1881, la presse bénéficie en France d’un statut spécifique qui reconnaît son rôle éminent dans la vitalité démocratique du pays, tandis que le principe de régulation des médias audiovisuels est consolidé depuis la loi du 30 septembre 1986.
La concentration des médias, présentée comme un impératif de rentabilité et une réaction au bouleversement des usages induits par la révolution numérique à l’œuvre depuis près de quinze ans, est aujourd’hui devenue une façon de consolider la ligne éditoriale uniformisée d’un groupe, et par conséquent, d’assoir une stratégie d’influence de l’opinion publique. Via Vivendi, la « galaxie Bolloré » contrôle par exemple l’ensemble de la chaîne de valeur des médias qu’il possède, présentant cette concentration verticale comme un stratégie industrielle visant à faire émerger des « champions nationaux. »
Or, cette concentration structurelle pèse directement sur le pluralisme. La presse hebdomadaire écrite connaît une baisse importante de sa diffusion, perdant environ 8 % de titres depuis 2019. Dans le monde audiovisuel, la rareté des fréquences a conduit à faire du pluralisme interne une exigence réglementaire, mais la réalité des antennes et des titres montre de fréquentes dérives.
Ainsi, régulièrement, les chaînes de télévision du groupe Vivendi portent directement atteinte aux principes fondamentaux de la démocratie en ne respectant pas leurs obligations. Pour ne citer qu’elle, la chaîne CNews, sanctionnée par l’Arcom à maintes reprises, répand régulièrement des informations trompeuses et va à l’encontre de la démocratisation des connaissances scientifiques, privant les citoyens d’informations fiables et faussant le jugement collectif. Une démocratie qui ne garantit pas l’exactitude des débats perd sa capacité à répondre efficacement aux enjeux nationaux et à défendre l’intérêt général.
En guise d’exemple, la diffusion d’assertions telles que « l’immigration tue » dans La Matinale du week‑end encourage la haine et les comportements discriminatoires à l’égard de populations vulnérables, et a valu une sanction pécuniaire de l’Arcom. Autre cas notable, la diffusion de chiffres mensongers sur l’Interruption Volontaire de Grossesse, décrite dans En quête d’esprit sur CNews comme la « première cause de mortalité dans le monde » au même titre que le tabac, trahit l’absence d’exigence de rigueur et d’honnêteté intellectuelle de la chaîne.
Au vu des motifs de mise en garde et des sanctions prononcées par l’Arcom ces deux dernières années, le groupe Vivendi est un cas d’école du danger pour la démocratie que représente la concentration des médias.
Créés pour répondre à l’ampleur de ces enjeux, le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias présenté en mars 2022, les États Généraux de l’Information lancés en juillet 2023, et la proposition de loi déposée par la sénatrice Sylvie Robert en juillet 2024 n’ont pourtant pas trouvé de débouchés législatifs. Le cadre actuel, basé sur des sanctions prononcées a posteriori, montre ses limites : il ne dissuade pas suffisamment les stratégies de concentration, ni ne prévient à l’idylle les risques d’atteinte au pluralisme.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise donc à prévenir les risques liés à la concentration médiatique en fixant des critères cumulatifs d’incompatibilité de contrôle au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce. Elle réaffirme le pluralisme comme impératif démocratique et confère aux journalistes un droit d’agrément à la nomination de leur directeur ou responsable de la rédaction par un vote des journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111‑3 du code du travail. Cet agrément est obtenu à la majorité de soixante pour cent des suffrages exprimés, représentant au moins la moitié des journalistes professionnels employés.
L’article 1er modifie la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 pour introduire des critères cumulatifs fixant un seuil de détention incompatible avec le pluralisme des médias. Il interdit par conséquent à une même personne physique ou morale de détenir simultanément plus de deux « types » de médias.
L’article 2 introduit le droit d’agrément dans la loi du 29 juillet 1881 et la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986.
L’article 3 gage la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
L’article 41‑1‑1 de la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi rédigé :
« Art. 41‑1‑1. – Afin de prévenir les atteintes au pluralisme sur le plan national, et sous réserve du respect des dispositions prévues par la présente loi, une même personne physique ou morale ne peut se trouver dans plus de deux des situations suivantes :
« 1° Contrôler, directement ou indirectement, au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce, des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre ou mobile permettant la desserte de zones dont la population recensée atteint quatre millions d’habitants ;
« 2° Contrôler, directement ou indirectement, au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce, des services de radio permettant la desserte de zones dont la population recensée atteint trente millions d’habitants ;
« 3° Éditer ou contrôler, directement ou indirectement, au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce, une ou plusieurs publications quotidiennes imprimées d’information politique et générale représentant plus de 20 % de la diffusion totale, sur le territoire national, des publications quotidiennes imprimées de même nature, appréciée sur les douze derniers mois connus précédant la date à laquelle la demande d’autorisation a été présentée. »
Article 2
I. – Après l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 2 ter ainsi rédigé :
« Art. 2 ter. – Au sein des entreprises éditrices, au sens de l’article 2 de la loi n° 86‑897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, la nomination du responsable de la rédaction mentionné au 3° de l’article 5 de la même loi fait l’objet d’un agrément préalable, par un vote des journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111‑3 du code du travail. Cet agrément est obtenu à la majorité de soixante pour cent des suffrages exprimés, représentant au moins la moitié des journalistes professionnels employés par l’entreprise éditrice.
« Le bénéfice des allègements en matière de taxes fiscales et de tarifs postaux prévus par les textes législatifs ou réglementaires, dont bénéficient les entreprises éditrices, est subordonné à la mise en place de la procédure d’agrément mentionnée à l’alinéa précédent. »
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »
II. – La loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi modifiée :
1° Après l’article 30‑7, il est inséré un article 30‑7‑1 ainsi rédigé :
« Art. 30‑7‑1. – La nomination du responsable de la rédaction mentionné au 2° de l’article 43‑1 de la présente loi d’un service de communication audiovisuelle titulaire d’une autorisation délivrée en application des articles 29, 29‑1, 30, 30‑1 et 30‑2, fait l’objet d’un agrément préalable par un vote des journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111‑3 du code du travail. Cet agrément est obtenu à la majorité de soixante pour cent des suffrages exprimés, représentant au moins la moitié des journalistes professionnels employés par le service de communication audiovisuelle.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. » ;
2° Après le premier alinéa du I de l’article 34, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les services distribués sur des réseaux n’utilisant pas une fréquence assignée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et qui ne consistent pas en la reprise de services de télévision diffusés par voie hertzienne, la nomination d’un responsable de la rédaction fait l’objet d’un agrément préalable par un vote des journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111‑3 du code du travail. Cet agrément est obtenu à la majorité de soixante pour cent des suffrages exprimés, représentant au moins la moitié des journalistes professionnels employés par le distributeur de services.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. » ;
3° Après le premier alinéa de l’article 43‑11, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La nomination des responsables de la rédaction des sociétés mentionnées au premier alinéa fait l’objet d’un agrément préalable par un vote des journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111‑3 du code du travail. Cet agrément est obtenu à la majorité de soixante pour cent des suffrages exprimés, représentant au moins la moitié des journalistes professionnels employés au sein de la société concernée.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent alinéa. »
Article 3
La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.